Les sept projets présentés ici appar­tiennent à la catégorie des bateaux "modernes". Détail d'importance, cette démarche novatrice n'est en rien sous-tendue par une opposition systéma­tique aux "classiques". Bien au contraire, elle y puise souvent son inspiration. Dans leurs grandes lignes, les silhouettes de ces bateaux empruntent toutes quelque cho­se au classicisme - le règlement très pré­ cis du concours encourageait cette ten­dance, même si par ailleurs leurs auteurs se plaisent à décliner des caracté­ristiques résolument modernes. Bien sûr, dans cette catégorie plus que dans les précédentes, toutes les techniques nou­velles de construction sont mises en œuvre, et l'on voit surgir silhouettes et carènes au goût du jour. En outre, plu­ sieurs de ces projets témoignent d'une réelle volonté d'adaptation à la construc­tion amateur, et partant, d'un certain souci de faire accéder le plus grand nombre au plaisir de la navigation... Réponse tout à fait adaptée à une époque où beau­ coup voient diminuer leurs ressources et s'accroître leur temps libre. Cela étant dit, force est de remarquer qu'à vouloir défendre des projets très ty­pés et à en privilégier telle ou telle quali­té, les concepteurs se sont progressive­ ment engagés sur des voies passablement divergentes. Du dériveur intégral ultra lé­ger au déplacement moyen fortement les­ té, la palette est très étendue et prouve, s'il en était besoin, qu'il existait de nom­breuses façons de répondre au concept du "bateau pour aller aux îles". Les quatre articles publiés sur ce sujet auront incontestablement apporté une appré­ciable richesse d'idées et une diversité réconfortante dans un monde auquel on reproche souvent à juste titre sa standar­disation croissante.

Canot de camping côtier (1er p)

Le premier projet retenu par le jury pour cette catégorie est celui d'un déri­veur de 7,10 mètres de déplacement très léger conçu par Allen Nefra. Son pro­ gramme de navigation se limite claire­ ment au camping côtier, ce qui ouvre déjà un champ inépuisable de belles ran­données. Dès lors deviennent primor­diales, la légèreté, la simplicité de grée­ ment, la facilité de manutention et de transport sur remorque qui permettent de changer de plan d'eau sans problème. Grâce à sa longueur importante, ce ba­teau bénéficie d'un vaste cockpit, d'une petite cabine et de coffres généreux. Le court mât articulé et la voile sans bôme se rangent facilement à bord. Son fond presque plat lui permet d'échouer très commodément et il peut être tiré au sec sur des roules. Enfin, son bouchain in­termédiaire contribue à augmenter pro­gressivement la largeur aux différents ni­ veaux de flottaison, à vide (420 kg), en ordre de marche (720 kg), en charge maximum (800 kg). "Le principe de ce bateau, nous dit Allen Nefra, a été pensé pour le construc­teur amateur. Le bordé est en contre-pla­qué fin sur lisses à faible écartement de maille. La résistance au poinçonnement étant déterminante pour l'échouage et la longévité du contre-plaqué - de toute fa­çon plutôt moyenne -, ce matériau sera recouvert d'un mat de verre stratifié époxy. La coque est construite sur trois cloisons principales et une quatrième lar­gement évidée pour permettre l'accès à la couchette. Le poids ne peut être respecté qu'en surveillant tout au long de la construction les échantillonnages. Par exemple le vissage ou boulonnage systématiques seront remplacés par un chevillage bois ou des coutures ligaturées pendant le collage." Le gréement au tiers à vergue souple, comme sur les anciennes chaloupes sardinières ou les sinagos, répond à un souci de simplicité et d'efficacité. "Cela m'a donné l'idée d'utiliser comme vergue, le mât en carbone d'une planche à voile rien n'interdit d'ailleurs d'embarquer aussi le flotteur et la voile de cette planche, pour doubler le plaisir au mouillage. En revanche, la grand voile et le foc, qui sont les éléments les plus techniques du bateau, devront être confiés à un maître-voilier afin d'être réellement performants." En effet, l'auteur a cherché à tirer la quintessence de la technologie de la voile au tiers traditionnelle pour créer un profil aérodynamique moderne inspiré par la planche à voile, avec son système de fourreau et d'étarquage sur la vergue. La dérive qui pèse 50 kg contribuera certainement à la stabilité aux forts angles de gîte, mais un trapèze sera sans doute bienvenu pour assurer la tranquillité de l'équipage dans la brise. Ce bateau fin et léger restera cependant suffisamment agréable à l'aviron même sur d'assez longues distances. Au total, le projet d'Allen Nefra s'inscrit très habilement dans le créneau situé juste au-dessus du canot voile-aviron en développant un plaisir de la voile plus sportif. Il est sans doute propre à séduire aussi la génération de ceux qui sont passés par la planche à voile et les sports de glisse. Encore très proche du concept des yoles de régate et de randonnée classiques, longues, fines et étroites, autrefois très répandues en Allemagne, mais beaucoup plus léger, ce bateau évoque aussi par certains traits les dériveurs à double bouchain des années soixante-dix comme le Ponant.

Men-Toul (2ème prix)

Men-Toul a été dessiné par Jean-Pierre Dole-Robbe, qui est également l'auteur du Ria (Le Chasse-Marée n0 97). Il s'agit d'un sloup à dérive de 5,82 mètres gréé avec une voile à corne très apiquée. Mal­ gré la différence de longueur, Men-Toul ré­ pond à un programme et une conception assez proches de ceux du canot d'Allen Nefra. Les sections et les angles de chaque bouchain sont remarquablement similaires, même si les fonds sont plus en V, avec un court aileron lesté correspon­dant à un déplacement plus lourd. Et une version plus longue - représentée en pointillé - rapproche encore plus les deux bateaux. Le déplacement est de 130 kg plus lourd : 550 kg à vide et 850 kg en ordre de marche. Quant à la largeur de 2,22 m au maître-couple, elle est stricte­ ment identique. On cessera ce jeu des si­militudes en faisant remarquer que la dif­férence de longueur suffit à induire un comportement sous voiles assez différent. Men-Toul qui peut porter un lest extérieur de 140 kg, sera probablement plus sage à la voile, surtout au portant, peut-être moins rapide mais sans doute plus facile à tenir dans la brise, un peu dans l'esprit de la Cavale de Herbulot. Côté emménagements, le petit rouf abrite une vaste plate-forme de coucha­ge avec hauteur sous barrots suffisante pour dormir confortablement. Afin de pouvoir s'y asseoir au mouillage, il suffi­ ra de relever le rouf, monté sur charnières. Cette solution adoptée sur un grand nombre de projets du concours correspond bien au programme de ran­donnée prévu pour ces bateaux. Le ca­ractère spartiate des emménagements sera largement compensé par leur dépouille­ ment, de nature à procurer un sentiment de liberté en totale rupture avec le confort auquel nous sommes souvent ha­bitués à terre. Ce retour à la simplicité s'harmonise parfaitement avec l'esprit de la petite navigation au sein d'une nature préservée. L'abri que constitue la cabine retrouve ici son sens primitif, celui d'une simple coquille.

Tiboulen (3ème prix)

Autre projet, autre style. Œuvre de deux Marseillais, le sloup de 8,35 mètres aux lignes sobres, dessiné par l'architecte naval Pierre Caron et construit par le charpentier de marine Sébastien Grall, est, malgré sa silhouette basse, un véri­table croiseur. Pas de luxe tapageur, mais de véritables emménagements avec carré, poste avant, toilette et cuisine. Ce bateau conçu pour un professionnel met en œuvre une technique assez sophistiquée. La charpente en lamellé-collé est habillée d'un bordé composite en quatre plis, le premier en lisses jointives de red-ce­dar, le second en tissu de verre kev­lar bi-axial, les deux derniers en Grand-Bassam tranché et collé sous vide. Les lignes d'eau har­monieuses sont incontestable­ ment celles d'une carène mo­derne à lignes tendues et déplacement minimum, avec un maître-couple au bouchain très peu mar­qué, impression ren­forcée par l'aileron de quille relevable dont la partie bas­ se comporte un bulbe de 190 kg. A quoi s'ajoute un lest intérieur constitué de gueuses réparties entre les varangues. Un ensemble très convaincant ! Bateau de régatiers à l'agressive étrave verticale, Tiboulen est très généreusement voilé. Le jury s'est toutefois étonné du choix initial d'un gréement à corne avec flèche et mât de flèche, sûrement trop complexe sur un bateau de cette taille. A l'évidence, un gréement houari, à la fois plus simple, plus efficace et d'ailleurs bien dans la tradition marseillaise, convient davantage à cette coque. C'est donc cette version, également proposée par Pierre Caron, que nous reproduisons ici.

Serafig (4ème prix)

Dessiné par l'architecte naval François Lucas pour le chantier Structures, de Sainte-Marine (29), le Serafig est essentiel­lement destiné à la construction profes­sionnelle. C'est un dériveur intégral dont la sole est dotée d'une semelle de fonte extérieure de 480 kg faisant lest, ce qui permet une posée confortable à l'échoua­ge. En outre, la dérive de 90 kg partici­pe également à l'équilibre du bateau. La carène à triple bouchain est de concep­tion moderne avec un maître-couple as­sez rond et très reculé. Une section très différente de celle des dériveurs purs comme celui d'Allen Nefra. La construc­tion en contre-plaqué époxy intègre les cloisons, qui jouent ainsi le rôle de couples. Leur découpe ainsi que les cotes des développés de bordés sont définies par ordinateur. Autant d'éléments qui destine le Serafig à une construction en petite série. Grâce à des emménagements complets carré, cuisine coulissante, poste avant - et à son insubmersibilité à toute épreuve, le Serafig peut vraiment envisager de véri­tables croisières. Le gréement houari avec vergue de grand voile légèrement cintrée est fort bien réussi. Aux allures portantes, un foc ballon volant ennaker sera envoyé sur un rientable qui permet de le efficacement au grande. L'ensemble donne un plan de voilure d'un allongement suffisant pour prétendre rivaliser à toutes les allures avec un gréement bermudien, tout en préservant les avantages précieux d'un mât dont la longueur n'excède pas celle de la coque. Cet espar court emplanté sur une jumelle sera facile à abattre et ne posera aucun problème lors des transports routiers. Avec un déplacement total de 1 500 kg, le Serafig reste en effet remorquable.

Randobulle (5ème prix)

Retour à la légèreté, et même au poids plume puisque le Randobulle de Michel Roux. ne doit pas dépasser 280 kg pour une longueur de 5,32 mètres. Il s'agit bien sûr d'un dériveur pur, non lesté. Grâce à sa grande largeur (2,05 m), cette coque devrait se caler à un niveau de gîte rai­sonnable. Bien entendu, comme sur un canot voile-aviron sans lest fixe, dès que le vent forcira, l'équipage devra passer au rappel, et il ne faudra pas trop attendre pour réduire la toile. En revanche, ce sympathique canot naviguant en 5eme ca­tégorie est idéal pour le transport, l'échouage et l'accès à chaque parcelle du littoral que l'on peut souhaiter découvrir. Vite envoyée, vite affalée, la voile au tiers est particulièrement bien adaptée à ce programme. Certes, le confort à bord sera minimum, malgré le bouge du pont qui forme une sorte de teugue arrondie, mais la totale liberté est à ce prix. Une fois encore, c'est la construction en contre-plaqué à triple bouchain qui est proposée, en raison de son extrême sim­plicité de mise en œuvre. Dans cette taille de bateau la construction amateur est réellement à la portée de tous. Celui qui, par exemple, s'est fait la main sur une prame norvégienne, ne trouvera pas de bien plus grandes difficultés à construire un tel canot de randonnée.

Kilkerian (5ème ex aequo)

Long de 7,40 mètres, le Kilkerian est un très classique sloup houari à étrave droi­te et courte voûte. Ce dériveur lesté dis­ pose d'un grand cockpit et d'emménage­ments minimum sous son petit rouf bien intégré dans l'hiloire. Il appartient à cette catégorie de "day-boats" que l'on se plaît à imaginer dans les eaux du golfe du Morbihan, sur le Fiers d'Ars, ou tran­quillement échoué sur une grève déserte. Le plan de voilure est élancé, élégant à coup sûr, mais il demanderait sans dou­te une carène moins ronde, d'autant que le lest de 450 kg n'est qu'à 42 cm sous la flottaison. Le couple de redressement sera donc assez faible et le poids de l'équipage insuffisant pour influer réelle­ ment sur l'équilibre de ce bateau dont Je déplacement total atteint 1500 kg. Res­te que le Kilkerian correspond globale­ ment à un type de bateau bien dans l'es­ prit du concours, répondant au désir de beaucoup de plaisanciers d'avoir accès à d'autres formes de navigation. Une remarque à propos des mâts de flèche : mieux vaut plutôt prévoir un flèche volant avec vergue verticale - style Carantec sur des bateaux de moins de 12 mètres.

Sloup houari (7ème prix)

En dépit de sa silhouette moderne avec tonture rectiligne, étrave ronde et rentran­te, et tableau inversé dont l'intérêt ne pa­raît d'ailleurs pas évident, le sloup dessi­né par Arnaud Duval a des lignes d'eau très douces et plus classiques qu'il n'y pa­raît avec sa section "en verre de bordeaux" très frégatée et son maître-bau situé vers le milieu de la longueur. Ce dériveur intégral est doté d'une dérive en fonte de 150 kg, à laquelle s'ajoute un lest intérieur consti­tué de deux gueuses de 50 kg. On imagi­ne ce petit croiseur côtier construit en po­lyester, mais pourquoi pas aussi en petites lattes collées clouées avec une finition au vernis ? Les formes s'y prêtent bien et le gréement houari adopté conviendrait tout à fait à ce style. Le rouf est bien dessiné, mais on s'étonne que l'hi­loire de cockpit ne se prolonge pas plus en ar­rière et que le gui ne remonte pas davantage sur l'arrière un défaut fréquemment rencontré sur les voiles à corne houari dessinées par les jeunes architectes. Avec cette quatrième catégorie s'achève le compte rendu du concours de plans. Les quelque trente bateaux présentés auront exploré des voies très variées. Ils auront aussi défini assez précisément une gamme d'unités intermédiaires entre les canots voile-aviron déjà disponibles et les croi­seurs contemporains proposés sur le marché de la plaisance. Mais le plus sti­mulant est sans doute qu'au-delà des idées, les constructions de nombre de ces projets sont déjà lancées, parfois même achevées. Construc­teurs amateurs et chantiers pro­fessionnels concrétisent ainsi le concept du "bateau pour aller aux îles". Et c'est bien là le meilleur encouragement pour ceux qui ont encore des rêves dans la tête.