Par Henning Henningsen - Apprendre à connaître de façon intime l'univers des marins, leur vie quotidienne à bord et à terre, leur environnement matériel, social, et leurs mentalités, tenter de dépasser le regard trop souvent "terrien" des publications qui leur sont consacrées : voilà un projet aussi difficile que passionnant, que l'histoire et l'archéologie ne suffisent pas — et de loin — à épuiser, même si leur apport est à l'évidence capital. Cette recherche est donc bien l'affaire d'une discipline à part entière - l'ethnologie maritime — très développée en Scandinavie et en Allemagne de l'Est, pratiquée dans les pays anglo-saxons, mais encore trop peu représentée en France. Les lacunes de nos connaissances sont particulièrement évidentes dans le cas du groupe autrefois majoritaire chez les marins, à savoir ceux du commerce. En France, le long-cours, aux derniers jours de la voile, a fait l'objet de publications intéressantes, mais éparses et d'inégale valeur dans les années cinquante à soixante. Le puissant essor des recherches sur les bateaux côtiers a permis plus récemment une avancée considérable des études consacrées à la vie des marins-pêcheurs. Il est aujourd'hui urgent, avant que les tout derniers témoins ne disparaissent, qu'un effort comparable soit effectué dans le secteur du long-cours, de la grande pêche et plus encore du cabotage; l'exploitation des sources orales est en effet l'un des atouts majeurs de l'ethnologie maritime dans sa collaboration avec historiens et archéologues. Pour mieux faire comprendre les conditions d'une telle entreprise, nous avons demandé à Henning Henninsgen, chercheur danois de renommée internationale, et spécialiste incontesté de ce domaine, un texte de synthèse sur l'étude de la vie des gens de mer*, que nous avons tenté d'illustrer de documents français adéquats et largement commentés. Reste, comme le souhaite l'auteur, à mettre rapidement en place des structures d'enseignement et de recherche en ethnologie maritime dans les villes universitaires proches du littoral, et à confier ces postes à des chercheurs dotés de l'érudition, de la sensibilité et de l'expérience marine indispensables. Plus immédiatement, on peut espérer attirer l'attention des historiens locaux, des chercheurs indépendants et des musées spécialisés sur ce nouveau regard à porter sur le monde maritime. Mieux encore, nous aimerions que les lecteurs du Chasse-Marée entreprennent des recherches sur certains sujets bien délimités, ou nous signalent tout simplement les objets, archives ou témoignages qu'ils possèdent ou dont ils ont connaissance. Cet apport de sources inédites peut être infiniment précieux, alors n'hésitez surtout pas à nous écrire ! Dans la droite ligne de cette réflexion, la rédaction du Chasse-Marée prépare une série d'articles de fond sur les albatros et les marins, les coffres de bord, les scrimshaws, l'eau douce à bord, etc. Nous nous attacherons aussi à publier de nombreux témoignages vécus, en commençant, dès ce numéro, par celui de R.H. Dana (1836).