Pour visiter le Brest d'avant- guerre, pouvait-il se trouver meilleur guide que Pierre Mac Orlan (1883-1970) ? Voilà bien le compagnon idéal avec qui pérégriner dans ce port du bout du monde dont la magie s'est en partie évaporée sous le pilonnage des bombes. L'auteur de « L’Ancre de miséricorde » - dont l'action se situe à Brest au XVIIIe siècle — n'est pas de ces pisse-froid qui vous disent les beaux quartiers et vous taisent la lèpre qui les gangrène aux entournures. Avec la générosité d'un hédoniste, il vous accoude à tous les zincs, de la rue de Siam à Recouvrance et jusqu'aux caboulots du port de commerce ; il vous invite à convoiter toutes les femmes, sans exclusive, les petites filles à matelots aux aguichantes guenilles, comme les fières Léonardes dans leurs atours de fête; il vous fait pénétrer au cœur de cette population bigarrée où le pompon rouge côtoie la casquette galonnée, où le bourgeois du cours Dajot croise le chaudronnier de l'arsenal. Il n'est pas jusqu'aux forçats, disparus alors depuis près d'un siècle, qui ne soient évoqués, tant leur présence a marqué la mémoire collective des Brestois. Ce texte de commande, rédigé en 1926 pour la collection «Portraits de la France» et dont voici de larges extraits, est une déclaration d'amour. Plutôt que l'architecture, plutôt que l'activité maritime d'une rade étrangement vacante, c'est l'âme de la ville qui nous est ici somptueusement contée. Un indispensable passeport de la mémoire pour tous ceux qui découvrent le Brest d'aujourd'hui.