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Par François Casalis – La réaction hydraulique, ou water-jet, a mobilisé l’énergie et l’intelligence de nombreux savants par le passé pour faire avancer les bateaux selon le principe de l’action-réaction que Newton a énoncé dans une loi – un phénomène physique dans lequel excellent aussi, mais sans le savoir, la coquille Saint-Jacques et le poulpe. Les épisodes mouvementés de cette histoire ont rebondi d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, avec quelques incursions outre-Manche. Cette forme de propulsion, dite aussi hydrojet, est toujours utilisée sur des navires rapides, tandis que les jet-skis en sont l’émanation la plus bruyante.

Tous les rameurs mettent en pratique le phénomène physique de l’action-réaction : les avirons ont pour effet de propulser l’embarcation dans le sens opposé à celui qu’ils exercent sur l’eau. En 1687, Isaac Newton en a fait une loi : « Tout corps A exerçant une force sur un corps B subit une force d’intensité égale, mais de sens opposé, exercée par le corps B. » Dans la nature, la coquille Saint-Jacques, la palourde ou le poulpe, entre autres, la mettent à profit pour se déplacer à des vitesses impressionnantes. L’homme a tout simplement essayé d’en faire autant, mais si nos illustres mathématiciens ont réglé l’affaire en quelques équations sur le plan théorique, la question s’est avérée beaucoup plus laborieuse sur le plan mécanique. 

Au début de notre ère, pour distraire ses petits camarades, Héron d’Alexandrie s’amuse à faire tourner à toute vapeur son Éolipyle. Il n’a pas eu besoin d’une mécanique compliquée pour les épater. Deux petits tuyaux coudés, astucieusement disposés aux extrémités du diamètre de la sphère, vont permettre à la vapeur, en s’échappant, de la faire tourner sur elle-même. Gadget ou pas, cet engin va hanter l’esprit des mécaniciens. Mille sept cents ans plus tard, Arago déclare au sujet de l’Éolipyle qu’il était « le premier exemple de l’emploi de la vapeur comme force motrice ». Tous les inventeurs de l’époque, qui tentent d’utiliser cette nouvelle énergie, se disent qu’il serait bien plus simple de se passer des roues à aubes pour faire avancer un navire, tant celles-ci sont encombrantes et d’un faible rendement.

Au Ier siècle ap. J.-C., le mathématicien et physicien grec Héron d’Alexandrie invente la première machine à vapeur, l’Éolipyle, qui fait tourner une sphère sur elle-même.
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En 1661, les Anglais Thomas Toogood et James Hayes déposent un brevet qu’ils tentent de mettre en application, mais le résultat n’est pas probant et ils y renoncent très vite. Plus tard, en 1722, Robert Allen essaie à son tour avec un système analogue, sans plus de succès. Ces trois hommes expérimentent une technique commune qui consiste à fixer solidement au fond de leurs bateaux un tuyau ouvert à ses deux extrémités. Il s’agit ensuite d’aspirer l’eau par l’ouverture qui se trouve à l’avant pour la refouler avec la plus grande énergie possible vers l’arrière et créer ainsi une force propulsive suffisante pour faire avancer les embarcations. L’avenir montrera que cette idée demande beaucoup d’énergie et qu’elle exige par conséquent de disposer de machines embarquées capables de fournir de la vapeur en grande quantité, avec une pression suffisante. Hélas ! ce n’est pas encore possible à cette époque…

Fitch et Rumsey se livrent une concurrence acharnée

Daniel Bernoulli, à la fois médecin, physicien et mathématicien, remporte en 1753 le prix décerné par l’Académie royale des sciences de Paris, avec un mémoire ayant pour titre : « De la manière la plus avantageuse de suppléer à l’action du vent sur les grands vaisseaux, soit en y appliquant les rames, soit en employant quelque autre moyen que ce puisse être ». Dans le
« quelque autre moyen », celui qui va devenir le père de la mécanique des fluides évoque la réaction hydraulique et tente de convaincre les académiciens qu’elle est la meilleure réponse à la question posée. Malgré une analyse magistrale et un raisonnement mathématique sans faille, le président de séance reste sceptique… au point de s’abstenir de joindre les calculs du savant au compte rendu de séance.

L’affaire aurait pu en rester là si Benjamin Franklin – ambassadeur des jeunes États-Unis d’Amérique récemment débarqué à Auray en 1776 – ne s’était pas intéressé aux travaux du savant helvétique. L’homme de science prend le pas sur l’homme politique. Conscient du retard pris par son pays en matière de machines à vapeur – en partie lié à l’embargo des Anglais sur l’exportation de leurs brevets après la déclaration d’indépendance –, il rédige à son retour au pays, neuf ans plus tard, une lettre destinée à ses pairs, où il les encourage à s’intéresser à cette technique novatrice. Elle permettrait, selon lui, à la jeune nation de rattraper le temps perdu et, pourquoi pas, de prendre une position dominante dans ce domaine.

Deux insurgés, John Fitch et James Rumsey, vont suivre les recommandations de Benjamin Franklin en se livrant une concurrence effrénée pour mettre au point un moyen de transport efficace, le premier sur la Delaware, et le second sur le Potomac. John Fitch tente une expérience à l’aide d’une petite embarcation au fond de laquelle il fixe un tuyau ouvert aux deux extrémités. Grâce à une pompe actionnée par une machine à vapeur de sa conception, il met en mouvement l’eau circulant dans le tuyau. Mais comme l’avait déjà constaté Toogood avant lui, la puissance de la pompe est insuffisante, et Fitch abandonne très vite son idée après cet échec.

James Rumsey, aussi autodidacte que son concurrent, est un entrepreneur du génie civil doublé d’un mécanicien confirmé. Il s’associe avec son beau-frère, Joseph Barnes, pour réaliser un chaland doté d’un mécanisme entraîné par la force du courant, lequel met en mouvement un système de perches prenant appui sur le fond du fleuve – un peu à la façon d’un homme sur des échasses. Si l’idée est originale, la démonstration qu’il réalise en 1785 à Shepherdstown ne manque pas d’étonner : l’irrégularité du fond du fleuve a, en effet, pour conséquence d’envoyer tantôt le bateau à droite, tantôt à gauche… une démarche zigzagante qui, on s’en doute, peine à convaincre. En désespoir de cause, les deux compères abandonnent cette technique, et James revient à un système plus proche des préconisations de Benjamin Franklin. Deux ans plus tard, en 1787, au même endroit, il réussit cette fois une démonstration avec une chaloupe équipée d’un groupe propulseur à réaction hydraulique.

Lors des essais préliminaires, il avait constaté la présence de contre-pressions qui venaient perturber le rendement de la pompe. Pour remédier à cet inconvénient, il a la bonne idée de disposer des clapets tout le long du tuyau dans lequel l’eau circule et, par miracle, les contre-pressions disparaissent. Sans cette découverte, il courait à l’échec. Cependant, la vitesse n’est pas vraiment concluante : la chaloupe n’arrive pas à dépasser 3 nœuds. Le succès est donc mitigé et ne séduit pas plus les banquiers que les hommes d’État. Comme il ne parvient pas à trouver des partenaires pour financer d’autres essais, James Rumsey décide de quitter les États-Unis pour l’Angleterre avec le secret espoir de conclure un marché avec James Watt et son associé Boulton, lesquels ont largement un temps d’avance en matière de machines à vapeur. Mais les deux Britanniques sont intraitables et la négociation échoue. En 1791, une fois arrivé en Angleterre, Rumsey dépose un brevet concernant un propulseur à réaction hydraulique. Le 20 décembre 1792, à la veille d’un essai décisif sur la Tamise avec le Columbian Maid… il meurt terrassé par une congestion cérébrale.

Se faire adouber par l’Académie Royale des sciences

James Rumsey avait visiblement deux avantages par rapport à Fitch. Grâce à son beau-frère forgeron, il a pu élaborer des chaudières à tubes d’eau, une méthode avant-gardiste à l’époque. Il dispose ainsi rapidement de vapeur avec une pression plus élevée que celle obtenue avec les encombrantes chaudières de Newcomen, universellement employées aux États-Unis, même si elles ont été quelque peu améliorées. Le second avantage, c’est qu’il connaît bien les moulins hydrauliques et les augets de leurs roues ; quand il s’intéresse aux bateaux, il est convaincu de la médiocrité du rendement de la roue à aubes. De plus, il pense que s’il parvient à se dispenser de bielles pour passer d’un mouvement alternatif linéaire à un mouvement circulaire continu, il gagnera beaucoup en efficacité. Toutes ces considérations le poussent à s’investir dans la réaction hydraulique. Parallèlement à cette méthode, il réalise un moteur rotatif à vapeur, dont on a malheureusement peu de descriptions.

Brevet de quinze ans au profit de John Fitch, déposé le 29 novembre 1791 par Aaron Vail, son fondé de pouvoir en France. Il a pour objet « un mécanisme propre à faire mouvoir bateaux, navires et autres bâtiments par le moyen d’une machine à feu ». John Fitch viendra en France deux ans plus tard avec l’intention d’apporter des compléments à son brevet initial.
©Archives INPI

En parcourant la biographie de ces « vaporistes » de la première heure, on constate une différence fondamentale entre les inventeurs de l’Ancien et du Nouveau Monde. En Europe, les pionniers de la vapeur ont bénéficié, pour la plupart, d’un bon niveau d’instruction, dispensée dans les académies ou les universités dans lesquelles ils côtoyaient l’élite de leur pays. Aux États-Unis, l’approche est beaucoup plus pragmatique et repose en grande partie sur l’expérience. 

La deuxième chose qui surprend, c’est que Rumsey et Fitch se sont rendus en France pour essayer de se faire adouber par l’Académie royale des sciences de Paris, et au passage déposer un ou plusieurs brevets, à une époque où la protection des inventions est bien meilleure en France qu’aux États-Unis. En revanche, les circonstances ne leur sont pas favorables : Rumsey arrive à Paris en mars 1789, peu de temps avant la prise de la Bastille… on imagine que les académiciens ont d’autres préoccupations en tête ! Fitch n’aura pas plus de chance que lui : il débarque en 1793 à La Rochelle, en pleine Terreur. L’homme qui était censé l’aider dans ses démarches monte sur l’échafaud avant qu’il ait pu le rencontrer. N’ayant plus un sou en poche, c’est le consul des États-Unis à Lorient qui lui avance son billet de retour pour l’Amérique.

Il faut également prendre en compte l’embargo des Anglais vis-à-vis des Américains. Les Britanniques venant de se faire renvoyer chez eux sans ménagement par les « insurgés », la situation a créé, on peut le comprendre, certaines rancunes. Il n’est donc pas question d’échanger quoi que ce soit entre les deux pays et surtout pas en matière de
« technologie » moderne. Le premier à rétablir ouvertement une collaboration dans ce domaine technique sera Robert Fulton qui quittera l’Angleterre en 1806 avec une machine de James Watt sous le bras.

Reconstitution du bateau à vapeur de Rumsey en 1987 sur la rivière Hudson pour le bicentenaire du lancement de l’original.
©The Rumseian Society

Revenons en France. Après la brillante démonstration réalisée en juillet 1783 sur la Saône par Jouffroy d’Abbans avec son Pyroscaphe équipé de roues à aubes, l’heure n’est pas vraiment à la mécanique, mais à l’effervescence politique. Pourtant, en 1806, loin de l’agitation parisienne, Nicéphore Niépce dépose le brevet d’un moteur à combustion interne. 

Nicéphore est franc-comtois, comme Jouffroy d’Abbans. Issu d’une famille de notables de Chalon-sur-Saône, le jeune homme fait ses humanités au collège des oratoriens de la ville dans la perspective d’embrasser une carrière ecclésiastique. De traductions grecques en versions latines, la vocation le quitte et il passe du goupillon au glaive en s’engageant dans l’armée révolutionnaire. Il revient à Chalon-sur-Saône en 1801 pour gérer les nombreuses propriétés familiales, tout en se consacrant avec son frère Claude à la mise au point du premier moteur à combustion interne. Ils baptisent leur prototype du nom charmant de Pyréolophore – de pyr, le feu, eolo, le vent, et phore, porteur. On ne sait si les travaux de Bernoulli les ont inspirés pour leur invention, mais leur idée était bien d’aboutir à un propulseur à réaction hydraulique applicable au domaine maritime. 

Nicéphore oppose au montage mécanique, générateur de nombreuses pièces en mouvement, et donc de pertes de rendement, un principe physique. C’est la pression du gaz, résultant de la combustion des spores de lycopode (Lycopodium clavatum), un végétal relativement courant dans nos régions, qui va chasser l’eau contenue dans un cylindre solidaire du moteur de l’embarcation où il est installé et la mettre ainsi en mouvement. Un principe qui s’apparente un peu à celui des bateaux-jouets Pop-Pop. 

Niépce va chercher à améliorer son invention, car s’ils dégagent un volume important de gaz lors de leur combustion, les spores du lycopode ne sont pas d’une utilisation très pratique. C’est en cherchant un combustible plus abondant et plus facile à manier que Nicéphore va s’intéresser au bitume de Judée. Il en trouve non loin de chez lui, à la limite des départements de l’Ain et de la Haute-Savoie, dans les mines d’asphalte de Seyssel. Une fois finement broyé, le bitume de Judée est plus facile à injecter dans le cylindre de combustion. Plus tard, Niépce constatera que sous l’effet de la lumière ce bitume change de consistance et de couleur. En le mélangeant à de l’huile essentielle de lavande, il obtiendra un support photosensible… d’où l’on peut conclure que le génie maritime est en quelque sorte à l’origine de la photographie !

En attendant, place aux travaux pratiques : il faut vérifier l’efficacité de ce moteur et Nicéphore demande à son frère Claude de faire construire un bateau dans un chantier lyonnais, le long de la Saône. Nous manquons d’informations au sujet de cette embarcation. Les caractéristiques qui figurent dans le brevet, rédigées de la main même de Nicéphore, soulèvent quelques interrogations.

Nous sommes plus près d’une barrique que d’un bateau !

Il aurait été construit en cuivre sur des membrures et une charpente (quille, étambot, étambrai) en fer. La dimension hors tout de 7 pieds et demi (2,43 mètres) pour un déplacement de 9 quintaux (900 kilos) laisse supposer une largeur d’environ 90 centimètres… nous sommes plus près d’une barrique que d’un bateau ! Par ailleurs, vu l’encombrement du moteur, on se demande où le barreur pouvait bien trouver place. Pourtant, plusieurs rapports font état d’essais sur la Saône – ainsi que sur un étang situé près du domicile de Nicéphore. Avec une impulsion (combustion) toutes les 5 secondes, on nous apprend que la vitesse obtenue aurait été le double de celle du courant. Ne connaissant pas la vitesse du courant sur la Saône ce jour-là, il est toutefois difficile de se faire une idée précise de la performance… 

Tous ces essais coûtent cher et les économies de Nicéphore finissent par se tarir. Les années passent et le brevet de 1806 va bientôt tomber dans le domaine public : il devient urgent de trouver un débouché au Pyréolophore. Claude s’installe à Paris avec l’ambition de présenter son fameux prototype de moteur aux savants comme aux banquiers de la capitale. Il a pour cela la confiance de son frère… mais l’avenir montrera que Nicéphore a peut-être eu tort car s’il est lui-même un travailleur acharné et exigeant, Claude ne révèle pas les mêmes qualités. Happé par l’animation et les plaisirs de la capitale, il y consacre beaucoup de temps et d’argent. 

Le hasard fait qu’au moment où Claude est censé chercher des clients, Jouffroy d’Abbans dépose un additif à son brevet de 1816 dans lequel il propose une mécanique faisant appel à la réaction hydraulique. Les contacts entre Claude Niépce et Jouffroy d’Abbans se font par personnes interposées et ne semblent pas empreints d’une chaleur excessive. Différents courriers attestent de relations de méfiance entre les deux parties qui, au fil des échanges, vont se tendre jusqu’à la rupture. Il est vrai qu’à la lecture de son additif, on ne peut s’empêcher de se poser des questions sur la réelle motivation de Jouffroy d’Abbans…

Additif au brevet de Jouffroy d’Abbans qui, à l’inverse de celui du Pyréolophore, n’a pas connu d’application.
©Archives INPI

Force est de reconnaître qu’en ce début de XIXe siècle, le seul qui ait pu convaincre sur ce type de propulsion reste l’Américain James Rumsey qui, grâce à ses essais, a mis en évidence la nécessité d’une pompe efficace attelée à une machine à vapeur de puissance suffisante.

Pendant ce temps, les partisans de l’hélice continuent à explorer les possibilités de ce propulseur auquel Bernoulli avait fait également allusion dans son étude. Il faut attendre le 16 mai 1850 pour voir naviguer le Napoléon, le premier bateau de la Marine nationale française propulsé par une hélice. Mais ses avantages sont si importants que les techniques alternatives perdent subitement de leur intérêt… sans pour autant décourager les tenants de la réaction hydraulique. En 1860, la société belge John Cockerill lance en effet un bateau à passagers sur la Meuse, le Seraing, doté d’une turbine à axe vertical entraînée par une machine à vapeur. Ce pionnier ne semble pas avoir fait école… peut-être à cause de sa voracité en combustible.

Deux inventions vont relancer l’intérêt pour ce mode de propulsion

Deux inventions vont néanmoins relancer l’intérêt pour ce mode de propulsion. La première porte sur l’amélioration du rendement des machines à vapeur. L’une des nouveautés les plus marquantes dans ce domaine vient des États-Unis sous la forme d’une machine à vapeur horizontale dotée de soupapes en lieu et place du tiroir classique. L’ingénieur George Henry Corliss, qui en est l’inventeur, présente un modèle très remarqué à l’Exposition universelle de 1867. 

La seconde vient de Belgique avec le baron Gustave Greindl qui dépose le brevet d’une pompe centrifuge, une alternative aux classiques pompes à pistons. Elle est constituée de deux rouleaux cylindriques, dont l’un est pourvu de palettes. Son intérêt, en plus d’un débit régulier, est de disposer d’une grande puissance de refoulement, ce qui, dans le cas qui nous intéresse, est un argument précieux. 

Couramment utilisée comme pompe à incendie, elle inspire Messieurs Maginot et Pinette, associés dans une entreprise de mécanique, installée – et c’est un pur hasard – à Chalon-sur-Saône ! Entre autres productions, les deux hommes sont connus pour avoir réalisé une pompe hydro-électrique performante, du type Greindl, destinée aux fabricants d’ascenseurs. Leurs affaires étant florissantes, ils décident d’en fabriquer une variante adaptée à la propulsion par réaction hydraulique. En 1883, ils se lancent dans la construction d’un bateau de 14 mètres de longueur pour 1,80 mètre au maître-bau avec un tirant d’eau de 65 centimètres. 

S’ils sont très diserts sur les équipements du bateau, ils le sont beaucoup moins sur les caractéristiques de la pompe proprement dite. Ils déclarent avoir atteint, sur la Saône, la vitesse de 13,5 kilomètres à l’heure avec une machine qui développe 12 chevaux et une vitesse de rotation de la pompe de 410 tours par minute. Cette performance prometteuse est pourtant restée confidentielle… et il faudra encore attendre plus d’un siècle pour voir les jet-skis déferler sur nos plages. 

Le Condor 10 et le Condor Express, deux navires hydrojet à passagers, se croisent devant Castle Cornet sur l’île anglo-normande de Guernesey.
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De nos jours, un certain nombre d’industriels proposent des groupes propulseurs à réaction hydraulique, appelée water-jet. Il semble cependant que son développement le plus visible – et le plus bruyant – soit celui qui figure au titre des loisirs nautiques sous le nom de jet-ski, ou scooter des mers. Jouet pour les uns, calamité pour les autres, il compte des adeptes parmi les amateurs de sensations motonautiques. Si la dépense ne compte pas pour le plaisir, il n’en va pas de même dans le secteur marchand : les Navires à grande vitesse (NGY), évoluant entre 29 et 45 nœuds, qui sont apparus sur le littoral juste avant les années 2000 pour le transport de passagers, se sont avérés d’une rentabilité douteuse, au point que les principaux exploitants les ont retirés de leur flotte quelques années plus tard. 

La coquille Saint-Jacques semble avoir encore certains secrets à nous délivrer pour rendre ce mode de propulsion compétitif…

ENCADRÉS

Alexandre Ciurcu et son expérience explosive

La propulsion à réaction aérienne connaît, elle, des débuts plutôt fracassants… Nous sommes presque à la fin du XIXe siècle, à une époque où la sidérurgie est en mesure de fournir des tôles d’acier de qualité. Just Buisson, un journaliste qui s’intéresse aux techniques, pense que l’on peut se passer de la pompe hydraulique et qu’il suffit d’enflammer un mélange à combustion rapide dans un cylindre assez costaud, faisant office de réacteur, pour obtenir par réaction une force capable de faire avancer un bateau. Nous ne sommes pas loin des préoccupations des frères Niépce. Pour passer de la théorie à la pratique, Just Buisson s’assure des compétences de son ami Alexandre Ciurcu, lui aussi journaliste, et originaire, comme son nom l’indique, de Roumanie. Les essais préliminaires sont convaincants, puisque que Monsieur Maurouard, alors directeur de la division des poudres et salpêtres, en touche un mot au ministre de la Guerre. Forts de cet intérêt pour leur création, les deux inventeurs décident d’en faire une présentation à l’aide une yole qu’ils se proposent de faire évoluer sur la Seine.

©CNAM

Tout ce joli monde se donne donc rendez-vous le 16 décembre 1886 dans les environs d’Asnières. Un jeune barreur est chargé des tire-veilles pour assurer la direction du bateau, tandis que les sieurs Buisson et Ciurcu s’occupent de la mise à feu et de la marche du réacteur. Le désir de perfection va pimenter la démonstration. En effet, satisfaits des essais préalables, ils décident d’accoupler un générateur de combustible au réacteur. Alexandre Ciurcu laisse le soin à son collègue de réguler la sortie des gaz à l’aide d’un papillon qu’il ouvre plus ou moins suivant leur pression dans le cylindre de combustion. Quant à lui, il se charge d’alimenter le générateur afin de délivrer le mélange combustible de façon continue et en quantité suffisante.

Les invités et futurs mécènes, impatients de voir évoluer ce bateau à réaction, se pressent sur la rive. Just Buisson allume le carburant, la pression monte, il agit comme prévu sur la commande du papillon et, consternation, elle chute sans provoquer d’effet… 

On recommence une seconde fois, sans plus de succès. La nervosité gagne. On remet le feu au combustible, la pression monte, Just Buisson cherche à ouvrir le papillon qui, cette fois-ci, ne veut plus rien savoir, et la pression monte, monte, monte… on entendra l’explosion jusqu’au Mont Valérien ! On ne retrouvera rien du barreur. Just Buisson, mortellement atteint, poussera son dernier soupir sur la berge dans les bras du directeur des poudres. Quant à Alexandre Ciurcu, en voyant le manomètre bloqué au maximum de sa course, il a précipitamment plongé dans la Seine… Il regagnera la berge à la nage malgré de sérieuses blessures. 

La Justice l’inculpera d’homicide involontaire, mais il sera finalement acquitté. À la sortie du tribunal, il affirmera encore qu’il espérait pouvoir faire d’autres essais avec succès, ayant pris de très grandes précautions dans la construction de nouveaux appareils…

Robert Fulton et les bateaux à roue à aubes

Pendant les années agitées qui entourent la Révolution française, les Anglais travaillent sur leurs mécaniques et prennent un temps d’avance sur les applications de la machine à vapeur à laquelle ils apportent quantité d’améliorations. Ironie du sort, cela n’empêchera pas l’américain Robert Fulton qui, bénéficiant des largesses de Robert Livingstone, alors ambassadeur des États-Unis en France, de faire une démonstration très remarquée le 9 août 1803 d’une embarcation à vapeur équipée d’une machine française sur la Seine à Paris ! 

Devant l’accueil pour le moins désagréable que lui réserve le Premier Consul, il retourne en Angleterre avant de rejoindre le Nouveau Monde en 1806, où il connaîtra le succès que l’on sait avec le Clermont, le précurseur des célèbres Sternwheelers qui auront leurs heures de gloire sur le Mississippi. C’est au moment où Fulton reprend le bateau pour rejoindre sa terre natale que Nicéphore Niépce dépose en France le brevet d’un moteur à combustion interne.

Les mésaventures de l’inventeur John Fitch

John Fitch est né en 1743 dans le Connecticut. Il perd sa mère à quatre ans et reste seul avec un père caractériel qui le retire de l’école à l’âge de huit ans pour le faire travailler à la ferme, d’où il s’échappera pour apprendre le métier d’orfèvre. Il se marie en 1776, mais le ménage ne tient pas et Fitch connaît ensuite une vie très mouvementée. Tour à tour prisonnier des Anglais, puis des Indiens, il arrive à se libérer et revient en Pennsylvanie en 1782  
avec la ferme intention de construire un bateau à vapeur. Après avoir pris connaissance des recommandations de Benjamin Franklin, il tente une expérience qui connaîtra l’échec.

©Granger/Bridgeman

Abandonnant la réaction hydraulique, Fitch fera d’autres essais avec différents systèmes de propulsion (chenilles à palettes, vis d’Archimède…), sans plus de succès. Jusqu’au jour où il décide d’installer sur un Durham boat, qu’il baptise du nom français de Persévérance, deux ensembles de six pagaies – les Indiens avec leurs canoës ne sont pas loin – placées de chaque côté du bateau. Elles sont reliées entre elles par un jeu complexe de bielles actionnées par une machine à vapeur. En mai 1787, en présence des délégués de la Convention constitutionnelle, il fait, cette fois-ci, une démonstration concluante. Mais si ces messieurs saluent la performance, ils rechignent à accéder à la demande d’exclusivité que réclame l’inventeur, en subordonnant leur accord à un essai avec un véritable bateau de transport. 

Fitch va alors s’associer avec Henry Voigt, un horloger aussi habile qu’imaginatif. Les deux vont mettre en chantier un bateau de 18 mètres de long pouvant transporter trente passagers. Ils abandonnent l’idée des encombrantes pagaies latérales pour un système semblable à des pattes de canard mécaniques qu’ils fixent à la poupe du bateau. Le lancement a lieu en juin 1790 et durant tout l’été il fera la liaison de Philadelphie à Burlington et retour à une vitesse de 6 à 8 nœuds. À la fin de la saison, John Fitch se glorifie de la fiabilité de son bateau qui est capable d’assurer son service par fractions de 500 milles sans tomber en panne ! Cela ne suffit toutefois pas à rassurer les investisseurs et les hommes d’État hésitent. 

Fitch, déçu, ne supporte plus toutes ces incertitudes et s’adonne à la boisson. Son caractère dépressif aggravant les effets de l’alcool, il se suicidera à l’opium en juillet 1798.

L’hydroglisseur de René Couzinet

Si, pour naviguer, les hélices des marins brassent de l’eau, celles des pilotes brassent de l’air pour faire voler leurs avions. Juste avant la Grande Guerre, lors des très selects meetings de Monaco, on ne se prive pas de mélanger les genres en utilisant l’hélice aérienne pour foncer à toute allure à bord d’hydroaéroplanes aux moteurs surpuissants. Jusqu’au jour où, sur la Seine, dans les années 1950, à l’endroit même où Alexandre Ciurcu a accompli son explosive démonstration, le célèbre avionneur René Couzinet, dont les ateliers dans l’île de la Jatte sont tout près d’Asnières, fait des ronds dans l’eau avec un canot équipé d’un turboréacteur. La réaction aérienne en est à ses débuts et c’est un Turboméca Palas à simple flux d’1,20 mètre de long pour un peu plus de 40 centimètres de diamètre qui, grâce à ses 150 kilos de poussée, va permettre à René Couzinet de faire, dans un fracas dont les riverains se souviendront longtemps, une démonstration qui ne laissera pas la presse indifférente. 

Cette première mondiale sera reprise plus tard par les amateurs de records de vitesse sur l’eau.

À lire : 

Édouard Sauvage, la machine à vapeur, 2 tomes, Béranger Editeur, 1896 ; 

Andrea Sutcliffe, steam, the untold story of America’s first great invention, Palgrave Macmillan, (reprint 2005) ; 

Louis Figuier, Les Merveilles de la science, Jouvet and Co éditeurs, 1867 ; 

Manuel Bonnet et Jean-Louis Bruley, Niépce, une autre révolution, université pour tous de Bourgogne Centre de Chalon-Sur-Saône, 2015. 

Revue La nature, n° 539, 1883 (sur Maginot et Pinette) et n°731 à 756, 1887 (sur Alexandre Ciurcu).