[EXTRAIT DE L’ARTICLE TEMPETE DE 1930, METEO-FRANCE REMONTE LE TEMPS]

« Tout part d’une rencontre à Étel avec Michel Le Leuch et Grégory Nabat, respectivement fondateur et conservateur du Musée des thoniers, raconte Alain Pichon. La tempête de 1930 s’est immédiatement imposée pour commémorer cet événement qui a durement marqué la communauté des pêcheurs. »

Mais qui dit film, dit images… Il n’en existe aucune de ce drame maritime. « J’ai sollicité le peintre de la mer et des tempêtes Serge Doceul, à Rochefort-en-Terre. Serge a mis à disposition quarante-trois grandes toiles de sa production. Pour la représentation des dundées et des équipages dans la tempête, je me suis tourné vers un ami dessinateur, Jo Le Floch, auteur d’un travail remarquable sur la guerre de 1914-1918, qui a accepté de brosser mes futures scènes. On s’est rencontré tous les trois dans l’atelier de Serge pour discuter du projet et numériser ses œuvres. Jo a peint ses propres tableaux. Puis j’ai fait un test de montage entre les deux types de toiles. C’était parfait ! Restait à faire le reste… » L’équipe du film utilisera également, entre autres, des œuvres d’Henry Kérisit (CM 222) et de Jean-Olivier Héron (CM 196).

Creusant son sujet, Alain Pichon rappelle que les thoniers d’Étel ne sont pas les seuls à avoir payé un lourd tribut à la tempête. Ceux de Douarnenez, de Groix, de Concarneau, de l’île d’Yeu, des Sables-d’Olonne, de La Rochelle ont été lourdement touchés. « En cherchant des témoignages, j’ai indiqué à mes interlocuteurs que pour réaliser un travail de valorisation patrimoniale, on ne pouvait collecter que des archives indiquant précisément les noms des marins et des navires, les faits, les lieux et les dates, données pouvant ainsi être considérées comme historiques. La règle étant qu’au moindre doute sur sa véracité, un récit devait être écarté. » Les premiers documents collectés sont les rapports de mer des patrons, puis les articles et les témoignages publiés au retour des rescapés dans la presse locale et nationale – quand le ministre de la Marine marchande a appris l’événement, il s’est rendu dans les ports concernés, suivi par des journalistes qui se sont entretenus avec les survivants. Des témoignages oraux de marins ont aussi été recueillis cinquante ans plus tard, entre 1981 et 1986, par Michel Guéguen, historien de Concarneau, et le réalisateur Emmanuel Audrain.

 

Tempête de 1930, Etel thoniers, thoniers 1930

 

Alain Pichon récupère ainsi des informations relatives à soixante-seize dundées, retranscrites dans une base de données, jour par jour et, pour les plus précises, heure par heure. Il parvient à porter sur une carte les positions d’une partie des thoniers. Le 19 septembre, au pire de la tempête, l’essentiel de la flotte se trouvait sur le plateau continental, entre la Petite Sole et la Grande Sole.

En créant le scénario de son film à partir de cette base de données, le réalisateur se fixe comme règle d’évoquer le sort de marins des différents ports concernés et d’écarter les événements anecdotiques, en retenant les éléments significatifs de ce qui a pu se passer pour l’ensemble des marins.

Le film durera un peu plus d’une heure et le récit sera chronologique, des premières inquiétudes au paroxysme de la tempête et jusqu’au retour au port, compliqué pour beaucoup de thoniers qui ont subi de lourdes avaries. Le scénario ainsi établi est soumis aux correspondants du réalisateur dans les ports d’armement des anciens dundées thoniers.

Le documentaire sera ensuite monté en deux temps : d’abord, les voix, les musiques, les bruitages, puis les images, les tableaux, les schémas, les photos, les vidéos.

Pascal Tocquec fera la voix off générale. Des descendants des marins parleront pour leurs aïeux, avec les accents de leur port et l’émotion du souvenir. « Je leur ai donné leur texte, ils ont fait le reste ! », se souvient Alain Pichon.

La chance veut que Pascal Tocquec soit proche du pianiste et compositeur Didier Squiban. Celui-ci mettra à disposition sa Symphonie de Bretagne. « Pour la première et la dernière partie du film, c’était parfait ! ». Alain Pichon rencontre Fabrice Lothodé, joueur de bombarde, et Jérémy Simon, accordéoniste, dont l’album Ster Ar Vuhé sera utilisé. « La bombarde exprimait parfaitement les thoniers dans la souffrance ; l’accordéon, la violence et la puissance de la mer. C’était sidérant de réalisme… musical. »

Le film sera enfin bruité pour les ambiances au port, les marins, les bateaux, le vent, la mer, la casse : « Bruiter un port, ça passe encore. Mais bruiter l’enfer en mer, c’est… infernal !  Au final, tous les sons étant synchronisés, on avait à disposition un documentaire sonore d’une émotion et d’une précision parfaite. C’est cette bande audio qui allait servir à la mise en image. » Jo le Floch s’en empare pour brosser une centaine de toiles.

Une fois achevé en 2021, le film a été présenté en salle, la projection suivie d’un débat. On le trouve aujourd’hui en accès libre sur Internet.

Pour Alain Pichon, la plus belle critique de son film est celle d’une descendante d’un marin péri en mer : « Je peux enfin faire mon deuil. »

 

Extrait de l’article « Tempête de 1930, météo-France remonte le temps », publié dans le le Chasse-Marée n°329 en aout 2022. 

Par Jean-Yves Béquignon – Les travaux d’Alain Pichon sur la tempête mémorable de septembre 1930, qui vit le naufrage de vingt-sept dundées thoniers, perdus corps et biens, et la disparition de deux cent treize marins, ont bénéficié de nouveaux outils informatiques de météorologie qui ont permis de mieux comprendre cet événement Historique. Les calculateurs de Météo-France apportent ainsi un éclairage précieux sur les conditions dantesques sobrement évoquées par les rapports de mer.