Gaston Defferre à la barre pour le départ de la grande course de la Semaine nautique internationale de la Méditerranée (SNIM) à Marseille le 11 avril 1978. Il la remportera avec l’équipage que l’on voit à la page suivante.© Nahon Le Provençal

Par Jean-Yves Béquignon – Dans la famille des Palynodie, les voiliers de Gaston Defferre, le sixième du nom, un plan Olin Stephens lancé en 1974, poursuit sa route. Il a fait la joie de son commanditaire, permis à de nombreux stagiaires des Glénans de se former à la course et connu pendant trente ans une vocation sociale avec Stéphane Mingueneau.

Sans doute inspiré par le milieu de la politique, où la palinodie – désaveu de ce que l’on a dit auparavant – est un exercice aussi subtil que le louvoyage, Gaston Defferre choisit ce nom, mais avec un Y évoquant le surnom de sa deuxième épouse, Paly de Barbarin », raconte Félix Aubry de la Noë, barreur émérite de plusieurs Palynodie et ancien journaliste au quotidien régional Le Provençal.

Né en 1910, Gaston Defferre, ancien résistant chef du réseau Brutus, avocat, plusieurs fois ministre, légendaire maire de Marseille sans discontinuer de 1953 à son décès en 1986, avait la passion de la voile et plus encore celle de la course. Son Graal était la Giraglia, l’équivalent méditerranéen du Fastnet, dont il voulait ravir le trophée aux Italiens. Il s’y emploie dès 1959 en engageant son premier Palynodie, un vieux sloup en bois à arrière canoë, long de 10,30 mètres, construit en 1938. Sans surprise, il se révèle incapable de battre les voiliers modernes de course au large, mais il termine néanmoins quatrième.

En 1961, Gaston Defferre décide de faire construire Palynodie II sur un plan de l’architecte Olin Stephens à qui il a donné par courrier des instructions très précises : « Je désire un bateau qui soit conçu essentiellement pour la course et notamment en Méditerranée. […] Je suis convaincu que c’est avec vous que j’ai le plus de chances d’avoir un bateau qui aurait de très bonnes lignes d’eau avec une forme nouvelle pour un bateau de croisière. »

Gaston Defferre a conçu lui-même l’intérieur, spartiate

Au terme de plusieurs échanges entre le skipper et l’architecte, le sloup de 12 mètres aux formes extrapolées d’un 5,5 m ji est construit par le chantier Chabert, du Pharo. Il prend le départ de la Giraglia le 12 juillet 1962 et finit troisième de l’épreuve. Gaston Defferre est très satisfait de son nouveau bateau, qui sera moult fois modifié et gagnera plusieurs courses… mais jamais la Giraglia où il terminera deux fois deuxième (1963 et 1967), trois fois troisième (1962, 1964 et 1965), et une fois dix-septième (1966).

Jugeant Palynodie II dépassé, le skipper marseillais s’en sépare en 1967 pour un autre voilier dessiné par Dick Carter. Palynodie III se révélera éblouissant dans la brise, mais une erreur de navigation dans l’édition 1968 de la Giraglia mettra malheureusement ce favori à la troisième place. La saison suivante, la Giraglia se déroule dans la pétole, un temps que n’affectionne pas le voilier, qui termine treizième. Dégoûté, Gaston Defferre s’en sépare.

Il achète un Safari de Dufour, qui deviendra le quatrième Palynodie, pour se détendre en croisière en réfléchissant à un futur coursier. Palynodie V, dessiné par Britton Chance, en aluminium et à quille relevable, arrive à Marseille au début 1973 et se révèle être… un fiasco complet. Il se classe douzième dans la Giraglia et ne prendra plus jamais le départ d’une course.

Après cet échec cuisant, Gaston, comme il aimait être appelé par ses équipiers, se tourne pour la seconde fois vers Olin Stephens. Le coût des plans est partagé avec un richissime industriel italien, Giorgio Carriero. Deux voiliers identiques vont être construits. Largement inspirés du Swan 48, lancé par le chantier Sparksman and Stephens en 1971, ils seront flush-deck et en aluminium. La version italienne, Mandrake, est construite par le chantier néerlandais Royal Huisman, et Palynodie VI par les Ateliers de constructions navales et d’applications mécaniques qui font faillite avant de l’achever ; les Constructions mécaniques de Normandie prennent le relais. Les ouvriers constatent que la coque est plus courte de 14 centimètres par rapport aux plans, ce qui n’aura d’autre conséquence que d’interdire de placer le radeau de survie dans le coffre arrière. Malgré ces problèmes de chaudronnerie, la carène est magnifique. Gaston Defferre a conçu lui-même l’intérieur, spartiate, avec pour la première fois des cloisons et des planchers en « nid d’abeille » pour l’alléger.

Mis à l’eau à Marseille au mois de juillet 1974, Palynodie VI rallie Toulon pour courir la Giraglia en « off », car il n’est pas encore jaugé. Il arrive en vainqueur virtuel à San Remo et confirme à Porto Cervo où il bat Mandrake. Toutes les conditions sont réunies pour une victoire dans la Giraglia 1975. Palynodie vi part grand favori en classe 1 et coupe la ligne d’arrivée 10 minutes après l’italien Tarentella. Le voilier de Gaston Defferre doit l’emporter en temps compensé car son rating est de 2 pieds inférieur. Mais l’Italien ayant obtenu une bonification pour ancienneté est déclaré vainqueur. L’avocat marseillais s’enflamme et dépose une réclamation. « Une fois de plus, j’ai été battu non pas en raison des résultats de la compétition mais par des astuces de procédure. » Au terme d’une plaidoirie où il évoque ses expériences malheureuses, il s’écrira : « Existe-t-il un règlement pour les Français et un autre pour les Italiens ? J’ai tendance à le croire… » Il obtiendra néanmoins gain de cause et sera déclaré vainqueur. « Mais Gaston s’en foutait parce que pour lui ce qui était important c’était de gagner le jour de l’arrivée de la Giraglia et pas sur le tapis vert », indique Félix Aubry de la Noë.

En 1978, à la gauche de Gaston Defferre, au premier plan, Félix Aubry de la Noë et John Marshall ; au deuxième plan, Hubert Devictor et Michel Vareille ; au troisième, de gauche à droite, Michel Gendron, Michel Ayasse et Daniel Cotte. © AFP

« C’était la période héroïque des voiliers de course-croisière de propriétaires. Les équipiers de Gaston Defferre n’étaient pas payés. Il y avait juste un marin qui entretenait le bateau au port. Gaston a toujours été le skipper mais il choisissait bien ses équipiers. En moyenne, on était entre huit et dix suivant les régates. »

« Gaston a toujours été le skipper. »

Par la suite, une hasardeuse modification du lest pour aligner le rating de Palynodie VI sur celui de Mandrake, lui fait perdre la raideur à la toile qui était l’un de ses atouts majeurs. Le vainqueur de 1975 ne décroche que la cinquième place dans la Giraglia 1976. L’année suivante, il gagne dans la catégorie « croisière » et n’obtient qu’une place d’honneur en 1979. Confronté à des problèmes financiers, Gaston Defferre décide de vendre Palynodie VI, mais pas à n’importe qui.

Philippe Viannay, fondateur des Glénans et ancien chef du réseau Défense de la France, est une vieille connaissance et c’est à son organisation, qui s’appelait alors le Centre nautique des Glénans (CNG), que le Marseillais propose Palynodie vi à un prix d’ami, 500 000 francs. L’affaire est pilotée par François Gomès, directeur administratif du CNG, qui est également une relation de longue date de Gaston Defferre. Association loi 1901 oblige, le projet d’achat est présenté au conseil d’administration en 1979. Il est approuvé, et Palynodie VI devient Palynodie-Glénans.

À l’époque, le secteur Méditerranée du CNG ne dispose pour la croisière et le perfectionnement des moniteurs que de Mousquetaire, 6,50 mètres hors tout. Pour l’été 1980, la location ou l’achat d’un bateau d’occasion de plus fort tonnage était envisagée. Palynodie-Glénans tombe à pic, mais la montée en gamme est brutale. Jamais on n’a connu un tel bateau. La légendaire Sereine, un plan Dervin lancé en 1952 – 12,50 mètres, 12 tonnes –, et même le Glénan, remarquable bateau de course au large de 13,50 mètres, dessiné par les architectes anglais John Illingworth et Angus Primrose, lancé en 1962, font pâle figure par rapport à Palynodie-Glénans. Les moniteurs de haute mer les plus aguerris vont vite s’en rendre compte.

Palynodie-Glénans sous spi starcut et big boy lors de la descente du golfe de Gascogne en septembre 1985 où il établit un nouveau record. © Jean-Yves Béquignon

Ils découvrent un voilier équipé de près d’une vingtaine de voiles et truffé de winchs. Le tableau de marche de la voilure dicte un changement tous les 5 nœuds de vent. Les génois, au nombre de quatre, sont hissés sur un double étai creux qui permet de les envoyer l’un dans l’autre. On peut également faire du spi dans spi, sachant qu’il y en a sept à bord : coupes triradiale, starcut, à tuyère, chacun en deux tailles, ainsi qu’un spi lourd pour la forte brise. Un big boy peut être hissé en pendant d’un spi. Le sloup peut devenir cotre : un étai largable permet d’établir une trinquette, un yankee étant alors hissé sur l’étai creux.

Une voile de cape, un tourmentin et une trinquette de spi complètent la garde-robe. Typiques du milieu des années 1970, les génois sont à très fort recouvrement. Pour embraquer les écoutes, on dispose dans le cockpit arrière d’un moulin à café qui actionne deux poupées de winchs de fort diamètre. À proximité du mât, un second cockpit permet à deux équipiers de bien s’installer pour manœuvrer les drisses, les hale-bas et balancines de spi et, le cas échéant, les écoutes de trinquette.

Autre découverte, il y a un moteur, une nouveauté qui ne se développera aux Glénans qu’à partir de 1982. L’inexpérience en la matière conduira à de nombreuses pannes et deux remplacements. Il y a aussi un WC, luxe récemment installé sur les bateaux lourds de l’association, contre l’avis du directeur technique, opposé par principe aux trous dans les coques. La cuisinière fonctionne au gaz, plus facile à mettre en œuvre que les odorants systèmes Primus à kerdane qui envoyèrent au tapis nombre d’éphémères cuisiniers. Bref, c’est Byzance, et les douze membres d’équipage du voilier « glénanisé » disposent chacun d’une bannette, plus ou moins amovible.

L’intérieur spartiate de l’époque… © Jean-Yves Béquignon

La soute à voiles occupe toute la partie en avant du mât. Elle doit être soigneusement rangée et le seul fait d’envoyer un sac sur le pont mobilise quatre personnes, deux en bas pour le pousser vers l’ouverture du panneau et deux autres sur le pont pour le tirer. Le coin cuisine est équipé d’une sangle pour retenir le cuisinier, mais en l’absence de table autre que le capot moteur, l’équipage mange sur ses genoux.

Paradoxalement, les navigations les plus tranquilles pour l’équipage de Palynodie-Glénans sont celles où il taille sa route au près dans du force 7, arisé à trois ris sous gréement de cotre. Il n’y a plus qu’à barrer un coursier fantastique qui file à 8 nœuds.

Le voilier est basé à Saint-Mandrier, en alternance avec Bonifacio, base du CNG en Corse. Selon la durée des stages, on débarquera à l’un ou l’autre port. La prudence est de mise car, même avec un tel bateau, les caprices de la Méditerranée sont redoutables. Une subtilité qui échappe à un équipage d’une dizaine de caciques bretons, arrivés par avion au cours du printemps 1980, qui se font fort de ramener le voilier sur le continent alors qu’un gros coup de mistral est annoncé. « On allait voir ce qu’on allait voir ! » Philippe Vinay, humble chef de bord qui avait amené le bateau à Bonifacio et qui n’aurait pas osé partir par une telle météo, monte dans la Citadelle, accompagné de Cathy Saint-Julien, la cheffe de base, pour les regarder de loin et apprendre des maîtres. « Le bateau avance péniblement et fait finalement demi-tour pour rentrer à Bonifacio. On les a vus revenir livides et complétement séchés, on a pris les aussières sans un mot », explique Philippe Vinay. Dans un article du Monde du 31 mai 1980, la journaliste Chantal Kimmerlin, embarquée pour l’occasion, raconte cet épisode savoureux…

L’engagement est total, et le résultat inespéré

Les stages s’enchaînent, le bateau est maîtrisé, faisant naître l’envie de participer à des courses au large, ce qui ne serait pas une première pour le Centre nautique des Glénans. Jusque dans le milieu des années 1960, la Sereine et le Glénan ont été régulièrement engagés dans les Tall Ships Races. En 1965, Glénan a remporté en classe 1 le challenge français du RORC. En 1976, il participe à la parade du bicentenaire des États-Unis à New York entre deux étapes de la Tall Ships Race. Dès août 1980, Palynodie-Glénans s’aligne au départ du trente et unième championnat international de Méditerranée qui se déroule pour la première fois en Corse. Cette course s’articule sur deux stages d’une semaine encadrés par un même chef de bord, Roland Zeitoun, renforcés par deux équipiers aguerris en course, Hervé Boutin et André Féaud. Les onze autres membres d’équipage sont des moniteurs ou stagiaires néophytes dans la discipline et changeront à mi-temps. L’engagement est total et le résultat inespéré. Palynodie-Glénans termine sixième au classement général, sur dix engagés en classe 1, montrant qu’un équipage des Glénans pouvait être dans la course.

L’expérience est donc renouvelée en 1981 : au mois d’août, Palynodie-Glénans s’inscrit au trente-deuxième championnat qui se déroule à Ajaccio. Hervé Boutin est chef de bord, André Féaud est encore de la partie. L’équipage compte douze personnes qui, cette fois, ne seront pas relevées. Les moniteurs se sont démenés mais ont pâti d’un manque d’entraînement et d’une carène dans un état calamiteux, alors que leurs concurrents quasi-professionnels bénéficiaient d’une mise au point parfaite. Ils terminent cinquième sur six classés en classe 1. Une expérience extraordinaire pour Anne Guillaume et Philippe Vinay, aujourd’hui membres du comité d’honneur des Glénans, qui n’avaient jusqu’alors jamais navigué de façon aussi exigeante.

Affalage du spi triradial par les équipiers dans le golfe de Gascogne. En 1985 toujours, mais lors d’un stage d’apprentissage où l’on joue du moulin à café pour border le génois. © Jean-Yves Béquignon

On ne trouve pas trace dans la littérature des Glénans d’une autre participation de Palynodie-Glénans à une course. Le voilier reste en Méditerranée jusqu’en 1983 et remonte en Atlantique pour la saison 1984. Les stages se succèdent au départ de Paimpol ou de Concarneau sur une vaste zone qui s’étend de l’Irlande à La Corogne. Baroud d’honneur, Palynodie-Glénans tente en septembre 1985 de battre le record du golfe de Gascogne. Après quelques jours d’entraînement, il prend le départ le 5 septembre à 20 h 02 en baie de Concarneau ; 38 heures, 12 minutes et 35 secondes plus tard, il vire l’île de Celeira (Espagne), soit une moyenne de 7,65 nœuds. Il établit ainsi un nouveau record sur un trajet aller ou retour devant Maison Kiteco (Jet Service 3), dont la meilleure moyenne avait été de 7,24 nœuds.

Cependant, les jours de Palynodie-Glénans sont comptés. La remise en état du bateau, usé par onze années de navigation intensive, est jugée trop coûteuse. Il est mis en vente pour 300 000 francs et rejoint en 1986 l’arrière-port de Concarneau. Le 18 août 1988, le voilier est francisé à La Trinité-sur-Mer sous le nom de Diva. Acheté par un particulier qui le transforme pour faire de la croisière, Diva perd ses équipements de course, notamment le moulin à café. Le cockpit de manœuvre est supprimé, ainsi que son échelle de descente, pour faire de la place dans le carré. Un enrouleur remplace le double étai creux et la soute à voiles devient cabine. L’intérieur est cloisonné pour offrir de l’intimité aux passagers. On ne sait pratiquement rien sur cette période de la vie de Palynodie VI, que l’on retrouve à Marseille en 1995. Le bateau avait son petit ponton devant la criée, négocié avec la mairie pour célébrer le retour du bateau de Gaston Defferre. Mais il ne navigue plus et son un état s’est dégradé. « Il y avait des rats à bord », confie Stéphane Mingueneau, le futur propriétaire.

« Si tu es dispo, on a besoin d’un skipper pour un bateau de course. »

Stéphane Mingueneau est un skipper professionnel qui gravite depuis 1981 dans le milieu nautique. Initialement, il se destinait, comme son père, au métier de technicien en maintenance aéronautique à la base aéronavale de Hyères en qualité de civil de la Défense. Pour cela, il a suivi un cursus complet à l’école de formation technique normale de la Délégation générale de l’Armement (DGA). Il a passé toute son enfance à bricoler avec son père et la technique le passionne, depuis le bureau d’étude jusqu’à la construction. Mais il a aussi la passion de la voile. La rencontre avec des gens préparant une coque nue pour un tour du monde, qu’il va aider pendant trois ans le soir après le boulot, le décide en 1986 à tout lâcher pour partir en bateau-stop. « J’ai fait une transat et sillonné l’arc antillais, j’avais avec moi une petite Samsonite de 20 kilos dans laquelle j’avais tous mes outils et j’étais très recherché pour mes compétences techniques. » En 1988, un équipier influent l’informe que la mairie de Grenoble cherche un skipper pour un Sélection 37 : « Si tu es dispo, on a besoin d’un skipper pour un bateau de course, c’est bien payé. » Il postule avec succès et retourne à Hyères où débute sa carrière professionnelle dans la voile. Embauché sans diplôme, il passe l’année suivante son Brevet d’État d’enseignement sportif Voile (BEES).

À l’origine, le voilier a été acheté pour courir le Tour de France à la voile. Pour essayer de le faire vivre le reste de l’année, la ville crée une association baptisée Navigation prévention Grenoble, un consortium avec tous les centres de loisirs associatifs, y compris l’aide sociale à l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, les MJC de quartier, etc., le but étant de faire naviguer des jeunes en difficulté. « Je faisais deux cents jours de mer par an en écumant tout le bassin méditerranéen. Tous les dix jours, une nouvelle équipe arrivait. Je me suis rendu compte qu’en dix jours on parvenait, avec le personnel d’accompagnement, à transformer les mômes au niveau relationnel. »

Stéphane ronge son frein. Il a pour horizon l’Afrique et les Antilles.

L’aventure dure sept ans. À mi-parcours, Stéphane émet le souhait de disposer d’un bateau plus grand, plus marin, pour continuer à naviguer l’hiver et aller plus loin. En 1991, il passe son Brevet de patron à la plaisance voile (BPPV) ; il est l’un des premiers à obtenir cette qualification créée au début des années 1990 pour régulariser une profession qui se développe. Tout en poursuivant ses activités avec la mairie de Grenoble, il monte en 1993 un syndicat dont il est secrétaire pour faire valoir le BPPV auprès de l’administration française, ainsi qu’une coopérative maritime baptisée Action mer, dont il est cogérant, pour employer des marins. Elle réunira bientôt une quarantaine de skippers convoyeurs diplômés du BPPV. L’un d’eux lui parle de Diva, dont il est gardien, et lui confie les clés. Malgré son état, il distingue le potentiel de l’ex-Palynodie VI, et décide de l’essayer pendant trois mois. L’expérience est concluante : il fait acheter le voilier par la mairie de Grenoble pour 250 000 francs.

Le technicien prend le pas sur le skipper et entreprend de redonner son lustre au voilier meurtri. La ville de Grenoble étant propriétaire du domaine de Massacan, qui donne sur l’anse de Magaud dans la grande rade de Toulon, Stéphane obtient du directeur de cet établissement, qui ne fonctionne pas l’hiver, la mise à disposition d’un espace pour remettre le bateau en état. Le chantier dure trois mois et demi au cours desquels le pont est mis à nu, le moteur changé, l’électricité et la plomberie refaites, la coque sablée et repeinte, les apparaux de pont et le gréement revus, etc. Diva est rebaptisée Palynodie.

Deux saisons en Méditerranée suivent selon le schéma devenu classique. Mais Stéphane ronge son frein. Il a pour horizon l’Afrique et les Antilles. Son projet de transat est jugé trop ambitieux par la ville, secouée par l’affaire Carignon qui a vu le premier magistrat de Grenoble écroué. Devenu en cinq ans un professionnel de l’insertion des jeunes, Stéphane décide de faire cavalier seul. On est en 1998 : il rachète Palynodie et monte un projet socio-éducatif qui alterne périodes de navigation et temps à terre dans une maison, située au Revest ; elle va accueillir un atelier bien fourni où une formation professionnelle technique aux métiers du nautisme sera mise en place.

Une fois obtenus les agréments de l’aide sociale à l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse, Stéphane prend en charge des adolescents qui relèveraient de la prison. Il les garde un an et travaille sur deux groupes de six jeunes qui effectueront chacun une transat, aller ou retour, sur Palynodie. « Je partais avec deux éducateurs et six jeunes qui prenaient vite conscience que si quelqu’un n’était pas à la hauteur, c’est tout le groupe qui en pâtissait. C’est alors qu’une belle énergie se crée. » Le voilier effectue ainsi une dizaine de transats de 1998 à 2005.

« On a bien rincé Palynodie, trois mois de transat aller, autant au retour, et quatre mois d’été tout aussi intensifs. Une fois la transat effectuée, les adolescents sont pris en charge par l’institution, le scolaire, etc. On part du principe qu’il y a eu une transformation comportementale, et ils peuvent à nouveau rentrer dans un cycle de scolarité. On a commencé à travailler avec eux le projet professionnel, si possible en adéquation avec la mer ou en tout cas la technique, et ils repartent sur le bateau pendant deux mois où on leur donne de l’autonomie : ils prennent la météo, choisissent la route, gèrent le budget nourriture. On va en Tunisie, on fait la route du Jasmin, etc. Ils sont sur le devant de la scène. »

Ce qui fait arrêter Stéphane Mingueneau, ce n’est pas le bateau. « On a battu des records de vitesse. La dernière traversée Cap-Vert-Guadeloupe, c’était onze jours à 9,5 nœuds sur le fond, 13-14 nœuds en permanence. C’est la capacité en eau douce, du bateau, 400 litres, qui nous limite. À l’époque, on n’avait pas de dessalinisateur et le bateau, quand tu as neuf personnes à bord avec tout l’approvisionnement, il ne reste pas beaucoup de place. Donc, je décide de passer sur un plus grand bateau. »

Le voilier est à nouveau déshabillé pour être encore amélioré

Ce sera la goélette Val de Marne, dont l’achat permet de mettre Palynodie en chantier en 2007. Les travaux durent quatre ans. « Tout l’accastillage de pont est déposé, l’intérieur est entièrement vidé et on laisse la coque à nu comme si elle sortait de chantier. Il n’y a plus ni câble, ni tuyau, ni vannes, rien. » Stéphane réfléchit à l’aménagement idéal, sachant que le bateau ne va plus traverser l’Atlantique ni faire de grandes navigations. « On veut un voilier performant, suffisamment volumineux pour ne pas se marcher dessus, des temps de vie à bord courts, donc l’esprit Defferre revient. Je supprime les cloisons car on n’a pas besoin de cabine, mais j’ajoute un peu de confort, un frigo, un carré où l’on peut manger à plusieurs, un peu plus d’autonomie en eau. »

Navigation en rade de Toulon, en janvier 2025, avec de gauche à droite, Stéphane Mingueneau, Caroline Couralet, Olivier Mariotti et Bruno Léger à l’embraque de génois. © Jean-Yves Béquignon

« J’organise ma flotte de la façon suivante : le grand bateau va faire les transats, et l’initiation de démarrage a lieu sur Palynodie. » Louée en charter pendant l’été, la goélette Val de Marne, rebaptisée Fetia Ura, permet de faire naviguer les adolescents à prix coûtant. En 2018, Stéphane quitte l’entreprise qu’il a créée avec Palynodie et navigue encore avec jusqu’en 2020 en embarquant des scolaires, avant de débuter un troisième chantier pour lui redonner tout l’éclat qu’il mérite. À nouveau, le voilier est déshabillé entièrement pour être encore amélioré afin de pouvoir, cette fois, être mis en vente.

Plus beau que jamais, le voilier, paré d’une robe crème soulignée d’un liseré rouge, est remis à l’eau à Toulon pour ses cinquante ans à l’automne 2024. Il porte sur sa coque Palynodie VI et son pont est recouvert de teck pour lui donner l’élégance qui convient au circuit des régates classiques. Cela ne m’empêche pas de reconnaître immédiatement celui que j’ai adoré aux Glénans et de retrouver à la barre les sensations éprouvées il y a quarante ans… ◼