
Par Jean-Yves Béquignon – Le canot tous temps (CTT) de La Ciotat a été livré en mars dernier à la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). Lors d’une sortie d’entraînement, les bénévoles de cette station des Bouches-du-Rhône expliquent leur fonctionnement et présentent Bec de l’Aigle III.
Après avoir cheminé par un temps radieux le long d’un bord de mer déjà très fréquenté, j’arrive quai Ganteaume au siège de la station SNSM de La Ciotat. J’y suis accueilli par Philippe Bisson, président depuis juin 2024, et Sarah Danglos, cheffe de pont. Tous deux préparent la sortie d’entraînement qui doit débuter vers 19 heures.Baptisé traditionnellement du nom du cap qui marque l’entrée de la baie de La Ciotat, et dont la forme évoque la tête d’un rapace, Bec de l’Aigle III – SNS 17-06 – a rejoint la station en mars 2025. C’est le sixième exemplaire du nouveau canot tous temps (CTT), initialement baptisé navire de sauvetage hauturier de première classe (NSH 1), construit par le chantier naval Couach, situé à Gujan-Mestras (Gironde). Le parrain du navire est Henri Cosquer, plongeur et aventurier renommé, connu pour la découverte de la grotte qui porte désormais son nom.
« Le premier canot de sauvetage nommé Bec de l’Aigle a fait son entrée dans le port de La Ciotat le 12 juillet 1960. Son équipement était dérisoire, comparé à nos moyens actuels. Deux moteurs de 50 chevaux avaient la lourde tâche de propulser une coque de 13 tonnes à 8 nœuds. Le bateau n’avait pas de cabine, celle-ci ayant été ajoutée ultérieurement », rappelle Philippe Bisson. Ce canot était du même type que le célèbre Patron François Morin de l’île d’Ouessant (CM 282).

« À l’époque, il n’y avait pas de système d’appel en cas d’intervention. Le patron de l’époque, François Mulet, s’était plaint dans un rapport en date du 7 février 1961, d’être obligé, lors d’une demande d’assistance, de faire du porte-à-porte pendant une demi-heure pour rassembler les canotiers », poursuit Philippe Bisson. « Aujourd’hui, nous disposons de l’application Woallen sur Smartphone qui permet de savoir en permanence qui est disponible et prévient instantanément d’une alerte sur laquelle chacun peut confirmer son engagement », explique Sarah Danglos. La station compte cinquante membres, dont trente-huit embarqués. Cinq patrons assurent chacun une semaine d’astreinte. Tous doivent être capables de rallier le bord en moins de quinze minutes. La plupart utilisent un deux-roues, vélo, scooter, moto, compte-tenu d’une circulation souvent intense à proximité de la station. Le délai d’appareillage, immanquablement respecté, est fixé à vingt minutes. L’équipage minimum est aujourd’hui de six personnes, soit un patron, un mécanicien, un radionavigateur et trois équipiers de pont.
Pour un navire de sauvetage hauturier, la vitesse n’est que relativement importante
Après trente-deux ans de bons et loyaux services, le premier canot tire sa révérence au terme d’une vie particulièrement bien remplie. En 1992, il tenait la quatrième place au niveau national pour le nombre d’interventions avec 400 sorties de sauvetage effectuées, 320 navires assistés et une centaine de personnes sauvées. Le 12 juillet 1992 arrive son successeur, Bec de l’Aigle II – SNS 075. Long de 17,60 mètres, entièrement médicalisé, équipé de deux moteurs de 400 chevaux, il est en adéquation avec l’essor fulgurant pris par les activités nautiques de plaisance et de plongée. Après 1 600 interventions en trente-deux ans de service – comme son prédécesseur –, il prend sa retraite en mars 2025.
La zone d’intervention de la station s’étend de l’île Riou, située à une dizaine de milles à l’ouest du Bec de l’Aigle, au port d’Alon qui boucle la baie de La Ciotat à 4 milles dans l’est du promontoire. En 2024, la station a effectué 52 interventions, 80 pour cent d’entre elles entre mai et septembre. Bec de l’Aigle III peut intervenir jusqu’à 20 milles de la côte, voire 50 milles sur réquisition du CROSS-MED (CM 305).
Le nouveau canot tous temps mesure 17,50 mètres de long sur 5,30 mètres de large. Construit en matériaux composites (polyester), il est propulsé par deux moteurs John Deere de 750 chevaux chacun. Il peut atteindre 25 nœuds. Avec 3 000 litres de gasoil, son autonomie théorique est d’environ 340 milles nautiques. Cependant, à 25 nœuds, la consommation est sévère : 250 litres par heure. Ce qui n’est pas du goût de Philippe Bisson qui veille aux finances de la station. À 20 nœuds, on tombe à 200 litres par heure.
Pour un navire de sauvetage hauturier, la vitesse n’est que relativement importante. Dans le gros temps, il est rare de dépasser 15 nœuds, ce qui est déjà une belle performance. Conçu pour assurer des missions de sauvetage en haute mer, le canot est autoredressable et compartimenté comme un bâtiment de guerre. Bec de l’Aigle III arbore la nouvelle livrée dessinée par Philippe Starck, alors que d’autres stations, comme Molène et La Cotinière, ont préféré conserver les couleurs historiques des CTT de la SNSM.

Il a coûté 2,5 millions d’euros. Le département des Bouches-du-Rhône et la région PACA ont donné chacun 450 000 euros, la station 300 000 euros. Le siège de la SNSM a bouclé le budget avec 1,2 million d’euros. Les plaisanciers sont vivement incités à faire des dons pour garantir la pérennité de la SNSM, et leur sécurité en mer…
Philippe Bisson m’entraîne à bord. Bec de l’Aigle iii et son prédécesseur sont amarrés de part et d’autre du ponton de la SNSM. De longueur identique, le nouveau canot se distingue de l’ancien par sa largeur. Sa plage arrière beaucoup plus importante augmente à la fois les facilités de déplacement et la stabilité de plateforme, deux éléments déterminants pour les hélitreuillages. Accolé au tableau arrière, un nouveau dispositif basculant, baptisé « écope », est destiné à la récupération des hommes à la mer, ainsi que des plongeurs. Il devrait grandement faciliter cette manœuvre. Un croc de remorquage largable sous tension équipe la bitte dédiée. En surplomb sur bâbord, un poste de pilotage extérieur et déporté permet de diriger le navire en gardant la vue sur l’arrière.
De larges passavants bien défendus permettent de rejoindre la plage avant où sont saisis les deux radeaux de survie. En se retournant vers la mâture, on découvre de nombreux équipements, dont une caméra thermique ainsi qu’un projecteur de forte puissance équipé de lampes à leds qui complètent les deux projecteurs de recherche installés à l’avant et à l’arrière. La mâture supporte aussi les antennes radar, Iridium, VHF et AIS. Rien ne manque !
L’équipage est en phase d’appropriation de son nouveau canot
À l’intérieur, sur bâbord, une large banquette médicalisée peut accueillir le plan dur nécessaire aux blessés de la colonne vertébrale. Une bouteille de 15 litres d’oxygène permet de traiter un plongeur en détresse quand le canot intervient sur un accident lointain. Le poste de conduite est situé à tribord avant. En vis-à-vis sur bâbord, se trouve celui du radionavigateur et derrière, un troisième poste est réservé à celui qui assurera la fonction de coordinateur de l’opération de sauvetage – on scene commander. Les trois postes sont bardés d’écrans tactiles, qui évoquent la passerelle d’une frégate moderne. Un système de caméras permet de visualiser la salle des machines.
Une trappe sur laquelle figure l’inscription « Fermé à la mer » – retour d’expérience de l’accident du canot des Sables-d’Olonne Patron Jack Morisseau, survenu en juin 2019, qui a coûté la vie à trois sauveteurs, dont le patron –, permet d’accéder à un vaste poste d’équipage où s’alignent les équipements des sauveteurs sur des cintres. On trouve parmi ceux-ci deux tenues de pompiers lourds.

Le président souligne l’existence d’un compartiment toilettes enfin décent. Un détail qui n’en est pas un, compte tenu de la féminisation croissante des équipages de la snsm. En partant sur l’arrière se trouvent, successivement, isolés par des portes étanches, le compartiment gasoil et la salle des machines qui abrite les deux moteurs. « Sur le précédent canot, on avait des moteurs iveco de camions et maintenant on a des John Deere de tracteurs et on va un peu plus vite », remarque en souriant le président. Plus sur l’arrière, se succèdent la pompe hydraulique principale, une pompe électrique de débit moindre et le local barre. Bien normalement, tout cela sent le neuf.
Retour sur la plage arrière où se déroule un exercice de mise en œuvre de la barre franche de secours, similaire à celle d’un voilier de plaisance. Elle permettra de rentrer au port, mais pas à 25 nœuds. L’appareillage s’ensuit, les secousses imprimées au navire par les moteurs à peine embrayés témoignent de leur puissance.
Naguère, les canotiers étaient naturellement issus de la pêche, de la marine marchande et de la Marine nationale
L’équipage est en phase d’appropriation de son nouveau canot. Les exercices sont basiques. En sa qualité de cheffe de pont, Sarah Danglos coordonne un mouillage. Peu après, le patron détaille la mise en œuvre du système d’extinction automatique de la machine. Un membre d’équipage lit à haute voix les instructions inscrites sur le coffret et les effectue scrupuleusement devant ses coéquipiers attentifs.
Le recrutement est une préoccupation majeure du président. Naguère, les canotiers étaient naturellement issus de la pêche, de la marine marchande et de la Marine nationale. Ces marins se faisant plus rares, les plaisanciers ont en partie pris le relais. Pharmacien en retraite, plaisancier aguerri et adepte convaincu du bénévolat, Philippe Bisson a gagné ses galons de patron au centre de formation de la SNSM de Saint-Nazaire (CM 245) et avec l’expérience. « Aujourd’hui, j’accueille parfois des gens qui n’ont aucune expérience maritime. Nous les formons en interne et c’est souvent plus simple que de changer de mauvaises habitudes. »
La station dispose également du SR 6-008 Gilles Pons, un semi-rigide de 6 mètres équipé d’un moteur de 150 chevaux utilisé pour les interventions rapides et proches de la côte. Ainsi gréée, l’équipe SNSM de La Ciotat est capable de pallier l’inexpérience d’une quantité croissante de plaisanciers, peu familiers de la mer en général, et des caprices de la Méditerranée en particulier. ◼