Vous savez peut-être, comme ça se faisait à Sein il n’y a pas si longtemps, prédire le vent du lendemain en examinant un hippocampe séché sous la charpente de votre maison… Mais savez-vous l’expliquer en breton ? Et si oui, dans le breton bien particulier de l’île ? Un expert le raconte dans Paroles de Sénans, en VO – avec une traduction française –, dans ces mots qui font une bonne partie de la saveur de la chose. Ce livre tout récemment paru, enthousiaste, exigeant, témoigne de l’importance du collectage et de la transmission… aussi pointu soit le sujet.

Paroles de Sénans est signé du spécialiste des dialectes bretons Pierre-Yves Kersulec et de Yann Riou, enseignant en mathématiques dont on connaît l’intérêt de longue date pour le breton et les cultures littorales – on lui doit notamment Paroles de gabariers (CM 242), consacré aux marins de Lampaul-Plouarzel, puis Marins et bateliers (CM 292) cosigné avec Henry Kérisit et dédié à l’île de Batz.

Dans ce premier volume, les deux auteurs ont rassemblé une partie du collectage oral qu’ils réalisent depuis un peu plus de dix ans sur l’île de Sein. « À vrai dire, précisent-ils, bien peu de communautés maritimes bretonnes ont eu la chance de voir leur histoire racontée par leurs membres dans la langue de travail du temps de la navigation à voile », citant les publications de Fañch Elégoët autour des Plouguernéens et celui de Gwendal Denez à Douarnenez. La parution de ce Paroles de Sénans est d’autant plus remarquable qu’elle a pu se faire à partir d’enregistrements très récents, alors qu’on sait la disparition avancée de la plupart des dialectes bretons du littoral.

Ces ethnotextes n’ont été ni réécrits ni retouchés – contrairement à leur traduction en français, revue pour éviter la répétition ou faciliter la compréhension. Pour plusieurs raisons : restituer fidèlement le dialecte sénan, laisser la parole aux inizourien – les habitants de l’île – sans chercher à modifier la réalité, et enfin prolonger la somme publiée en 2006 autour des sloups de Sein dans le quatrième tome d’Ar Vag, la bible de la voile au travail en Bretagne atlantique, qui n’avait pas pour priorité l’étude de la langue.

Si, on l’a compris, le propos essentiel est au breton de Sein, catégorie «pêche» pour ce premier tome, les amateurs du maritime non bretonnants y trouveront plus que leur bonheur, qu’il s’agisse de mieux connaître un toponyme lu sur une carte marine, de comprendre que Mor Diou désigne la « mer de droite » (au Sud) et Mor C’hlei celle la « mer de gauche » (au Nord) quand on regarde le continent depuis l’île. On est plongé tout simplement dans la vie maritime de Sein, de la description des vêtements de mer à l’art d’emprunter les chenaux, en passant par le détail de chaque pêche et celui du navire. Bref, même pour ceux qui ne connaissent pas la langue qu’il explore, voilà un livre qu’on parcourt avec bonheur à la découverte d’une histoire, de techniques, de croyances, d’un état d’esprit… Un livre qu’il faut d’ailleurs soutenir, pour que paraissent les deux prochains volumes – après ces entretiens essentiellement masculins viendront la vie, le travail sur l’île et à la maison, la famille… G.J.

> Paroles de Sénans – La pêche, de Pierre-Yves Kersulec et Yann Riou, Yoran Embanner, 464 p., 30 €