Le passage du Nord- Ouest, mémoire de Bernard Albizu

par Bernard Albizu

Quand les Espagnols et les Portugais, découvreurs et conquérants du Nouveau Monde et de l’Extrême-Orient eurent cadenassé les routes maritimes du Sud, les autres nations européennes allèrent à la recherche de nouvelles voies reliant par le nord l’Atlantique au Pacifique.

Les attaques directes plein Nord par l’archipel des Svalbards (Spitzberg)  se heurtèrent à la grande banquise infranchissable de l’océan Arctique.

La dernière expédition navale qui s’y risqua fut celle du Capitaine Burchen en mai 1818. Le second du capitaine était le lieutenant John Franklin, alors âgé de 33 ans. Ce fut un échec total et rapide. On en tira deux conclusions : Le passage recherché se trouvait ailleurs, et la conquête éventuelle future du Pôle-Nord nécessiterait, après une approche navale, un raid pédestre sur la glace.

Les recherches se poursuivirent donc le long des côtes des continents Américains et sibériens. Cette dernière paraissait plus rassurante aux expéditions grâce à la présence d’établissements habités échelonnés sur le rivage. Mais c’était aussi une chasse gardée de la Russie. Les Anglais furent donc enclins à de diriger à l’ouest, sur les bords de leurs possessions canadiennes.

Les expéditions commencèrent très tôt :

  • John Cabot en 1497 au Labrador
  • Jacques Cartier 1536 : bouches du Saint Laurent (Français)
  • Frobisher 1576 : Terre de Baffin 1577 : Groenland 1578 : Terre de Baffin
  • John Davis 1585 détroit de Davis
  • Hudson (de nationalité Hollandaise) 1610 baie d’Hudson
  • Baffin 1616 mer et terre de Baffin
  • Middleton 1741
  • Phipps 1773 (vers le Spitzberg avec le jeune lieutenant Horacio Nelson)
  • John Ross & Parry 1818 Détroit de Lancastre
  • Burchen 1818 vers Spitzberg
  • Parry 1819 Détroits de Lancastre et du Prince Régent, détroit de Barrow, Melville Island
  • Parry 1821 détroit d’Hudson
  • Parry 1824 golfe de Boothia
  • John et James Ross 1828
  • John Franklin 1845 désastre consommé au printemps 1848

Nous arrêterons la série à cette dernière tentative, que nous allons étudier plus particulièrement. Il est malgré tout intéressant de retenir deux expéditions à terre, sur le continent canadien, dirigées en 1819 et 1823 par P.W.Dease (de la compagnie de la baie d’Hudson) et le jeune John Franklin. Les zones explorées s’étendaient à l’est de Coppermine, et dans le bassin aval du Fleuve Mackenzie.

 

JOHN FRANKLIN  à la recherche du passage du Nord-Ouest

Juin 1845 : Départ des deux vaisseaux de sa Majesté « Erebus » et «  Terror ».  Officiers commandants : Rozier et Fitzjames. Commandant en chef : amiral John Franklin. Effectif total 134 (ou 138) personnes. Provisions pour trois ans

Fin juillet 1845 : Le baleinier « Entreprise » du capitaine Martin rencontre J.Franklin dans le détroit de Lancastre.

Janvier 1847 : Aucune nouvelle de l’expédition. Sir John Ross suggère l’envoi d’une expédition de secours. Proposition refusée : « si ça se trouve les deux navires sont en train de traverser le détroit de Behring » (cité par L.P. Kirwann.)

Déjà en 1845, J. Ross avait émis l’idée qu’il serait utile de préparer une expédition de secours. Elle fut refusée par Franklin « Comme une absurdité » (L.P. Kirwann p184.)

Beechey et King proposeront l’envoi de secours par la Rivière Great Fish. Réponse : «  Comment le contenu d’un seul canot pourrait il secourir 134 personnes en difficultés » lui fut-il répondu !

Quelques mois plus tard, cependant, l’heure fatidique de la fin des provisions ayant sonné (3 ans), il fallut se résoudre à agir, à la fois par mer, et par terre sur les rives canadiennes de l’Océan Arctique. Mais hélas, malgré le pathétique espoir de Lady Franklin, le but de ces efforts ne pouvait dorénavant être que le recueil des restes de l’infortunée expédition.

Dans les  10 ans qui ont suivi, pas moins de quarante expéditions furent organisées, et l’on vit même quinze navires déployés en même temps.

Parmi eux :

1848 : James Clark Ross (Et son jeune lieutenant McClintock)

1850 : Collinson et McClure partis du détroit de Behring. Ce dernier, bloqué dans les glaces et secouru par une expédition partie de l’est, eut ainsi l’occasion de boucler en entier, mais en partie à pied, un passage du Nord Ouest en 1853. Il en eut le mérite le premier, mais le défi véritable consistait à faire cette traversée sur un seul bateau….

1850 : L’américain de Haven retrouve les restes du 1er hivernage de Franklin sur l’ile de Beechey à proximité de l’entrée du Canal de Barrow. Il trouve aussi les tombes de trois hommes avec seulement leur nom et la date de leur décès : un mécanicien, un matelot, un marine (infanterie de marine.)

Mars 1854 : Les membres de l’expédition sont déclarés «Morts au service de sa Majesté ». La veuve de John Franklin refusa sa pension de veuve en signe de protestation contre l’arrêt des recherches.

Octobre 1854 : Le docteur Rae de la compagnie de la baie d’Hudson retrouve de nouveaux restes de l’expédition sur le continent, le long de la Buck River (ou Great fish River) : trente squelettes de membres de l’équipage de Rozier sur lesquelles on observe des traces indubitables de l’utilisation de  « la dernière ressource » (l’anthropophagie.)

1857 : Lady Franklin, suite à un appel public, organise alors une nouvelle expédition commandée par le Capitaine McClintock. Son navire le « Fox », après deux hivernages découvre le site où l’Erebus et le Terrer ont eux même hiverné deux fois avant d’être abandonnés. Un cairn est retrouvé sur la Terre du Roi Guillaume en 1859, contenant un document.

Ce document à été rédigé à deux dates différentes par deux auteurs différents (Cf Le passage du Nord Ouest, introduction Chantal Edel et J.P. Sisse Ed.Phébus)

Le 1er texte en date du 22.5.1847 précise que « tout va bien » et que les navires ont hiverné pour la 2ème fois. (Rédigé par le lieutenant Gore.)

Le deuxième, rédigé par le Capitaine FitzJames en avril 1848 indique que le 11 juin 1847 (soit 2 semaines et demi après le «  tout va bien ») J.Franklin était mort ainsi que 9 officiers et 15 hommes. Et que le 28 avril 1848, après un 3ème hivernage, les deux navires encore bloqués par la glace ont été abandonnés, les 105 rescapés se dirigeant vers la Rivière du Gros Poisson. (Buck River ou Great Fish river.)

1878 : A environ 100km  au sud du site d’abandon des navires, une expédition américaine découvre un canot chargé sur un traineau, deux squelettes avec leurs fusils. Et plus loin repose un squelette identifié comme celui du domestique d’un officier.

Ceci fut la dernière des expéditions de recherche de Franklin.

2014 : Le mystère reste entier sur les causes et les péripéties du désastre. Des chercheurs canadiens ont retrouvé l’épave de l’un des navires, probablement l’Erebus, échoué et coulé au fond du détroit de Victoria sur la côte canadienne.

Le navire, enfin libéré des glaces a-t-il dérivé tout seul ? Un groupe de marins est-il remonté à bord et dirigé le bâtiment vers le sud ?

 

LES REACTIONS

Durant cette longue période de recherches, l’émotion fut très vive en Europe et en Amérique du Nord. Elle fut entretenue par l’énergie, l’obstination et l’abnégation de Lady Jane Franklin, deuxième épouse de Sir John Franklin. Elle sillonna le monde pour susciter des expéditions de recherches et en organiser même au détriment de sa fortune personnelle.

Le gouvernement de Sa Majesté, et plus particulièrement la Royal Navy, organisa une campagne considérable grâce à la presse, les conférences, et les cérémonies d’hommage glorifiant le courage, l’abnégation, le sacrifice et le patriotisme de Sir John et son équipage.

On baptisa « District Franklin » une énorme bande de l’archipel Nord Canadien allant de 120° longitude Ouest (Terre de bank) au 75° (Terre de Baffin)

Le bras de mer reliant le détroit de Barrow au détroit de McClintock devint « détroit de Franklin ».

Et pourtant une règle tacite (« Pôles »- Ed. Peisson. Grasset) édicte que : « On ne donne pas son nom à une voie d’eau découverte si on l’a seulement traversée. Il faut en établir si soigneusement la carte que d’autres bâtiments puissent s’y engager en toute sécurité, et rédiger un rapport solidement étayé par le compte rendu des travaux auxquels on s’est livré. »

On est loin du compte ici : Franklin ne laissa rien de tout cela derrière lui.

On fit mieux encore : La chambre des Communes avait accordé à McClure un prix pour avoir le premier découvert et parcouru en 1853 (en partie à pied) un passage du Nord-Ouest par le détroit justement appelé de McClure, rejoignant par la Mer de Melville les détroits de Barrow et de Lancaster.

Mais lorsque les restes de l’expédition Franklin furent découverts, Lady Jane revendiqua la primauté de la découverte d’un passage du nord-ouest en 1846 par l’équipe de son mari. Ce dernier, 23 ans auparavant en 1823 avait reconnu, en venant de l’ouest, le détroit de Dease (En compagnie de ce dernier) qui aboutit à la mer de la Reine Maud et au  détroit de Simpson, tous deux reconnus en 1839 par Dease et Simpson et qui reçoivent le fleuve Burck River. Or c’est en c’est endroit que trente squelettes découverts par le Docteur Rae témoignent du passage des tristes compagnons de l’expédition perdue.

Ce ne fut pourtant qu’après lecture du document contenu par le cairn retrouvé par McClintock que la Royal Géographie Society donna raison à Lady Jane :

Le lieutenant Gore pour le compte de J.Franklin avait manifestement reconnu le débouché du canal de Simpson sur la mer de la Reine Maud déjà explorée précédemment et qui donne sur l’ouest au détroit de Dease que justement le jeune Franklin avait visité en 1823. L’expédition Franklin, en quelque sorte, avait donc reconnu la partie inconnue d’un passage du Nord-Ouest.

Le processus est bien plus compliqué que celui de McClure, mais les autorités Britanniques n’avaient rien à refuser à Lady Jane que avait, heureusement pour elles, le bon goût de ne pas les attaquer en responsabilité pour la catastrophe.

Finalement, pour le premier passage du Nord-Ouest, c’est l’exploit de McClure qu’a retenu l’Histoire.

Mme. Franklin fit construire une plaque de marbre qui fut érigée sur l’ile Beechey du détroit de Lancastre

 

« A LA MEMOIRE DE FRANKLIN – ROZIER – FITZJAMES

Officiers et fidèles compagnons qui ont souffert et péri pour la cause de la Science et pour la gloire de leur Patrie… »

 

Il convient de remarquer ici que le moteur des grandes expéditions est désormais le service de la science et la gloire de la Patrie. Depuis le 16ème siècle, le désir initial était la recherche d’une voie maritime commerciale vers Cathay (chine) el l’Asie du Sud Est : le «  PASSAGE DU NORD OUEST » (en majuscule) et celui du Nord Est ».

Les extrêmes difficultés rencontrées dans les zones glaciaires au Nord des continents avaient lentement prouvé qu’une ligne commerciale était un rêve impossible. Une autre constatation fut  l’extrême complexité de la zone Nord Canadienne et la probabilité d’itinéraires maritimes nombreux mais tortueux, difficiles et encombrés de glaces.

Le défi (« challenge » pour les anglais) fut alors de découvrir le premier un passage (en minuscule)  du Nord ouest; McClure fut déclaré champion.

Il restait alors le défi sportif suprême, le PASSAGE DU NORD-OUEST (à nouveau en majuscule), d’un navire de l’Atlantique au Pacifique.

Le gagnant fut Amundsen le 30 Août 1906.

Son exploit s’accompagna de très sérieuses études sur la géographie, la climatologie, le magnétisme terrestre et la glaciologie, alliant ainsi la Science à la gloire de son pays…et de lui-même.

Le dernier défi, sans aucun intérêt scientifique (cf L.P.Kirwan), fut la conquête du Pôle Nord par Peary le 6 avril 1909

Mais il restait encore le Pôle Sud… !

 

LES CRITIQUES

L’expédition Franklin, qui devait être l’apothéose de la gloire du Royaume Uni et de la Royal Navy, s’est révélé un échec total, cruel et effroyable.

Et pourtant, au constat du désastre, une campagne médiatique d’une exceptionnelle amplitude a mis en avant le courage, l’abnégation, la dévotion à la science et à la patrie et le sacrifice final.

Personne n’a osé opposer la moindre critique défavorable à la conception, l’organisation, les équipements, le déroulement, la qualité des équipages et des officiers, ni au rôle de la veuve du Chef qui a poussé son vieux mari dans une aventure qui l’aurait dépassé. Aucun journal, aucun parti politique, aucune Société Savante, aucun Chroniqueur ne s’est publiquement posé de questions.

Des spécialistes aussi talentueux qu’expérimentés que les McClintock, James Clark Ross et bien d’autres ont pourtant dû analyser les causes et les circonstances du drame.

Tous les capitaines partis à la recherche des disparus, tous les explorateurs qui ont repris le flambeau de la recherche du passage du Nord-Ouest ont systématiquement pris le contrepied de l’ensemble des dispositions de l’expédition perdue. Il est normal d’analyser les causes des échecs pour en tirer des leçons mais ce rejet unanime équivaut à une condamnation implicite, même si elle n’est pas clairement exprimée.

Ainsi Jules Verne dans un roman « les aventures du Capitaine Hatteras » Ed.Hetzel paru en 1867 et dont l’action se passe en 1860 fait dire à ses héros : Il faut « acheter des peaux de phoque, des traineaux et des chiens, tout l’attirail que comporte un voyage dans les mers arctiques ». Mais il n’ajoute pas que Franklin a omis de le faire.

Amundsen, en 1903, s’autorise des commentaires plus directs «  Ceux qui sont partis trop nombreux sont morts de faim » (relevé par E.Peisson dans « Pôles » Ed. Grasset (p.72) paru en 1952.)

L.P.Kirwann dans « History of polar exploration » Ed. A.Penguin Book paru en 1959 enveloppe sa critique d’une façon étonnante. A propos de la reprise par la Navy des explorations polaires après les guerres Napoléoniennes en 1805 il cite p 95 :  « Ils (Officiers et équipages NDLR) voguèrent vers un monde inconnu de neige et de glace, pleins de la robuste confiance de l’ère Victorienne. Leurs uniformes aux standards de la Navy étaient plus adaptés à Portsmouth qu’aux zones polaires et les échantillons de la lourde argenterie réglementaire des carrés ont survécu  dans les émouvantes reliques des tragédies arctiques du 19ème siècle. »

Il n’a pas osé ajouter que l’expédition Franklin, 45 ans après Waterloo, avait suivi les mêmes règles. Comme le chapitre consacré à ce dernier débute 80 pages plus loin dans son livre, cet oubli lui sera pardonné.

 

LA REVUE DE DETAILS

 

Les Navires : L’Erebus et le Terror 

Ce sont d’anciens « bomb-carry mortars » ou « bombs », navires de guerre de la Royal Navy armés à l’origine de 12 canons er de 2 énormes mortiers lanceurs de bombes explosives (du genre des crapouillots de la guerre de 14 qui lançaient des « marmites ».)

Du type « trois mâts- barque », leur déplacement est d’environ 370 tonnes et leur longueur de coque 32 mètres pour 8,80 m de largeur.

Ces «bombs » ont depuis longtemps été choisi par la Royal Navy pour les expéditions polaires, grâce à solidité  de leur construction, nécessitée par les énormes reculs des monstrueux mortiers : ponts doublés et entretoisements intérieurs nombreux. De plus pour la navigation dans le glace les quilles et les proues ont été renforcées et blindées, et les carènes doublées de cuivre.

Les exemples sont nombreux :

  • En 1741 Furnace du capitaine Middleton vers la baie d’Hudson
  • 1773 Race-Horse et Carcasse de Constantin Phipps vers le Spitzberg
  • 1818 Dorothéa et Trent vers le Spitzberg (avec le jeune lieutenant John Franklin
  • 1819 Hécla de Parry vers le détroit de Lancastre
  • 1821 Fury et Hécla de Parry vers le détroit d’Hudson et le golfe de Boothia
  • 1827 Hecla de Parry vers le Spitzberg (avec Crosier comme lieutenant)
  • 1840 Surtout l’expédition de James clark Ross vers le continent antarctique sur l’Erebus et le Terror (avec le lieutenant Crozier)

Au 64ème degré de latitude sud, ses navires rencontrèrent la banquise qui avait repoussé les multiples attaques de Cook 50 ans auparavant. A sa grande surprise, il trouva le pack disloqué. Quelle que fût la « densité de glace » (1), confiant dans l’exceptionnelle robustesse de ses navires, Ross les lança toutes voiles dehors au milieu des blocs de glace. Ce fut une décision hardie, sinon hasardeuse, mais le résultat démontra que le bon chef et les bons navires furent au bon endroit au bon moment. Ross fut le premier à mettre pied sur le continent antarctique. Le Shelt de Ross, grand golf entièrement glacé en permanence porte son nom et les deux sommets environnants furent baptisés du nom de ses navires : le volcan Erebus (4060) et le Mont Tertor (3280)

La nouvelle expédition de 1845 avait donc la chance de disposer de deux navires ayant fait très honorablement leurs preuves dans l’antarctique et dans l’arctique.

Ce type de « bomb », qui se révéla parfait sous les ordres de James Ross était il bien adapté à l’archipel Nord-Canadien morcelé en dizaines d’îles et de presqu’iles aux formes tourmentées, aux chenaux étroits et tortueux et aux fonds inconnus ?

Il s’agissait d’un navire de guerre destiné aux attaques côtières sur les villes et les ports :

Pour pouvoir suivre les escadres, il lui fallait une voilure développée : 3 mâts barque à 3 étages de voilure : Voile basse, hunes, perroquet.

Son armement de 12 canons et surtout de 2 mortiers lourds chargeait les hauts du navire.

Ces deux caractères d’instabilité auraient imposé un lest important sur une quille profonde. Mais la nécessité de se rapprocher des côtes pour ses attaques dépendait au contraire d’un tirant d’eau raisonnablement faible. La solution était donc une stabilité de forme, un navire large aux proues et poupes peu élancées : un gros boudin à fond plat en somme. (1)

Il en résultait deux défauts :

  • Difficulté de s’insérer dans des chenaux étroits au milieu des glaces
  • Voilure très compliquée nécessitant un équipage nombreux, mais dont les voiles hautes seraient bloquées par les embruns verglaçants de la fin des rares semaines d’été.

« L’Hermione » frégate de plus grande taille mais à la voilure à 3 étages semblable, comporte 1000 poulies et 1800 mètres de gréement courant, qui deviendraient sur notre « Bomb » 1000 boulets et 1,8 kilomètre de barres de glace.

C’est pourquoi Amundsen avait,  en 1905, choisi un cotre à hunier comportant seulement des voiles basses : grand voile et deux focs, ou hunier unique par vent arrière. Ces rares éléments du gréement pouvaient être débloqués de leur gangue de glace et manœuvrés par les 2 hommes de la «bordée»  de quart.

 

Un ou deux navires ?

Les statistiques de l’utilisation des « Bombs » citées précédemment indiquent une nette préférence pour deux bâtiments navigants « de conserve »

  • Pour son premier voyage Cook affréta le seul Endeavour en 1773 mais, après avoir échappé de justesse à un naufrage, son deuxième voyage associa Adventure et Résolution.
  • Parry en 1819 partit avec le seul Hécla mais, en 1821, il choisit «Fury » et «Hécla ». Bien lui en prit, car l’un des deux fit naufrage et le deuxième recueillit tout le monde.
  • Dumont d’Urville navigua en 1822 avec la seule Coquille mais, en 1826, il partit avec L’Astrolabe  (ancienne Coquille rebaptisée) et la Zélée.
  • James Clark Ross sur Erébus et Terror 1839 en antarctique.
  • Bougainville fit le tour du monde avec la seule Boudeuse.
  • La Pérouse en 1788 fît naufrage à Vanikoro avec ses deux vaisseaux Astrolabe et Boussole.

On sait ce qui advint des Erébus et Terror que Franklin dut abandonner prisonniers des glaces.

Après cette dernière catastrophe, les habitudes changèrent :

  • McClure sur Investigator et McClintock sur Fox optèrent pour un seul navire.
  • Quant à Amundsen, cité par E.Peisson, son opinion sur l’expédition Franklin est catégorique :

« Pourquoi avoir appareillé avec deux navires : 120 (sic) hommes à nourrir pendant 3 ans et davantage, ils étaient trop nombreux. Il faut partir avec un bâtiment de petit tonnage et une poignée de camarades ».

Sa réussite lui donna raison. Une raison qui semble maintenant dérisoire a pu influencer Franklin. Un amiral commandant un seul navire, c’est inadmissible, sinon « shoking ». Il fallait un « flotte » d’au moins deux navires !

 

LES HOMMES

 

Le chef

John Franklin naquit en 1786. Elevé au grade de Chevalier, il devînt Sir John Franklin.

En 1818, jeune lieutenant de la Royal Navy de 32 ans, il participa comme second de David Buchan à une expédition vers le Passage du Nord Ouest via le Spitzberg. Ce fut un échec total (« total failure » selon L.P.Kirwan). Une tempête à l’ouest du Spitzberg les obligea rapidement à revenir à terre. A la reprise de leur voyage vers le Nord, ils furent pris dans la banquise et purent s’en échapper quelques jours après pour un retour sur le Spitzberg et l’Angleterre.

En 1819, une expédition terrestre partit de la Baie d’Hudson pour explorer la côte nord du continent à l’est de l’embouchure du fleuve Coppermine. Une équipe mal assortie fut réunie, qui rassemblait un groupe de marins de la Navy, des guides et interprètes Indiens, des commis de la « Compagnie de la baie d’Hudson » et la « Compagnie du Nord-Ouest » sous le commandement du Chief Factor Dease.

La présence du détachement de la Royal Navy imposait le commandement général par l’officier de celui-ci, le jeune lieutenant Franklin (33ans). Mais Dease par son expérience et son sens du commandement était probablement le vrai chef malgré sa qualité de « civil » et de « commerçant ».

En 1823  2ème expédition de la même équipe. Le bilan fut la reconnaissance et la cartographie de la côte nord continentale de part et d’autre du fleuve Coppermine : à l’est jusqu’à Turnagain (sur le détroit de Dease) et 400 miles à l’ouest vers le fleuve Mackenzie.

Les récits de leurs aventures dans la presse et les conférences retinrent l’attention passionnée du public et Franklin devint un héros national : descentes en canots des rapides, la famine dans les Barren Grounds (terres désolées), la traitrise et la mutinerie et même le cannibalisme (attention !…seulement chez les indiens et naturellement pas chez les marins Anglais !… «of course ».)

Comme le font remarquer Chantal Edel et Jean Pierre Siere (« Le Passage du Nord-Ouest » Ed.Phebus), Franklin engrangea une «foule de données qu’il se réserva d’exploiter plus tard ».

Cependant rien n’a jamais été publié que les nombreux interviews et les conférences dont le succès gagne toujours à la relation de faits glorieux ou tragiques du genre famine, mutinerie, cannibalisme, plutôt que des arides cartographies et autre magnétisme des zone polaires.

20 ans plus tard, l’Angleterre se souviendra encore du héros au moment où celui-ci fut nommé chef de la grande expédition de 1845.

JP Kirwan cite le jeune lieutenant Irving, membre désigné pour le futur voyage : « nous sommes commandée par un beau vieux camarade dont vous avez entendu qu’il avait dû  jadis manger ses bottes ».

 

Qu’a fait Franklin durant ces 20 ans ?

On le retrouve gouverneur de la Tasmanie en compagnie de sa 2ème épouse Jane, où il reçoit en 1840 la visite à l’aller comme au retour de l’expédition de James Clark Ross vers le pôle sud. Des grandes fêtes furent organisées dans un grand enthousiasme par l’infatigable et énergique épouse du gouverneur.

Franklin fut rappelé à Londres à la suite d’une sombre histoire fomentée par un intrigant subordonné malintentionné que Franklin avait limogé. Le gouverneur « avait-il été faible ou incompétent, peut être indécis et manquant d’énergie ?»

En conclusion Franklin n’avait aucune expérience de navigation dans les zones polaires (sauf 5 jours au nord de Spitzberg), aucune expérience d’hivernage dans les glaces et son talent de meneurs d’hommes était plutôt  douteux.

 

Le choix du chef

John Barrow, secrétaire à l’amirauté de 1804 à 1844, principal fondateur de la « Géographical Society », surnommé « père des explorations arctiques britanniques » était un technocrate passionné mais sans expérience personnelle de la navigation polaire.

Ardent défendeur du Royaume Uni en lutte à la concurrence de la Russie puis des Etats Unis, son obsession pendant des décennies fut la découverte du Passage du Nord Ouest.

La grande expédition qui devait partir en 1845 était censée se dérouler comme une croisière rapide et triomphante : le plan initial la dotait de seulement d’un an d’approvisionnements.

Son commandement devait normalement revenir au plus compétent des capitaines en service, James Clark Ross, qui revenait couvert de gloire de son expédition en Antarctique, gloire tout à fait méritée. Mais Ross refusa : il avait promis à son épouse qu’au retour de l’antarctique, il abandonnerait se activités polaires.

Restait alors comme « expert »( ?) de classe nationale Sir John Franklin. Ses « exploits » passés était encore légendaires et s’étaient déroulés dans le Nord Continental Canadien dans les parages que l’expédition nouvelle allait fréquenter. Mais il était âgé de 59 ans, ce qui est beaucoup pour une dure aventure polaire. Sa réputation n’était malgré tout pas sans tâche. Son rappel du gouvernement de Tasmanie était resté quelque peu mystérieux. Et c’est en partie pour restaurer le lustre de son nom que Madame et Sir John tenaient tant à ce commandement. La deuxième épouse de Sir John, Lady Jane, qui fut à Hobart l’arbitre de la vie sociale de Tasmanie, continua à briller dans les cercles mondains Londoniens. Son intense lobbying réussit. Son mari fut déclaré le plus apte et Sir Edward Parry ajoute « Si on ne le laisse pas y aller, il mourra de désappointement » (L.P.Kirwan.)

Il est piquant de constater que James Ross n’y alla pas à cause de son épouse, tandis que Franklin y alla grâce à la sienne.

Un homme de la trempe de J.Ross avait-il pressenti une aventure catastrophique et s’était-il retranché derrière un prétexte futile ?

En 1848 toutefois James Ross commanda une expédition de secours sur l’Entreprise et L’Investigator avec le jeune McClintock comme lieutenant (son épouse avait dû réviser sa position ,  étant donné le but humanitaire de l’expédition.)

 

Les équipages

La flotte de l’Amiral Franklin était une escadre au sens strict des traditions de  la Royal Navy. Les équipages étaient fort probablement composés  en conséquence :

  • L’amiral et son état-major : secrétaire, majordome, valet de chambre etc…
  • Le commandant du navire, son second, ses trois lieutenants, son valet, son chef de canot etc…
  • Le navire ayant conservé deux canons (retrouvés récemment sur l’épave de l’Erébus) imposait 10 canonniers, 1 chef artilleur, 1 chef de Ste Barbe…
  • Un détachement de marines (marsouins) garants de la discipline.
  • Un équipage important de chefs de mâts, de boscos, de gabiers, de timoniers… pour la navigation et le service de l’imposante voilure.
  • Un chef charpentier et ses aides.
  • Un chef de cuisine et ses aides et les serveurs du carré et du poste d’équipage.
  • Un chef chauffeur et ses aides pour la ridicule petite machine à vapeur.

Ceci explique la très longue liste des participants armant les deux navires : 134 personnes, excellents sans doute dans leurs spécialités pour la navigation habituelle de la flotte, mais totalement désarmés, pour beaucoup d’entre eux, devant les terribles exigences des aventures polaires.

Cette liste hétéroclite qui parait invraisemblable, est pourtant avérée :

Les trois victimes inhumées sur le site du 1er hivernage sont ceux de John Torrington, chef chauffeur, un matelot et un marine. Mc Clintock découvre sur la rive méridionale de l’Isle King William, un squelette identifié comme « le domestique d’un officier ou un garçon d’hôtel »(M. Clintock)

 

Les officiers

Crozier commande le Terror. Sa présence a été notée en 1827 comme lieutenant sur l’Hecla de Parry vers le nord du Spitzberg et comme commandant du Terror lors de l’expédition de James C. Ross sur Antarctique en 1839.

Il a donc l’expérience de la navigation polaire mais jamais comme chef d’expédition.

Fitzjames, commandant de l’Erebus, n’est pas cité pour son expérience antérieure.

 

Les vivres – les équipements

Barrow, l’organisateur pensait que 12 mois suffiraient pour conquérir le Passage du Nord-Ouest. En réalité, l’expédition reçut des provisions pour 3 ans. «  Ce qui, à l’époque était tout à fait exceptionnel » (selon L.P.Kirwan)

Et pourtant, en 1821, Parry, sur « Fury » et « Hecla » avait subi 2 hivernages. Or 2 hivernages signifient une durée totale de l’opération de 2 ans et demi(au minimum) selon le schéma suivant.

 

Croisière aller1er hivernageCroisière d’été2nd hivernageCroisière retour
1ère année2nde année6 mois minimum

 

La croisière retour, plus ou moins longue selon le point atteint, nécessite normalement un stock de sécurité de quelques mois supplémentaires. Parry était donc parti avec 3 ans de vivres, selon toute vraisemblance.

On peut en tirer une loi, selon le «professeur Poller» de « l’université de Pamperigouste »(2)

Si V= nombre d’années de vivres emportés et H= le nombre d’hivernages possibles

H=V-1

Qui avait influencé et obligé Barrow à changer d’idée ? Probablement Parry lui-même et sans doute aussi James Clark Ross. Mais avaient ils convaincu Barrow et Franklin ?

Quant aux vêtements et équipements adaptés à la navigation polaire, il n’en existait point, sauf des sous vêtements chauds et quelques couvertures en peau de loup. Pour le reste, il s’agissait de la traditionnelle tenue de drap bleu de la Marine de Sa Majesté.

Cela signifie que l’idée était que personne n’aurait à quitter les navires bien chauffés pour aller chasser, faire des expéditions scientifiques ou cartographiques, ou en cas de naufrage. Il est d’ailleurs de notoriété publique que les navires de guerre n’emportent jamais assez d’embarcation de sauvetage pour évacuer tout l’équipage.

 

La machine à vapeur

La machine à vapeur faisant des progrès, la Royal Navy pensait qu’il fallait s’adapter à ce mode de propulsion. C’était là une attitude moderne intéressante. Elle conduisit pourtant à l’incroyable et absurde pensée qu’une expédition polaire était une occasion idéale pour expérimenter cette technique.

On installa donc sur les navires une machine de locomotive ferroviaire de 20 CV, en l’adaptant à une hélice.

Le rendement d’un tel engin était à l’époque très faible et il ne disposait pas de condenseur, ce qui entrainait non seulement la consommation de beaucoup de charbon, mais aussi d’eau douce que chaque coup de piston précipitait dans l’atmosphère sous forme d’un tonitruant nuage de fumée et de vapeur d’eau.

L’intérêt pour un navire d’un moteur de secours est de pouvoir faire face à une difficulté soudaine et imprévue. Mais le temps nécessaire à allumer la chaudière et à attendre la mise en pression ne permet pas une réponse instantanée. Il est nécessaire de  maintenir les feux allumés en permanence tout au long de la période dangereuse de navigation et de consommer une quantité énorme de charbon et d’eau douce.

La conclusion fut révélée par le lieutenant Irving du « Terror » (selon L P KIrman)

« Nous ne pouvions embarquer que 12 jours de charbon »

Ce qui prouve que personne, sauf les « apparatchiks » de l’amirauté, ne prit au sérieux cette expérimentation.

Il fallut attendre  Amundsen, 57 ans plus tard, en 1904, pour installer sur son navire un moteur à pétrole cette fois, (qui consomme un poids de combustible liquide dix fois moins important que celui du charbon d’une locomotive ferroviaire) et que l’on peut démarrer d’un coup de manivelle.

Il lui fut d’une utilité incontestable et un facteur de réussite dans la conquête du Passage du Nord-Ouest.

Quant à Peary, il utilisa en 1909 pour conquérir le Pôle Nord, deux grands navires à vapeur (à voilure auxiliaire que Peary n’a jamais indiqué qu’il l’avait utilisée) pour installer une base de départ à une impressionnante armée de traîneaux et de chiens. Sa victoire fut terrestre essentiellement, sa navigation à vapeur ayant été seulement une approche rapide vers le cap Columbia sur la terre de Grant.

 

L’itinéraire

A l’examen de la carte actuelle de la zone polaire arctique, le plus court chemin pour un passage du Nord-Ouest passe par l’ouest du Spitzberg (Svalbard) et le contournement par le nord du Groenland. Ce fut le premier itinéraire recherché par les explorations. Mais celles-ci se heurtèrent à la grande banquise permanente qui se révéla infranchissable.

La deuxième idée fut de contourner par le sud cette banquise que l’on pouvait croire centrée sur le Pôle. L’itinéraire projeté à l’ouest du Groenland passe par le détroit de Davis, la mer de Baffin et les grands détroits de Lancaster, Barrow, la mer de Melville et le détroit de McClure.

Ces essais butèrent aussi sur des glaces qui, sans être aussi immuablement compactes que la grande banquise précédente, ne permirent une lente progression vers l’ouest que pour arriver sur une mer de Beaufort complètement bloquée.

En effet, la banquise permanente n’est pas centrée sur le Pôle Nord (point théoriquement le plus froid) mais sur un point situé à mi-chemin du pôle et de l’embouchure du fleuve Mackenzie. Ce déplacement est dû à l’action du Gulf Stream. Ce courant chaud, principal artisan de la fonte estivale du pack entre dans l’océan Arctique en contournant la Scandinavie et parcourt la partie sibérienne puis la partie canadienne avant de rejoindre l’Atlantique sous forme de courants froids du Groenland Oriental et du Labrador. Au fur et à mesure de son refroidissement, sa capacité à fondre la glace diminue, ce qui explique l’étirement de la banquise permanente vers la mer de Beaufort.

Il fallut donc modifier la stratégie et se diriger vers le sud le plus tôt possible à partir du détroit de Barrow par le détroit de Franklin. Cette descente vers le sud pouvait laisser espérer un climat moins froid. Mais un autre phénomène encourageant avait été constaté par les expéditions terrestres le long du continent sur le détroit de Simpson, Queen Maud,  Dease, le golfe Coronation, la baie d’Amundsen et la zone de l’embouchure du Mackenzie. Cette zone côtière se libérait des glaces plus volontiers que la mer ouverte, grâce à l’afflux des eaux douces et plus chaudes des grands fleuves comme le Back River, Coppermine, et surtout le puissant Mackenzie.

Ce fut là l’itinéraire recommandé à John Franklin.

 

LE JOURNAL DE VOYAGE

 

Mi-mai 1845. Départ de Greenwich. 3 ans de vivres

Fin juin 1845. Dépassé le cercle polaire.

Fin juillet 1845. Le navire phoquier « Entreprise » prend contact avec Franklin sur le détroit de Lancastre.

Eté 1845. Arrivé à l’ile de Beechey, latitude 75°, Franklin décide de partir vers le Nord par le détroit de Wellington jusqu’à l’entrée du détroit de Belcher (vers latitude 77°) et revient par le détroit de Crozier jusqu’à l’ile de Beechey où il hiverne. De ce raid inattendu hors de l’itinéraire prévu, Franklin ne fait aucun compte rendu. On ne le saura qu’à la découverte par McClintock en 1859 du document laissé par Crozier et Fitzjames à proximité des navires qu’ils ont abandonné en avril 1848.

Que s’est-il passé dans la tête de Franklin pour s’écarter ainsi du programme de recherche du passage du Nord-Ouest ? On ne peut que se livrer à des conjectures :

Lors de discussions préliminaires à Londres avec l’Amirauté et au détour d’une conversation, Parry avait mentionné l’intérêt que présentait un itinéraire d’approche vers le Pôle Nord par le canal de Wellington.

Osons bâtir un scénario pour la suite…

Arrivé à l’ile Beechey, toujours persuadé du succès rapide de la conquête du Passage du Nord Ouest, Franklin décida d’ajouter à sa future gloire du vainqueur celle d’un pionnier décisif sur la route du Pôle Nord.

A son retour à Beechey, l’heure avait sonné d’hiverner et le site présentait toutes les caractéristiques d’un havre sûr : il avait déjà été validé par une précédente expédition (Belcher.) Il convenait très bien à Franklin qui, n’ayant jamais encore hiverné, avait probablement quelque appréhension sur le choix d’un emplacement sûr.

Et pourquoi pas, au retour au Pays, être nommé chef d’une expédition vers le Pôle ? Il fallait donc ne laisser aucune trace de son raid de peur qu’un concurrent n’en tire profit. Il ne laissa sur place que trois tombes de trois cadavres avec pour seule mention leur nom et la date de leur décès.

Hiver 1845-1846. 1er hivernage Ile Beechey.

Saison d’été 1846 : il ne reste que 2 ans de vivres.

La croisière reprend en abordant enfin une zone mal ou très peu connue, le long de ce que l’on appellera : détroit de Franklin.

12 septembre 1846. Début du 2ème hivernage ;

Les navires sont pris par la glace aux abords de l’ile King William (latitude#70°.) L’expédition a parcouru en direction du sud environ 5° de latitude. En supposant un départ de Beechey le 15 6-1846 (date pas connue exactement), il aura fallu trois mois pour couvrir ces 5°.

Amundsen lui, partit de Beechey le 22 août et atteignit l’entrée du détroit James Ross le 31 aout 1903 en parcourant ces 5° en 9 jours seulement. Mais il ajoute « tandis que nos devanciers ne sont parvenus jusqu’ici qu’après de terribles combats contre la banquise et les tempêtes, nous, nous n’avons rencontré aucune difficulté ; l’été 1903 doit être exceptionnel »

Le secteur est en effet très exposé. Au Nord de l’ile King William, au débouché du canal de Franklin, une large avenue part vers le nord-ouest par le détroit de McClintock, la Mer Melville, et le détroit de McClure pour donner sur la banquise permanente. Au démantèlement estival de la lisière de celle-ci, les vents de tempête précipitent une grande quantité de morceaux de banquise, souvent de grandes dimensions, qui viennent bloquer les entrées de détroits de James Ross et de Victoria.

Mai 1847. Durant l’hivernage, à l’orée du printemps, le lieutenant Gore part pour un raid terrestre sur l’ile King William jusqu’au détroit de Simpson. Il rejoint là une zone déjà explorée et certifie ainsi l’existence d’un passage maritime du Nord-Ouest. Ce passage est donc à attribuer à plusieurs explorateurs et plusieurs navires qui l’ont parcouru de part et d’autre du continent Canadien.

28 mai 1847. Inscription par le lieutenant Gore d’un message trouvé par McClintock en 1859 sous un cairn situé sur l’ile King William : « tout va bien ! »

11 juin 1847. Sur le message de Gore, Crozier et Fitzjames ont ajouté en avril 1848 : « 11.6.1847 : mort de Franklin, 9 officiers, et 15 hommes. Les navires restent bloqués »

Il ne reste qu’un an de vivres

22 avril 1848. Fin du message de Crozier et Fitzjames : « Abandon des navires toujours bloqués »

Trois ans ont passé : il ne reste rien ou pas grand chose des vivres.

 

Un mystère

28 mai 1847 : « tout va bien ! »

16 juin 1847 : 25 hommes morts, en 2 semaines

Que s’est-il passé ? Crozier le nouveau chef et Fitzjames l’autre commandant ne donnent aucune explication, aussi bizarre que cela puisse paraitre.

Différentes hypothèses ont été évoquées :

  • Empoisonnement par le plomb de sertissage des conserves alimentaires ou scorbut. Mais aucune de ces causes n’a d’effet foudroyant : il ne peut pas y avoir de paroxysme imprévu en 15 jours et d’ailleurs tout l’équipage aurait été affecté, tous ayant suivi le même régime.
  • Dans son récit « de l’Atlantique au Pacifique par les glaces arctiques », une remarque d’Amundsen pourrait proposer une explication : « L’air des régions arctiques n’est point aussi dépourvu de bacilles qu’on l’affirme fréquemment. Chaque automne, en effet, les Esquimaux de la Terre du Roi Guillaume son sujets à une épidémie de grippe. Cette année, quelques uns furent très malades, au point que je craignis des complications pulmonaires. Que cette affaire eût un caractère épidémique et contagieux, la preuve en est que tous les indigènes en furent atteints. »

Les pneumonies ou pleurésies sont encore aujourd’hui redoutables malgré le secours des antibiotiques. Elles étaient très souvent mortelles auparavant, et on peut se souvenir du nombre important de personnes décédées après un banal chaud et froid avant la 2ème guerre mondiale.

  • Une troisième hypothèse, la plus terrible, est celle d’une mutinerie sanglante : la présence d’infanterie de marine dans les effectifs suppose la présence d’armes sur les navires. Crozier et Fitzjames, à moins d’être stupides, ce qu’ils n’étaient pas, se savaient sûrement tous condamnés à très brève échéance. Comment laisser un tel déshonorant message à la postérité : une mutinerie parmi l’élite de grande Royal Navy ? La maladie eût été avouable, sa responsabilité étant la fatalité, mais pas la mutinerie.

Sans être nombreuses, les mutineries ont tout de même leur place dans les aventures polaire.

En 1607, au large de la Nouvelle Zemble, Hudson subit une mutinerie qui l’obligea à interrompre son voyage et à retourner en Angleterre, montrant ainsi ce que L.P.Kirwan affirme comme « une faiblesse dans son caractère »

Ce même Hudson en 1609, avec dans son équipe le même ex-chef mutin Robert Juet, entreprit l’exploration de la baie qui devait porter son nom. Au mois de juin, dans la perspective d’un hivernage souhaité par le chef, l’équipage estima que les vivres pourraient manquer pour retourner au pays après le dégel. Toujours mené par Robert Juet, l’équipage se mutina et abandonnant Hudson et cinq hommes sans arme ni provision, vogua vers l’Angleterre où la justice le saisit. Ils furent sauvés de la potence pour avoir eu la bonne idée de rapporter au pays toutes les études et découvertes du chef qu’ils avaient condamné à une mort cruelle.

Amundsen dans son rapport « vers le Passage du Nord Ouest » relate la désertion d’un groupe nombreux de matelots appartenant a à la flotte baleinière prisonnière de la banquise. Poursuivis par leurs officiers, ceux-ci furent accueillis à coups de fusils. La plupart des mutins trouvèrent par la suite la mort dans leur fuite.

Jules Verne dans son roman « Hatteras » introduit un épisode de mutinerie avec incendie du navire et abandon d’une partie de l’équipage. Les squelettes des fugitifs sont retrouvés plus tard  avec des marques d’anthropophagie sur les ossements.

Jules Verne qui avait publié son roman en 1867, avait connaissance des rapports du Docteur Rae (1854) et de McClintock (1859.) Bien sûr, rien de tel qu’une mutinerie pour épicer un roman, mais son esprit avisé avait sans doute supposé une telle possibilité à bord de « l’Erébus » et du « Terror ». D’ailleurs, il fait dire à son héros : « c’est que ses équipages l’ont (Franklin) trahi peut-être ».

Du 12 septembre 1846 au 22 avril 1848, soir pendant dix neuf mois, à part le petit raid du lieutenant Gore sur l’ile de King William, que s’est-il passé à bord des deux vaisseaux ? Probablement rien (sauf peut-être la mutinerie !)

L’ile King William, selon Amundsen, est très giboyeuse pendant la saison d’été. On y trouve « de grands troupeaux de rennes farouches, par suite très difficiles à approcher, mais la patience permet de triompher. Les rennes estivent sur l’ile où elles trouvent une nourriture abondante et une sécurité  absolue. Le loup, leur ennemi acharné, n’existe pas sur cette île.»

Mais les hommes de Franklin sont mal habillés, mal équipés, inexperts à la chasse aux rennes en été et aux phoques en hiver. Et ils n’ont probablement pas profité de leur inactivité pour compéter leurs provisions.

109 personnes affaiblies par la famine et le scorbut sont donc partis le 2 avril pour une mort certaine, avec leurs habits de drap, leurs chaussures de cuir, sans chiens, de rares traineaux très lourds et des canots encombrants.

Des groupes d’Esquimaux les ont aperçues de loin et ont décampé à grande vitesse : Leurs maigres provisions risquaient de disparaitre en un clin d’œil, ce qui las aurait condamnés eux-mêmes à mort.

Les naufragés étaient trop nombreux pour être secourus par eux.

Amundsen et ses 5 compagnons ont, eux, fraternisé avec les Esquimaux rencontrés et négocié constamment viandes de rennes et de phoque contre de la petite quincaillerie. Une des principales raisons de la différence entre succès et désastre est là !

L’histoire du Royaume Uni s’enorgueillit de grands héros dans tous les domaines, et plus spécialement dans celui des navigateurs et explorateurs comme Nelson, Cook, James Ross, Shackleton, et bien d’autres.

Mais la perte de l’expédition franklin n’est pas le seul événement catastrophique provoqué par la légèreté, l’improvisation, l’incompétence, et la bêtise imputables à certains Anglais :

Ainsi, il existait une règle militaire fondamentale et absolue : on ne lance jamais la cavalerie en attaque frontale sur une position fortifiée dotée d’artillerie. Pourtant durant la guerre de Crimée, à Balaklava en 1854, une « brigade légère » de 2 régiments de hussards et de dragons, fut anéantie sous le feu de l’artillerie chargée à mitraille d’une position Russe retranchée.

Le royaume Uni eut le bon goût de ne pas célébrer cet  « exploit » et si des protagonistes de cet événement passèrent à la postérité, ce fut seulement pour des détails vestimentaires : Lord Cardigan et le Lord Raglan.

L’armée Française s’illustra dans une péripétie analogue à Reichshoffen en 1871 : un régiment de cuirassiers (cavalerie lourde) fut détruit sous le feu de l’ennemi. Mais c’était le désespoir d’une unité intacte assistant à la défaite irrémédiable de son armée, qui les envoya au suicide. Ils méritèrent d’ailleurs la plus belle des « citation », décernée par l’ennemi : « Ah ! Les braves gens : »

Une autre règle, navale cette fois, indiquait qu’un duel entre un navire de guerre et une forteresse à terre tournait toujours à l’avantage de celle-ci. Winston Churchill, 1er Lord de l’amirauté, envoya pourtant 16 cuirassés à l’assaut des forts Turcs des Dardanelles. En un seul jour, 3 cuirassés  furent coulés et 3 autres mis hors de combat sous le feu des canons et dans des champs de mine.

La France participa à ce combat, 4 des cuirassés étaient français, et l’un deux fut coulé.

« L’Erébus » et le « Terror » ne furent pas les seuls navires perdus corps et biens lors d’explorations polaires.

Le « pourquoi Pas ? » de Jean Baptiste Charcot disparut lui aussi en 1937 dans une tempête aux abords de l’Islande. Un seul homme survécut au naufrage qui fit 40 victimes dont Charcot.

Le docteur Charcot était reconnu dans le monde entier pour ses qualités de médecin, de scientifique rigoureux, d’explorateur avisé et enfin d’hommes de cœur et d’honneur. Le « Pourquoi pas ? », base scientifique mobile parcourait en permanence l’arctique réputée pour ses dangers. Charcot était conscient du fait que cette permanence mois après mois dans ces parages pouvait l’exposer un jour à une tempête fatale. Dans ce cas en effet, la  seule solution pour son navire eût été soit la fuite vent-arrière qui nécessite, et ce n’était pas le cas là-haut, une mer libre, soit une cape vent-debout avec la machine en avant-toute. Mais son moteur était trop faible. Charcot était conscient de cette faiblesse mais n’avait pu obtenir, pour des raisons de coût, un remplaçant de plus grande puissance.

 

CONCLUSION

Pauvre Franklin, il fit sans doute ce qu’il pouvait, c’est-à-dire peu et mal. Honte à ceux qui l’ont envoyé à la mort avec ces 134 compagnons, les Barrow qui n’y connaissait guère, Lady Jane Franklin, ambitieuse mondaine, Parry le vétéran dépassé, pourtant de 4 ans plus jeune que Franklin, James Clark Ross, le meilleur de tous, qui refusa la commandement sous le prétexte fallacieux du  refus de son épouse et qui, ayant probablement reconnu le danger du projet, aurait dû combattre celui-ci

Que penser de l’Angleterre qui camoufla son échec et sa faute sous une prompte montagne de fleurs, de monuments, de décorations, étouffant ainsi toute velléité de critique ?

 

(1) la densité de glace est exprimée en dixième : 0=mer libre  10= pack continu

(2) inspiré d’Alfonse Daudet : Lettres de mon moulin

 

SOURCES ET BIBLIOGAPHIE

  • Les aventures du Capitaine Hatteras :  Jules Verne Hetzel Ed
  • A history of polar exploration L.P.Kirwan Penguin Book 7/6
  • Le Passage du Nord Ouest : F.L.McClintock – R.Amundsen  Ed.Phebus
  • Pôles : Edouard Peisson  Ed. Grasset
  • Le Pourquoi Pas ? dans l’antarctique J.B.Charcot Ed.Arthaud
  • Mon expédition au Sud polaire : sur Ernest Shackleton Ed. Tours maison Mame
  • A l’assaut du pôle Nord : Robert E. Peary Ed. Pymalion Gérard Watelet
  • Grand Nord : Alain Rastoin Ed. Robert laffont
  • La conquête des Pôles : « L’illustrton » Grands dossiers 1987
  • Expédition en arctique : National Géographic mars 2016
  • La Baille-Ecole Navale : janvier 2017
  • La mer notre avenir : Chasse marée décembre 2016
  • Le Figaro : 27 novembre 1016
  • Le figaro : 10 janvier 2016
  • Sciences et avenir, l’aventure polaire : janvier 2012
  • Généralité sur l’océan arctique : Genrich Alexeev 2006 internet
  • Jean Louis Etienne 25.01.2012 internet
  • L’Hermione, Yann Carriou & Sandrine Pierrefeu Ed. Monza octobre 2015

 

Lire aussi

Le passage du Nord-Ouest, article publié dans le Chasse-Marée n°60, novembre 1991

Par Jean-Pierre Caillé – En 1592, Juan de Fuca laisse entendre qu’il a découvert au Nord-Ouest de l’Amérique un détroit entre le Pacifique et l’Atlantique. A la fin du XVIIIe siècle, en moins de vingt-cinq ans, des expéditions russes, espagnoles, anglaises, françaises, américaines cherchent à forcer ce mystérieux passage. Mais ils ne découvrent que des fleuves immenses, des mers intérieures et de gigantesques archipels. Un littoral grandiose qui ne laisse pas d’évoquer la Patagonie. Passionné par les Yaghans qui peuplaient les parages du cap Horn (cf Le Chasse-Marée n° 42), Jean-Pierre Caillé a voulu connaître les Amérindiens habitant a l’autre extrémité du continent. Leur culture originale et profondément maritime fera l’objet d’un second article.

 

A la recherche de l’expédition Franklin, article publié dans le Chasse-Marée n°261, août 2014

Par Isabelle Guillaume – Le 26 mai 1845, l’Erebus et la Terror, commandés par John Franklin, appareillent de Londres à destination de l’Arctique en vue de découvrir le passage du Nord-Ouest. Faute de nouvelles, quantité de navires seront envoyés à leur secours, notamment par l’épouse de l’explorateur, qui enrôlera un audacieux officier français, Joseph-René Bellot.