Par François Vivier – Les deux précédents articles ont traité des voiliers chavirable pouvant être redressés, soit essentiellement les dériveurs légers et les canots voie-aviron. Mais quand la taille et le poids d’un bateau creux augmentent, la possibilité de le redresser devient très aléatoire… Et si le bateau est principalement propulsé par un moteur, alors le chavirage ne peut plus être considéré comme un événement « normal ». 

La norme iso 12217 permet d’évaluer la conformité d’un voilier par un essai de « raideur à la toile », en partant du principe que si le bateau est suffisamment stable, le risque de chavirage devient faible, voire très faible vis-à-vis de la catégorie de conception envisagée. Canots à misaine, chaloupes sardinières, sinagos, vaquelottes, pointus et autres peuvent entrer dans ce cadre, en général sans ajout de flottabilité. Pour des bateaux plus petits ou plus légers, on exige des volumes de flottabilité dans le but de faire flotter suffisamment le bateau chaviré pour que son équipage puisse attendre à bord des secours.

Le sloup à corne Kerhor, canot creux construit au chantier Bégoc de Saint-Pabu, illustre bien ici le critère de raideur à la toile.

Le test de raideur à la toile con-sis-te à vérifier que l’effort du vent sur les voiles n’entraîne ni une gîte supérieure à 45°, ni le remplissage du bateau. Le moment nécessaire pour incliner le bateau est déterminé de façon expérimentale avec un dynamomètre, ou calculé à partir du plan de formes et d’un devis de poids idéalement validé par une expérience de stabilité. On calcule l’effet du vent sur les voiles à l’aide d’une formule qui implique la surface de voilure, la position du centre de voilure et celle du centre- de dérive, ainsi que la vitesse du vent.

Pour les bateaux dotés de réserves de flottabilité, cette vitesse est de 6 m/s en catégorie D (vent maxi de force 4), et de 11 m/s en catégorie C (vent maxi de force 6). Pour les bateaux de plus de 6 m sans réserves de flottabilité, les vitesses de vent sont portées à 8 et 13 m/s. La norme offre la possibilité de faire le calcul avec une voilure arisée à condition que celle-ci reste supérieure aux deux tiers de la voilure complète au près. Il faut alors l’indiquer dans le manuel du propriétaire.

La « 12217 » est donc assez souple, mais elle souffre d’un gros défaut : son application plutôt complexe et les calculs qu’elle nécessite obligent à solliciter les services d’un architecte naval.

Canots à moteur et embarcations d’aviron dans une même famille

Outre ces bateaux, d’autres types d’unités dans l’esprit qui nous intéresse méritent d’être examinés, comme les voiliers pontés. Pour eux, en catégories A et B, la norme 12217 impose des critères assez sévères pour permettre au bateau de survivre à une grosse déferlante. Les voiliers à franc-bord modéré – comme souvent les yachts classiques – et à lest intérieur – le cas de nombreux anciens bateaux de travail – peuvent donc se voir imposer une catégorie de conception moins élevée qu’un voilier moderne de taille équivalente.

La norme 12217 s’intéresse aussi aux canots à moteur et aux embarcations d’aviron, qu’elle réunit dans une même famille, ce qui est d’ailleurs fâcheux car l’esprit dans lequel ces bateaux sont utilisés est bien différent. Les cas possibles étant trop nombreux pour qu’il soit envisageable de tous les présenter, nous avons choisi d’illustrer un exemple particulier, en l’occurrence les bateaux non pontés de moins de 6 m de long à moteur hors-bord.

S’il mesure moins de 4,80 m, un canot doit avoir un franc-bord minimal en charge de 20 cm en catégorie D. Au-delà de 4,80 m, le franc-bord croît linéairement jusqu’à atteindre 25 cm pour une unité de 6 m. En catégorie C, le franc-bord doit être supérieur à 30 cm. Dans tous les cas, le franc-bord à l’étrave est 15 % plus élevé que le franc-bord minimum requis.

Test de chargement désaxé sur une Sorine, plate en contre-plaqué.
Pour tester la stabilité à l’état envahi de la Sorine, on a suspendu au tiers avant du plat-bord une gueuse en fonte de 40 kg.

Pour l’essai de « chargement désaxé », un premier équipier (85 kg) s’assoit en abord, puis un deuxième, etc., chacun occupant un cercle de 40 cm de diamètre. Quand il n’y a plus de place, on s’assoit davantage vers le milieu du bateau, et ainsi de suite jusqu’à l’équipage maximum. Sur un petit bateau, c’est souvent le troisième équipier qui pose problème, car la gîte devient trop importante, ce qui oblige à limiter l’équipage maximum à deux personnes. Au final, le franc-bord doit être au minimum de 10 mm en catégorie D et de 100 mm en catégorie C, avec un angle de gîte maximum de 29,3° pour un bateau de 3 m, 26,9° pour 4 m, 24,7° pour 5 m… Ces critères favorisant nettement les « caisses à savon », nos bateaux traditionnels peuvent être vite pénalisés. Noter enfin que la norme, très simplifiée ici, permet d’interdire, physiquement ou par des plaques indicatrices, certaines zones du bateau.

Pour les essais « bateau envahi », une fois le moteur remplacé par une masse métallique équivalente puis les niveaux d’eau intérieur et extérieur équilibrés, une personne doit être en mesure de se tenir debout au milieu du bateau. On fait ensuite un second test avec l’équipage remplacé par des poids, à savoir 60 kg + 15 CL – quinze multipliés par le nombre maximal de personnes à bord (CL) exprimé en kilos – en catégorie C, et 50 kg + 10 CL en catégorie D. Pour tester la stabilité à l’état envahi, on enlève les poids précédents et on accroche au tiers avant puis au tiers arrière du plat-bord un poids de 6 kg par personne constitutive de l’équipage maximum, l’angle de gîte ne devant pas dépasser alors 45°.

Ces tests ont comme conséquence principale de restreindre l’équipage maximum autorisé. Ainsi, il est courant de définir une capacité en nombre de personnes selon la catégorie de conception, par exemple C3 ou D5… Attention, quand les poids d’essais sont dans l’eau, il faut les « alourdir » pour compenser leur flottabilité propre (15 % en plus pour de l’acier par exemple).

La vaquelotte Dranguet II fait l’objet d’un test de stabilité pour valider la position de son centre de gravité.

Quant aux embarcations d’aviron, elles sont considérées comme « non-voiliers » par la norme 12217. Un bateau en construction traditionnelle, donc relativement lourd, devrait satisfaire le critère de chargement désaxé avec un équipage restreint. Et, si cela ne marche pas, on peut l’assimiler à un canot voile-aviron à condition de démontrer qu’une fois chaviré, on peut le redresser puis le vider pour repartir. L’essentiel est ainsi de prévoir, outre des volumes de flottabilité, de bonnes prises sur la coque. En France (Division 240), un bateau d’aviron en mer peut naviguer jusqu’à 2 milles d’un abri et jusqu’à 6 milles s’il navigue de conserve avec un autre bateau et est équipé d’une VHF.

Enfin, la norme 12217 ne s’applique pas aux annexes de moins de 2,50 m – au-dessus, elles relèvent des mêmes règles que les bateaux à moteur ou d’aviron. Mais le bon sens vous fera les doter tout de même d’un minimum de réserves de flottabilité, au moins pour que l’équipage puisse s’accrocher à la coque en cas de chavirage. Rappelons que les annexes peuvent servir à moins de 300 m d’un abri ou du bateau porteur. 

Précision : la norme 12217 est un document de 250 pages. Les indications de cette série d’articles ont pour seul objet d’en présenter la méthode sur des bateaux à caractère traditionnel et ne peuvent servir en aucun cas de référence pour des essais officiels.

A lire

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