Canoë wâbanaki tcîman, vue de 3/4 plongeante
Modèle de canoë wâbanaki tcîman attribué aux Algonquins du bassin d’Ottawa, xviiie siècle. Bois et écorce de bouleau. (H. 17 cm, l. 21,5 cm, L. 94 cm) © Musée national de la Marine

Dans cette nouvelle rubrique, le musée national de la Marine présente des pièces tirées de ses réserves. Cette première livraison met en avant des modèles réduits de canoës, dont le musée conserve un important et rare ensemble. Produites par les premiers peuples d’Amérique du Nord, ces maquettes datent pour la plupart de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles. Coup de projecteur sur ces trésors du patrimoine maritime international et sur l’attention qu’ils suscitent.

Proposé par le musée national de la Marine – texte de Gabriel Courgeon, chargé de collections pour les objets ethnographiques du musée national de la Marine et Valérie Vachon-Bellavance, adjointe de l’administratrice du musée national de la Marine à Rochefort.

Au printemps dernier, l’atelier de restauration du musée national de la Marine, situé au centre de conservation et de ressources à Dugny, a bouillonné d’activité autour des objets en passe d’être prêtés pour de futures expositions temporaires. Chaque objet y transite toujours avant son départ pour être étudié, bichonné ou restauré selon le niveau d’intervention nécessaire pour sa bonne lecture par les futurs publics. Élise Bachelet, restauratrice du patrimoine, a ainsi traité trois modèles réduits de canoës demandés en prêt, notamment pour les dépoussiérer et stabiliser leurs éléments de décoration en vue de leur transport et de leur présentation. L’opération n’est pas simple car il a fallu intervenir sur des matériaux très fragiles et peu communs dans les fonds du musée : écorce de bouleau pour les coques, poils d’orignal et piquants de porc-épic pour les décors. Après son passage en atelier, un canoë wâbanaki tcîman (photo de couverture) attribué aux Algonquins a rejoint Troyes pour l’exposition « Il était une fois Montréal, les Champenois en Nouvelle-France ». L’exposition « Americana. Arts et objets de Nouvelle-France » à La Rochelle a quant à elle accueilli un canoë de la nation micmaque et un du peuple Wendat.

En parallèle de ces actions de conservation-restauration, les demandes de prêt permettent d’enrichir la recherche scientifique autour de ces objets. Les modèles réduits de canoës du musée national de la Marine ont la chance d’avoir été plusieurs fois étudiés et valorisés. Grâce à leurs décors et leurs formes, chacun a pu être attribué à une zone géographique et à une nation autochtone. L’historique des modèles au sein des collections du musée est également relativement bien connu. Les canoës prêtés sont mentionnés dès les premiers inventaires, celui de 1830, dit « Duhamel du Monceau », et celui de 1832-1855, dit « Louis-Philippe ». L’intérêt pour le canoë, symbole romantique d’une culture autochtone en déclin, explose en effet au XIXe siècle et de nombreuses nations d’Amérique du Nord produisent alors des modèles réduits destinés aux collectionneurs européens.

Les évolutions linguistiques

Grâce à ces projets d’exposition, et dans un contexte de muséologie post-coloniale, un nouveau chantier s’est lancé autour des terminologies et du lexique à employer pour caractériser les modèles de canoës du musée. L’époque où ces objets étaient qualifiés de « sauvages » et d’exotiques est largement révolue, mais cela n’empêche pas encore les imprécisions et les nomenclatures désuètes ou problématiques. Les réflexions actuelles du musée se calent sur les discussions en cours au Canada, particulièrement concerné par ces questions et l’aire géographique d’où proviennent majoritairement les modèles réduits de la collection. Le terme « Indien », encore présent dans la base de données du musée au début de l’année 2025 et inscrit sur le cartel du canoë micmac présenté à Paris, est aujourd’hui banni. Le mot « Amérindien » est également à substituer en contexte muséal et a disparu des manuels d’histoire canadiens depuis 2017. Le choix a été fait de privilégier l’usage de « Premières Nations », « Peuples » et « Autochtones », désormais utilisés dans notre documentation et nos travaux. Ces décisions seront évidemment à réévaluer à l’aune des futures évolutions linguistiques. À titre d’exemple, la nation Wendat vient de choisir de se départir de l’appellation « Huron », considérée comme une imposition de la part du colonisateur. Ces changements ont un impact sur les pratiques muséales et demandent une attention particulière pour les équipes de la conservation.

Modèle réduit de canoë attribué aux Micmacs, fin du XVIIIe siècle-début du XIXe siècle. Bois, écorce de bouleau et piquants de porc-épic. (H. 7 cm, l. 9 cm, L. 39 cm)

Les magnifiques modèles réduits de canoës du musée national de la Marine et leur exposition en cours rappellent ainsi qu’une collection patrimoniale pluriséculaire peut toujours être vivante et continuer d’évoluer avec son temps.