Xavier Hubert, 66 ans, mène la flottille voile-aviron de la Semaine du Golfe depuis 2003, avec une joie et un entrain communicatifs. Virginie de Rocquigny l’a rencontré cet hiver chez lui, à Port-Anna, dans le Morbihan, quelques mois avant l’événement.

Dessins de Hubert Poirot-Bourdain.

« J’ai commencé à naviguer sur un P’tit Gars. Je pense que peu de gens connaissent ce bateau : c’était très proche du Vaurien, un petit peu plus gros. C’est mon tonton qui l’avait acheté. On vivait à Paris et tous les étés, mes parents louaient un appartement à Saint-Malo. Je suis le dernier d’une fratrie de six, alors j’ai vu mes frères et sœurs commencer à faire de la voile. Voyant qu’on n’avait pas de bateau et que mes parents ne souhaitaient pas en acheter un, mon oncle avait dit : “Mais si, on va en trouver un !”

« Il avait donc acheté ce P’tit Gars qui fuyait de partout. Plus j’ai grandi, plus j’ai aimé la voile. Malheureusement, mon papa est décédé, j’étais bien jeune encore, donc ça s’est arrêté les étés à Saint-Malo. On est venu ensuite du côté de Carnac. Le P’tit Gars était foutu, il avait fait son temps. J’ai continué à faire mes classes tout seul sur un bateau pneumatique sur lequel j’avais fait grosso modo une voile de Corsaire. C’est comme ça que j’ai commencé.

« Par la suite, j’ai eu la grande chance de faire mes études à l’École normale supérieure de l’enseignement technique, et donc d’être payé en tant qu’étudiant. Ça m’a permis de mettre des noisettes de côté et j’ai acheté en copropriété un Kelt 8. Je me suis mis à la course avec les entraînements d’hiver à La Trinité. J’ai un défaut, c’est que j’ai toujours aimé qu’un bateau aille vite ! À chaque fois que je venais en Bretagne, je me disais :
“Ah là là, si je pouvais avoir un jour un poste à Vannes, qu’est-ce que ça serait bien…”

« J’ai été prof à Paris pendant six ans et puis j’ai eu la chance qu’un poste “à profil” se crée à Vannes. Je suis donc arrivé en Bretagne avec mon épouse, que j’ai rencontrée en étant moniteur de voile dans une maison familiale. On a eu quatre enfants, dont trois garçons qui ont bien mordu dans la voile. Et c’est comme ça que je suis devenu président d’un club, la Mouette Sinagote. Une des idées que j’avais pour cette structure, c’était de permettre à des jeunes de quartiers défavorisés de naviguer, parce qu’on voyait bien que les copains des enfants, qui étaient dans l’école de Kercado, à Vannes, n’avaient pas tous accès à ce genre d’activités.

« C’est tombé au moment du concours Défi Jeunes Marins 2000, organisé par Le Chasse-Marée. Le club s’est lancé dans le défi de fabriquer une yole avec les jeunes des quartiers. C’était ce qu’on appelle une yole Morbihan. On a acheté la coque en plastique mais on a fait tout ce qui était en bois. Ce qui était très fort pour moi, qui suis un affreux laïcard, c’est qu’on a fait le chantier juste sous l’église de Saint-Vincent-Ferrier dans le cadre du contrat de ville à Vannes !

« La construction a duré un an et la mayonnaise a vraiment bien pris. La yole a été mise à l’eau dans une mare au cœur du quartier. L’été, on a monté un camp de vacances pour partir aux fêtes de Brest 2000. C’était une navigation rustique, simple, pour laquelle on n’avait pas besoin de beaucoup de matériel. On avait un petit budget, donc on se débrouillait avec des bouts de ficelle. C’était extraordinaire et les jeunes étaient ravis !

« Les gens de la Semaine du Golfe m’ont contacté en 2001, pour la première édition, car ils avaient suivi le projet de la yole. Ils m’ont proposé d’encadrer la flottille de voile-aviron. Mais j’avais le club de voile à faire tourner et cela n’a pas pu se faire. C’est la compagnie des crs-mns [maîtres nageurs sauveteurs] qui l’a fait, ça ne s’est pas très bien passé, je crois. Donc, en 2003, ils sont revenus me voir et cette fois on a trouvé un accord pour que ça ne coûte rien au club. Depuis, j’ai fait toutes les éditions avec le club, toujours avec la même flottille ! On a commencé avec quatre-vingts bateaux et on en avait deux cent dix en 2023.

« Avec les années, je connais bien les équipages. On me demande parfois si je n’ai pas envie de changer de flottille. Ah non ! Jamais ! C’est tout un tas de copains… Et puis le voile-aviron, c’est le bateau de tout un chacun.
Il y a quelques grandes séries mais sinon c’est surtout des petits bateaux uniques, tout un tas de constructions amateurs. Ils ont tous des propriétés différentes, c’est rigolo ! C’est pas la voile classique, si vous voyez ce que je veux dire… À une époque, la blague, quand on passait devant les grands voiliers, c’était de dire que nous on était la “mer d’en bas” !

« Dans les bateaux emblématiques de cette flottille, il y a un petit doris de Saint-Malo, sans voile. Le gars, coiffé d’un chapeau de pirate, passe toute la semaine à godiller ! Sa copine est avec lui et, de temps en temps, elle souffle dans la corne pour encourager les rameurs et elle s’y met aussi. On a beaucoup de Seils, d’llurs, d’Abers, de doris, de monotypes d’Arcachon… Une année, on a eu des petits drakkars.

« Pour les dix ans de la Semaine du Golfe, la flottille des voile-aviron a appris une chanson. Depuis, quand on se retrouve, c’est un peu le chant de ralliement ! Je voulais un truc rigolo à faire ensemble. Certains diront que j’aime faire le clown… C’est sur l’air d’une ancienne chanson de soldat, “Le pinard, c’est de la vinasse”, chanté autrefois par Michel Simon : “À la barre / sur la petite mer / depuis dix ans / on est très très fiers / car nos bateaux sont les plus beaux ! Vive la flottille voile-aviron.”

« Ma flottille est la plus nombreuse. Les bateaux sont tellement disparates que parfois ils s’étalent dans tout le Golfe. Je fais donc des stops réguliers. Les premiers arrivés, on leur demande d’attendre les derniers, voire même on les laisse passer. On avance un peu comme un ver de terre ! On fait tout ça dans la joie et la bonne humeur. Les gens ne sont pas là pour se faire engueuler, ils viennent passer du bon temps et on essaie de les divertir au maximum.

« Les voile-aviron, c’est aussi la flottille la plus fragile. On a six bateaux accompagnateurs. C’est important d’avoir du monde aux points stratégiques. Quand un bateau cabane, on vient voir l’équipage et on demande systématiquement s’il a besoin d’assistance avant d’intervenir. La plupart des gens aiment se débrouiller seuls ! Dans ce cas-là, on reste pas très loin, et si ça commence à patouiller dur, on intervient.

« À la dernière édition, au moment de la Grande Parade, une yole d’une autre flottille a chaviré. Ça a été annoncé à la vhf. Et là, j’ai vu onze bateaux de sécurité partir plein pot vers eux ! Ils ont foutu un bazar complet dans leur sillage… En fait, il n’y avait pas de problème. Ces équipages sont habitués à cabaner. Si on les aide, il faut y aller doucement. Tous les bénévoles, on les briefe sur comment tirer ces bateaux parce qu’on peut arracher un mât si on ne tire pas correctement ! On ne tire pas un petit bateau comme un 30 tonnes…

« La Semaine du Golfe, c’est aussi beaucoup de travail en amont. Depuis 2007, je suis rentré au directoire. Il faut prévoir les parcours, les mouillages, les lieux d’accueil qui ne sont pas toujours des ports. Parfois, c’est juste une plage, comme à Plougoumelen ou, cette année, sur la plage du Gored, à l’île aux Moines. Il faut mettre tout ça en musique ! Certaines années, on a fait jusqu’à douze versions avant d’aboutir à la bonne. Maintenant qu’on a plus d’expérience, on y arrive plus facilement. Pour élaborer les parcours, on commence systématiquement par les petits bateaux, les moins autonomes, ceux qui doivent impérativement naviguer dans le bon sens puisque le problème du Golfe, ce sont les courants.

« Au fil des années, on s’est lancé des petits challenges. J’ai initié le fait que la flottille des voile-aviron passe par le gué entre la côte de Larmor-Baden et l’île de Berder. Maintenant, c’est devenu un classique. Faire passer un bateau à cet endroit-là, c’est pas compliqué… deux cents bateaux, c’est autre chose ! J’ai un affreux surnom, c’est : “Ça va le faire !” Les gens ont peur mais en fait si tout le monde y met du sien, ça marche. Cette année, on fait encore autre chose : on passe le gué mais à l’envers, c’est-à-dire à marée descendante. Cette fois, ceux qui ne seront pas passés à temps… ils resteront de l’autre côté. Mais ça va le faire !

« Moralement parlant, on se sent responsables des équipages. Jusqu’ici, je touche du bois, on n’a jamais eu de problème. J’ai eu une grosse frayeur une nuit. On cherchait partout un bateau… et en fait on a découvert le lendemain que les gens étaient rentrés chez eux sans nous prévenir ! Pour les briefings des équipages, j’ai investi dans une nappe avec la carte du Golfe imprimée dessus. C’est mon côté prof. Je colle du scotch de couleur pour montrer le parcours, que tout le monde comprenne bien où on va et surtout par où on passe ! On ne connaît jamais assez le Golfe ! C’est trop compliqué. D’ailleurs, on n’ira jamais se moquer de quelqu’un qui ne sait pas où il est. D’autant que le balisage n’est pas toujours explicite…

« On a eu des Auvergnats, habitués à naviguer sur les petits lacs de chez eux. Ils n’avaient jamais pratiqué en mer et ils ont commencé avec le Golfe ! Ici, on a des courants et des tourbillons. Pour les grands bateaux, les tourbillons, c’est pas gênant du tout ; avec des plus petits, ça peut être compliqué ! Les Moutons et l’entrée du Golfe, ainsi que la Jument, sont des points stratégiques. Maintenant, quand il y a du vent et des vagues, on ne sort plus du Golfe avec les petits bateaux, mais on le faisait pour les premières éditions. Une année, on est descendu, beau temps belle mer, sauf qu’à la pointe de Port-Navalo, beau ou pas beau, il y a un moment où ça bouillonne un peu ! J’avais deux charmants Anglais, un petit monsieur avec un joli canotier, une dame pleine de dentelles. Leur embarcation avait plus l’allure d’un tonneau coupé en deux que d’un bateau ! Ils s’amusaient à la rame. Arrivés à la sortie du Golfe, je leur dis de faire attention. Je voyais que ça allait être chaud, alors j’ai missionné deux bateaux pour rester près d’eux. Ça n’a pas loupé : première vague, tout le monde à l’eau ! Je rejoins le groupe et le monsieur me dit avec un flegme
so british : “Je ne monterai pas dans votre bateau tant que mon canotier
ne sera pas récupéré !”

« Cette année, j’avais comme idée de faire passer ma flottille entre l’île Tascon et le continent mais on ne va pas pouvoir car il y a des contraintes liées au classement du site en Natura 2000. On fait très attention à la fragilité de l’écosystème. Si vous êtes dans une zone de zostères, il est hors de question que les gens s’amusent à mettre l’ancre. C’est un apprentissage qu’on essaie de transmettre aux gens qui participent. On éduque et on régule de plus en plus.

« Quand certains disent que la Semaine du Golfe, c’est trop de bateaux, trop de gens, et j’aurais pu en faire partie il y a quelques années, je pense que là on a pris un parti complètement différent et qu’au contraire on transmet certaines valeurs. C’est un débat qu’on a entre nous. Quand on est arrivés à mille cinq cents bateaux, il y a trois ou quatre éditions, on se disait : “Est-ce qu’il faut aller plus loin ou pas ? Est-ce qu’on arrête les inscriptions ? Est-ce qu’on trie les bateaux ?” Je me disais qu’il fallait s’arrêter, qu’à vouloir en faire trop, on allait tout abîmer. Et, finalement, ça s’est autorégulé. Depuis, on stagne à mille cinq cents préinscrits et mille deux cents bateaux présents. Les mêmes questions se posent pour l’accueil du public à terre. On est tous conscients que géographiquement le site est très fragile. On doit faire attention.

« Une semaine, c’est fatiguant pour tout le monde. Parfois, on se dit : “Mais dans quelle galère je me suis mis !” Quand il faut se lever à 6 heures du matin pour aller récupérer les bateaux à Saint-Goustan, Saint-Armel ou au Logeo alors qu’on est de l’autre côté du Golfe… Mais à d’autres moments, vous sortez de Séné dans la brume, le soleil commence à pointer et tous les bateaux arrivent, comme s’ils sortaient d’un nuage, avec des voiles de couleur… C’est une image de toute beauté que je garde en tête. Il y vraiment des moments magiques où on a des satisfactions qui sont exceptionnelles. »