Ouest-France

En février 2023, 302 kilos de civelles sont saisis dans un entrepôt de Villeneuve-Saint-Georges, au sud de Paris. Le 10 avril dernier, le tribunal correctionnel de Créteil a rendu son verdict à l’issue d’un procès où comparaissaient treize prévenus, mettant un point final à une enquête de deux ans qui a révélé un trafic international à grande échelle.
Cette enquête fournirait le sujet d’un très bon roman policier, mais la réalité est déjà incroyablement rocambolesque. Les civelles (alevins d’anguilles) étaient capturées en France, autour de Nantes, et transportées vers Paris. Des passeurs, dont certains Malaisiens, les faisaient voyager vivantes dans des bouteilles d’eau, enfermées dans des valises, pour gagner en avion le Sénégal, où elles étaient « maquillées » en anguilles du Mozambique, une espèce non protégée par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), contrairement à Anguilla anguilla, l’espèce européenne qui, elle, l’est depuis 2009.
De Dakar, elles s’envolaient ensuite pour la Chine. Sur place, les civelles sont mises à grossir environ un an pour atteindre leur taille adulte ; une fois devenues anguilles, elles se vendent sur le marché chinois à un prix qui peut atteindre 7 000 euros le kilo… Les enquêteurs estiment la valeur des civelles saisies en France dans cette affaire entre 1,7 et 2,1 millions d’euros.
Le tribunal de Créteil a jugé braconniers, responsables d’entrepôts, de la logistique et autres passeurs, qui ont écopé de lourdes peines. Pour exemple, les braconniers français, originaires de Loire-Atlantique, « ont été condamnés à vingt-quatre mois de prison, dont douze avec sursis, et à l’interdiction de se livrer à la pêche et à toute activité piscicole pendant trois ans », note l’association Robin des Bois, qui a suivi l’affaire de près.
Dans le compte rendu de l’affaire que cette association donne sur son site, elle rappelle par ailleurs que « 90 pour cent des anguilles consommées dans le monde proviennent des piscicultures asiatiques, exclusivement alimentées par des civelles sauvages – les anguilles ne se reproduisent pas en captivité. La contrebande est à double sens et les filets d’anguilles européennes alimentent les marchés européen et nord-
américain notamment pour les restaurants à sushi. »
Si cette affaire a connu un certain retentissement, elle n’a pourtant pas mis un coup d’arrêt au braconnage : en 2024, la douane française a encore saisi 154 kilos de civelles… N. C.

Publié dans Le Chasse-Marée 345, juin-juillet 2025
Photo © Pascal Charoy / Ouest-France