© Claude Bernard

Début août, le très beau site du Yaudet, dans le Trégor (22) s’est plongé aux sources de la navigation : six curraghs, et une pirogue monoxyle, s’y sont réunis pour le plaisir, et pour servir de terrain d’étude à des scientifiques qui étudient la navigation des peuples atlantiques à l’âge du bronze et du fer.

Le Yaudet, centre mondial des curraghs ? Frederik Veny n’est pas loin d’en rêver et a commencé à poser les premiers jalons les 8 et 9 août derniers dans ce lieu magnifique, situé à l’embouchure du Léguer, sur la commune de Ploulec’h, dans les Côtes-d’Armor. « Nous disposons d’un plan d’eau idéal, en fond de baie, avec des ouvertures sur la mer et sur le fleuve », explique le président de Bugale Kozh Yeodet (« les enfants du vieux Yaudet »), balayant du regard les curraghs échoués au soleil sur la plage de Pont-Roux.
Sur la dizaine d’embarcations de ce type qui existeraient en Bretagne, six étaient présentes, dont Enora, le curragh construit en 2022 par son association. Long de 5,23 mètres, sa structure est en lattes de frêne, et de chêne aux extrémités, cloutées en bronze, recouverte d’une toile de lin tendue, protégée par cinq couches de coaltar ; il peut gréer une voile au tiers, également en lin. « Enora est adaptée à notre plan d’eau, avec un fond plus plat que les autres pour la stabiliser, et des formes à l’avant un peu moins relevées car nous n’avons pas trop de houle ici. »
Enora voisinait avec Skañv, venu de Quimper – le seul à être couvert d’un tissu en néoprène –, Karreg Zu de Kerlouan et Brendan, un curragh ramené de Dingle, en Irlande, à Lanmodez par Guy Prigent. Koruc, une association basée en Ille-et-Vilaine, était aussi venue avec un bateau en peau « préhisto-compatible » : long de 3,90 mètres avec un creux de 50 centimètres, son armature de saules et brins d’osier est recouverte de quatre peaux de bison. Ce curragh était exposé sur place, mais n’a pu naviguer, ses peaux s’étant rétractées sous le soleil. Les membres de Koruc avaient aussi amené la pirogue monoxyle de 7,50 mètres qu’ils ont façonnée dans une bille de chêne.
Le plus impressionnant était Brioc, long de 11 mètres, couvert de peaux de bœuf et gréant deux voiles carrées en lin cousu. Construit en 1999 à Saint-Brieuc, il appartient depuis 2018 à l’association Ar Soudarded du pays Pagan qui l’a restauré en profondeur – les peaux ont été changées, comme une partie de la charpente, et le gréement a été refait en chanvre. Venu de Guisseny, à 40 milles dans l’ouest, avec dix marins menés par Ingwenog Jaouen, le curragh a traversé la Manche en trente heures une semaine plus tard…
Plus inédit encore : une équipe de chercheurs – trois Suédois, un Français, un Suisse, un Anglais, un Brésilien et un Portoricain – travaillant au sein d’un programme européen lancé par Johan Ling, un archéologue de l’université de Göteborg, ont profité de ce rassemblement pour se livrer à diverses expériences avec les curraghs. Cherchant à documenter les navigations des peuples atlantiques, de la Scandinavie au Portugal, à l’âge du fer et du bronze, ils ont posé des équipements à bord des curraghs pour étudier leur marche, mesurer les dépenses en énergie avec plusieurs types de rames, enregistrer des vitesses… Ils ont aussi relevé leurs formes par photogrammétrie. Les informations recueillies aideront à comprendre, entre autres, comment ces embarcations protohistoriques parcouraient de longues distances ou comment elles préservaient leur stabilité quand elles embarquaient plusieurs personnes et des animaux.
Le 8 août, à la tombée de la nuit, un spectacle en plein air a retracé la légende d’Enora qui serait venue au Yaudet au Ve siècle en curragh pour rejoindre son mari Eflamm… La manifestation s’est terminée par une course amicale, prétexte à décerner le trophée Keltiek eus ar C’hornog – « les Celtes viennent de l’Ouest ». Elle aura forcément une suite, selon Frederik Veny, tant ces échanges de sciences participatives ont passionné marins et chercheurs, mais aussi le public, intéressé par ces embarcations venues du fond des âges… ◼ N. C.