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Concevoir un navire spécialement destiné à l’immersion des cendres des défunts : c’est l’idée de l’architecte navale Floriane Blanchevoy. Elle a d’abord développé le concept pour son projet de diplôme de fin d’étude (DPEA) en architecture navale à l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Nantes, étonnée de découvrir que l’idée n’avait jamais été creusée avant. Elle a pensé à son grand-père, décédé en 1994, qui aurait voulu qu’on disperse ses cendres à Rochefort-en-Mer, à l’endroit où la réplique de L’Hermione a été construite, mais aussi à ses échanges avec les Groisillons. « Je vis désormais sur l’île de Groix, raconte Floriane, un pays de marins. Quand je parle de mon projet, il  évoque toujours quelque chose de très personnel, les gens se souviennent de tous les détails du moment où les cendres de leurs proches ont été dispersées, du temps qu’il faisait, du lieu… »
En 2023, près de 45 pour cent des décès en France ont donné lieu à une incinération, selon la Fédération française de crémation, contre seulement 1 pour cent dans les années 1980. Une évolution des mentalités qui s’explique par des préoccupations environnementales, financières… Selon le baromètre 2024 sur les Français et les obsèques du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), 27 pour cent des personnes qui souhaitent voir leurs cendres dispersées voudraient qu’elles le soient dans un milieu liquide (mer, lac, étang) ; c’est particulièrement vrai dans l’ouest de la France où ce nombre atteint 53 pour cent des personnes interrogées.

Ce ne pouvait être qu’un voilier…

La dispersion des cendres en mer est autorisée à plus de 300 mètres des côtes et plus de 3 milles pour une urne biodégradable (en sel, carton…), en dehors des voies et des espaces publics maritimes clairement balisés et délimités (port, chenal d’accès, parc d’élevage marin…). Moyennant quelques obligations déclaratives, la dispersion peut être réalisée avec sa propre embarcation. La snsm, et quelques compagnies privées, proposent aussi ce service à bord de bateaux à moteur, « habillés » pour l’événement. Cette solution n’est pourtant pas toujours la meilleure : manque d’espace pour l’accueil des familles, de solennité, présence de gaz d’échappement, bénévoles de la SNSM déjà très sollicités…
Pour Floriane Blanchevoy, un navire conçu pour les cérémonies funéraires ne pouvait être qu’un voilier. « Par rapport à un enterrement classique, ça permet de vivre un dernier adieu dans le mouvement, à l’aide du vent, souligne-t-elle. Cela permet d’y aller lentement, de créer un souvenir mémorable et doux. »

© Floriane Blanchevoy

Esquissé lors de sa formation, le projet a pris un tournant plus concret avec son stage au cabinet d’architecture navale lorientais G. Plessis & Associés. La grille technique du bateau, désormais nommé Angel Boat, a évolué.

Le choix d’un monocoque étroit stabilisé

L’architecte naval Gildas Plessis, fondateur du cabinet, a en effet orienté Floriane vers un monocoque étroit stabilisé (MES), car « même s’il est plus cher à construire, il offre plusieurs avantages d’usage : il est plus stable sous voile qu’un monocoque, qui peut s’avérer inconfortable en cas de gîte, il permet de diminuer la consommation de carburant (car moins de surface mouillée) et l’ajout de deux flotteurs latéraux permet d’obtenir un gain de place important. » Un grand salon de cérémonie, pouvant accueillir une quinzaine de personnes, est ainsi aménagé à l’abri des éléments.
La conceptrice a gardé une étrave étroite, un élément symbolique fort qui exprime, selon elle, l’idée de fendre l’eau, d’aller de l’avant. L’Angel Boat se présente comme une goélette de 15,80 mètres à deux mâts égaux en carbone, gréés de deux voiles au tiers, pouvant être manœuvrée par un capitaine et un matelot.
« Ce sont des solutions anciennes en rétro-innovation, explique Gildas Plessis. On fractionne le gréement parce que ça fait deux petites surfaces de voile équivalentes, donc interchangeables. On a surtout un centre vélique plus bas, donc un moment inclinant plus faible, conséquence : moins de gîte, ce qui va dans le sens de la stabilité et rejoint l’effet mes. Comme on a des mâts en carbone autoportés, plus courts, on abaisse le centre de gravité ; de plus, on limite probablement les sifflements dans la brise au mouillage, qui peuvent être angoissants pour des non voileux. »

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Confort et recueillement

L’espace technique à l’avant est séparé de l’espace de cérémonie, par ailleurs scénarisé comme dans un crématorium pour le recueillement, le discours et le moment d’échanges, avec des travées d’assises qui se font face, un cocon pour l’urne, un pupitre et une petite plateforme au plus près des flots facilitant la mise à l’eau des cendres ou de l’urne. La motorisation hybride ou électrique, plus silencieuse, va elle aussi dans le sens du confort et du recueillement.
Le cabinet de Gildas Plessis étant très engagé dans la transition environnementale, deux options de matériaux tiennent la corde : du bois composite moderne ou de l’aluminium recyclé à 70 pour cent. « La construction en aluminium émet plus de co2 mais c’est davantage recyclable, jusqu’à 100 pour cent », précise l’architecte naval. Désormais, l’heure est au contact avec d’éventuels chantiers pour chiffrer les coûts de fabrication de l’Angel Boat. Aurore Toulon

Publié dans Le Chasse-Marée 345, juin-juillet 2025
Photo de Une © DPYD et Associéss