
Labellisé en 2021, Laisser Dire est un « roquio » qui a fait l’essentiel de sa carrière dans le port de Nantes. Construit en fer riveté en 1889 au chantier Berton d’Argenteuil, c’est un bateau de 16,50 mètres de long, équipé à l’origine d’une machine à vapeur de 40 chevaux. Rapide et manœuvrant grâce à sa coque fine, il a véhiculé des milliers de personnes entre les rives de la Loire, comme ses sept autres collègues armés par la Compagnie de navigation de la Basse Loire, dont le premier, Roquio, a laissé son nom à ces petits passeurs à vapeur. Laisser Dire portait à son neuvage le nom du quartier qu’il desservait, Roche-Maurice.
Après avoir navigué jusqu’en 1952 entre Basse-Indre et Indret, il s’est expatrié à Angers où il est basé dans les années 1960-1970. En 1960, sa machine à vapeur est remplacée par un moteur Diesel de 250 chevaux et il travaille désormais au remorquage des chalands chargés de sable. En 1980, il est laissé à l’abandon sur les rives de la Maine, où il finit par couler en 1990.
Les travaux en autodidacte
Jean-Paul Després, son actuel propriétaire, travaillait à Angers et connaissait bien le roquio, puisqu’il vivait à bord d’une péniche de 1931 depuis 1988. « Je n’étais pas marinier à la base, je faisais des boulots divers, puis on m’a sollicité pour faire des dragues de rivière et d’entrées d’écluses sur la Sarthe, la Mayenne. » Apprenant le naufrage de Roche-Maurice, il s’en porte acquéreur au prix de la ferraille et le renfloue le 25 décembre 1995.
Il va s’employer à redonner au vieux travailleur son allure de « vaporetto de la fin du XIXe siècle. La coque était bien fatiguée, j’ai repris là où il y avait des fragilités, précise-t-il. Il y avait une tôle du fond avec vingt-neuf trous ! J’ai aussi complètement refait le pont et le rouf. » L’ancien passeur retrouve ainsi son salon arrière en rotonde et ses lambris, et s’adapte aussi à son nouvel usage : « À l’avant, j’ai aménagé des petites cabines. À l’origine, il n’y avait que des bancs… pour vivre, ce n’est pas idéal ! » Jean-Paul fait les travaux lui-même, en autodidacte.
Depuis, il navigue avec Laisser Dire, réalise quelques remorquages et participe pour le plaisir à de nombreux rendez-vous fluviaux – fêtes de l’Erdre, Débord de Loire… L’occasion de rencontrer du monde. « Les gens viennent me voir, attirés par l’aspect du roquio, et souhaitent en apprendre plus sur son histoire », assure-t-il.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, il est amarré au quai de Daon, sur la Mayenne. « C’est sympa, il y a un peu de monde. » Pourtant, les conditions pour les habitants de bateaux fluviaux ne sont « plus les mêmes qu’autrefois. L’hiver dernier, je me suis réfugié sur la Sarthe lors des écourues de la Mayenne. J’ai dû payer une amende pour stationnement interdit, à un endroit où j’ai l’habitude d’aller depuis trente ans. »
Où ira-t-il après Daon ? « Je navigue un peu moins qu’avant, mais je continue au gré de mes envies. Je suis autonome et libre. » Et par vent arrière, Laisser Dire a fière allure avec sa voile carrée ajoutée par ses soins. M. L.-C. et N. C.
Publié dans Le Chasse-Marée 345, juin-juillet 2025
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En partenariat avec l’association Patrimoine maritime et fluvial, qui délivre le label Bateau d’intérêt patrimonial