
En ce début novembre, le golfe du Morbihan offre son miroir lisse aux nuances métalliques du ciel. Chaperlipopette file à belle allure et, à la barre, Alex Lotodé sourit. Ce Chat, un quillard de 5 mètres de long pour 1,90 mètre de large, est le soixante-sixième de la série conçue par Gaston Grenier en 1921 ; il date de 1933 et c’est le troisième bateau restauré par le jeune homme. Parti de Vannes, Alex va chercher à Arradon le Guépard d’une cliente pour le convoyer jusqu’au chantier Caudard. L’établissement, situé juste avant l’écluse de Vannes, héberge les bateaux sur lesquels il travaille. Sur ce Guépard, il doit réaliser le « flipotage sur les œuvres mortes et de la finition peinture ». Des techniques qu’il maîtrise sur un bateau qu’il connaît d’autant mieux qu’il en a construit un…
À moins de trente ans, Alex Lotodé, auto-entrepreneur depuis peu, compte déjà à son actif de belles réalisations. Né à Vannes, il a découvert le travail du bois grâce à son père, qui est technicien du spectacle au théâtre Anne-de-Bretagne, et dont l’atelier était installé au sous-sol de la maison familiale. Jean-Yves Lotodé emmène également son fils en mer à bord de Polaris, un Oceanis 323. La passion des copeaux et des embruns s’ancre durablement. Le golfe et ses îles deviennent un merveilleux terrain de jeu.
Alex ne dissocie pas la navigation de la charpente de marine. Un double attachement qui est conforté par la restauration de son premier bateau, Ar Kest, « un canot finistérien, bien défendu ». Les travaux sur ce canot à misaine de 3,50 mètres, construit en 1972 par un ouvrier de l’arsenal de Brest pour pratiquer la pêche dans la rade, lui ont été confiés par un ami de la famille… qui lui offre le bateau à la fin du chantier.
Puis Alex va suivre la formation du lycée professionnel Jean-Moulin de Plouhinec (Finistère). Après les cours, l’étudiant charpentier tire des bords en baie d’Audierne…
Le week-end, il construit Alex-térieur
En 2019, à sa sortie de l’école, il est embauché au chantier de Fabien Hemeury à Saint-Quay-Portrieux (Côtes-d’Armor). Alex participe alors à la construction d’un chalutier coquillier de 12 mètres et d’un fileyeur de 13 mètres. Il se souvient notamment de la prouesse technique réalisée sur le bulbe en bois, dans le prolongement des œuvres vives du fileyeur. Pendant ses week-ends, dans le jardin d’un voisin de ses parents à Vannes, il construit Alex-térieur, son Guépard, le numéro 132 de la série, une construction débutée en 2020 qui lui prendra un an et demi.
En novembre 2023, il part pour une transat avec des amis à bord de Fragola II, un 3/4 tonner dont la restauration a débuté un an auparavant. Le Classe IV du rorc, construit en bois moulé au chantier Pichavant de Pont-l’Abbé pour l’école de voile des Glénans, a couru la Fastnet en 1979, au cours de laquelle il a participé au sauvetage de deux équipiers du Grimalkin. Si Loïc Lepage a envisagé de courir à bord une Golden Globe Race, il a finalement abandonné ce projet devant l’ampleur de la restauration à mener. En 2022, Alex effectue les travaux avec Nolwenn Dameron, Valentin Roux et Julien Dumortier.
Les Anses d’Arlet, en Martinique, sont touchées après vingt et un jours de mer sans histoire, si ce n’est la pêche de quelques dorades coryphènes et d’un thazard d’1 mètre. Au retour, le bateau se « comporte merveilleusement bien », affrontant à 500 milles des Açores, « une dépression avec des rafales à 45 nœuds et une mer très formée pendant trois jours ».
À la fin du mois de novembre dernier, lors de notre rencontre, Alex participait avec d’autres à des travaux d’aménagement, de vaigrage et d’isolation sur le voilier scientifique Tara à Cherbourg, puis à Lorient. La taille du navire ne l’impressionne guère : il a en effet embarqué en 2023 sur le Belem en qualité de matelot charpentier.
Aujourd’hui, Alex cherche des repreneurs pour son canot à misaine et son Guépard, ainsi qu’un copropriétaire pour Fragola avant de partir pour une nouvelle aventure, qui devrait le conduire en Asie, à vélo cette fois. Cependant, la voile et la navigation ne sont pas oubliées, car, une fois les rivages du Pacifique atteints, le globe- trotteur et ses comparses entendent bien construire un bateau pour rallier la Bretagne. « Plutôt un ketch. Un bateau modeste de 10 mètres maximum, capable de passer le cap Horn », prévoit-il. Il compte bien mettre en œuvre bois locaux et techniques vernaculaires. L’une de ses proches, qu’il embarque dans ses navigations, confie dans un sourire : « Alex déborde d’énergie ». On ne saurait mieux dire. Fabrice Odéon
Publié dans Le Chasse-Marée 343, février-mars 2025.