Refaire le tableau arrière
par Philippe Urvois – Le tableau arrière jouant un rôle important dans la structure de la coque, il ne faut pas tarder à intervenir lorsque l’on constate les premiers signes de dégradation, notamment des infiltrations d’eau douce par le haut.
Au chantier Pleine Mer de Douarnenez, cette opération de remplacement d’un tableau arrière est actuellement en cours sur le Yann Gwenn, un Langoustier Pichavant de 8,50 m destiné à la navigation de loisir, mais inspiré des anciens caseyeurs bretons. Construit en 1960, ce joli cotre en bois, de construction classique, n’a pas été entretenu pendant une longue période. Une restauration importante, comprenant aussi le remplacement du bordé et du pont, est donc devenue nécessaire.
«Dans certains cas, on peut se contenter de ne changer qu’une partie du tableau arrière, mais pour le Yann Gwenn, il faut le reconstruire entièrement, explique Christoph Eberhardt, responsable du chantier. L’eau douce s’est infiltrée au niveau de la jonction avec le pont. Elle a stagné dans des espaces peu ventilés et le bois a pourri. L’eau de mer est également remontée dans les assemblages, qui n’ont pas été traités à la construction. »
Le tableau, frégaté, descend très bas et comporte une partie immergée. Il est composé de bordages rectilignes en bois tropical – sans doute du niangon – simplement calfatés. Ici, pas d’assemblage à rainure et languette.
Les bordages sont fixés par des carvelles sur la structure intérieure, composée de deux estains en chêne, de l’étambot et de quatre branchettes, de la même essence. Seules les parties inférieures des estains et la partie basse de l’étambot sont récupérables. Il suffit de planter un couteau dans toutes les autres parties pour se rendre compte de leur état de décomposition avancée.
«Chaque cas est différent, mais la restauration doit être pensée étape par étape, tout en veillant à consolider la coque en permanence, pour ne pas la déformer, rappelle le responsable du chantier. Pour mener à bien cette opération, plus d’une semaine de travail est nécessaire à un professionnel. Il y a beaucoup d’équerrages, surtout dans les fonds, et il faut un certain coup de main pour ajuster au rabot les estains et les bordages de tableau.»
La première étape du chantier consiste à épontiller le tableau. Les quatre branchettes sont alors démontées, après relevé de leur section et de leur longueur. Ces pièces sont fendues dans le sens du bois pour les dégager de leurs fixations à l’aide d’un ébauchoir, d’une massette, et d’un pied-de-biche.
UN ASSEMBLAGE À MI-BOIS
Les nouvelles branchettes sont ensuite débitées à la scie circulaire dans un plateau de bois. « Pour renforcer le maintien du tableau, j’ai réalisé un assemblage à mi-bois entre la partie basse des estains et les branchettes », précise le charpentier Baptiste Urvois. À l’origine une coupe en biseau avait été pratiquée à l’extrémité de la branchette, cette coupe venant simplement en appui sur la section de la partie basse de l’estain. Les branchettes sont provisoirement vissées sur l’ancien tableau.
«Nous utilisons en général des vis Inox de 8/80 pour un tableau de cette section, précise Christoph Eberhardt. Il en faut environ quatre-vingts. Elles remplacent les carvelles qui peuvent rouiller et qui ont tendance à fendre le bois des pièces courtes. Elles peuvent également prendre du jeu et poser des problèmes d’étanchéité entre le bordé et le tableau. Les vis Inox permettent, de surcroît, un démontage plus aisé des différentes pièces. Des vis en bronze ou des rivets de cuivre sont également de très bonnes alternatives.» Les parties supérieures des estains et de l’étambot sont ensuite démontées. Des gabarits des parties hautes des deux estains bâbord et tribord sont réalisés en contre-plaqué de 5 mm, à partir du contour extérieur du bordé du tableau. Un relevé d’équerrage est effectué à cette occasion, tous les 15 ou 20 cm, le long des courbes. Pour réaliser les nouveaux estains, il convient de choisir des bois tors correspondant à la forme de la coque, à l’aide des gabarits. Les courbes sont tracées sur le bois qui est ensuite découpé à la scie à ruban, en suivant les équerrages précédemment relevés.
Toutes les pièces neuves sont poncées et saturées d’huile fine, à raison d’une dizaine de couches passées en une journée. Cela favorise leur conservation. «On peut ensuite passer deux couches de primaire chlore-caoutchouc, indique Christoph Eberhardt, un produit cher mais résistant, qui adhère sur le support préparé. Avec ces traitements, le bois devient hydrophobe. Il est ainsi protégé de la pourriture et des attaques de champignons.»
Les parties hautes des estains sont fixées provisoirement sur l’ancien tableau, un mélange de goudron et de fibres de chanvre étant passé sur les surfaces de contact entre les parties hautes et basses des estains, qui ne sont liées entre elles que par l’intermédiaire des bordages du tableau. «Cette mixture reste toujours souple, précise Baptiste Urvois ; elle permet de gommer les légères imperfections et renforce l’étanchéité des assemblages.»
L’étape suivante consiste à réaliser et poser le bordage médian du tableau. « Il est découpé dans un plateau de 40 mm à la scie circulaire, note Baptiste Urvois, en suivant un tracé qui épouse la ligne courbe du couronnement, pour des raisons d’étanchéité et d’esthétique. » Cette pièce étant remplacée, le tableau retrouve une bonne rigidité. La partie haute de l’étambot peut alors être posée.
On procède ensuite au remplacement de tous les autres bordages, les plus épais (35 mm) au-dessous du bordage médian, les moins épais (30 mm) au-dessus. Ils sont solidement vissés sur les branchettes et les estains rénovés. Il ne reste plus alors qu’à les calfater, à l’étoupe dans les fonds et au coton dans les hauts, puis à les peindre ou à les vernir.