Jusqu’au début du XXe siècle, une très ancienne communauté de pêcheurs est installée à Villerville, entre Trouville et Honfleur. Ce havre étroit abrite, au pied de la falaise, un petit nombre de bateaux très actifs. Mais dès les années 1860, les pêcheurs commencent à déserter cet échouage, assez peu commode, pour aller s’abriter à Trouville et surtout à Honfleur.

Platte de Villerville. © J. P. Guillou

Leurs bateaux, appelés plattes, sont à cul rond. Ce nom est surprenant puisqu’ils sont construits sur quille et que ni la forme ni la structure des fonds ne sont plates. Il n’est pas rare, dans un milieu maritime fermé comme ceux de nos côtes, qu’un type de bateau conserve le nom de celui qui l’a précédé, même s’il est très différent. C’est ce qui est arrivé à Villerville. Les pêcheurs, surnommés Mazarins, utilisent encore au début du XIXe siècle cette embarcation à fond plat, employée depuis des temps immémoriaux sur les rives du Calvados. Les pêcheurs, et surtout leurs épouses, les hissent, comme à Arromanches et Luc, à l’aide de forts cabestans en bois.

Assez curieusement, seuls les chantiers de Honfleur, passés maîtres dans ce type de bateau, construisent des plattes et uniquement pour les pêcheurs de Villerville. C’est une jolie embarcation, aux lignes d’eau assez fines, bien assise sur ses fesses rondes. La disposition des aménagements de pont est celle des chalutiers. Elles possèdent toutes un moulinet à engrenages dont la “poupée” est de section polygonale. A l’arrière, on peut observer une particularité : une forte barre d’écoute est fixée à deux bittes verticales appelées taberins. Il est étonnant de retrouver ici le mot qui désigne la forte pièce de bois verticale des embarcations de chasse à la baleine autour de laquelle est tournée la ligne du harpon. Les plattes mesurent 10 à 11 mètres de long pour 3,50 mètres de large avec 1,50 mètre de tirant d’eau arrière. Si les coques sont noires, les pavois sont très décorés avec des bandes horizontales de couleur jaune, rouge, blanche ou verte, ou même des décors plus compliqués. On trouve également des moustaches aux couleurs vives.

Le gréement de flambart et son évolution sont aussi étonnants que la carène. Longtemps ses deux mâts ont porté des voiles au tiers avec un hunier “à la Trouvillaise”, au-dessus du taillevent qui est bômé. Puis le taillevent est devenu voile à corne. Le hunier s’est fait flèche. La misaine suit la même évolution, nécessitant de ce fait l’adjonction d’une trinquette, et transformant peu à peu le flambart en goélette. Enfin, les dernières plattes reçoivent un gréement de barque.

L’équipage de ce petit voilier très manœuvrant ne se compose que de trois hommes et d’un novice. Les pêches se pratiquent dans l’immédiate proximité de l’estuaire de la Seine.

La durée d’une marée est courte, heureusement, car ces bateaux sont peu logeables. Les plattes travaillent la crevette au chalut, le sprat, et le hareng à la saison, avec trois chaluts aux maillages différents. Mais les traits de chalut peuvent se faire aussi en “baie de Caen”. Le poisson est livré le plus souvent au Havre. Dans ce cas, les pêcheurs peuvent être absents une semaine.

Ce type de bateau s’éteint au début du xxe siècle, supplanté par une élégante petite barque à voûte, de mêmes dimensions. Les pêcheurs disent qu’ils sont plus à l’aise pour travailler, car la surface de pont y est plus importante, et que le gréement de sloup est plus simple à manœuvrer.