L’association Hisse et Aime, basée sur l’île de Sein, restaure et construit des petits bateaux de croisière. Elle nous présente ici son projet, sa genèse et la vie de cette association accueillant également des personnes en situation précaire.

Un article proposé par Michel-Abel Touzet

 

Nous autres, les amis du Chasse-Marée, nous aimons, vous l’avez remarqué, naviguer léger.

Beaucoup d’entre nous ont un temps et un budget limité. Peu, ont deux ou cinq ans pour flâner tout autour de l’atlantique afin d’y découvrir quelques unes de ses merveilles sur un voilier de 200 000 ou de 500 000 Euros.

Naviguer léger, ce peut être racheter ou construire un voile-aviron et participer, avec des amis qui partagent la même passion, à des rencontres ou régates amicales, comme on sait si bien le faire, à la Rochelle ou ailleurs. On peut même, à cette occasion, apprendre à entretenir et réparer un moteur hors-bord, ou à déboucher une bouteille de bon vin avec un simple opinel, ce qui n’est pas rien, il faut le dire !

En l’association Hisse et Aime qui a son siège à l’île de Sein, nous aimons rêver et nous aimons aussi concrétiser nos rêves les plus fous. Nous sommes une bande de clowns et de « Oufs » qui souhaitent participer à la reconstruction d’un monde plus fraternel et plus joyeux, sans pour autant prétendre décrocher la lune. Cueillir la nuit quelques étoiles dans les pays du soleil nous suffit.

Sterenn en Casamance,
Sterenn en Casamance, prêt pour le carénage © Michel-Abel Touzet

L’île de Sein étant un port d’échouage, nous construisons ou réparons depuis des années, près de Rennes, des croiseurs côtiers ou hauturiers, transportables puisqu’au gabarit routier. Presque tous nos bateaux ont des quilles de 200kg pour les côtiers, et 500kg pour ce qui est des modèles hauturiers. Ils calent tous moins de 75 cm, afin de pouvoir naviguer sur les canaux, et nos deux Muscadet dériveurs peuvent accéder en des endroits magnifiques comme la Casamance, par exemple, ou certains ports et baies en eaux peu profondes, aux Antilles ou aux Açores. ( Témoignage vidéo aux Açores ) 

Sterren
Travaux de préparation et inspection et réfection du mât creux en spruce qui date de 1965 © Michel-Abel Touzet

 

On peut difficilement naviguer « en touriste » quand on est en équipage, sur un petit bateau, sauf conditions idéales, et encore ! Sur un tout petit bateau, encore plus, si possible, que sur un bateau de 10 mètres, il est vital et donc impératif que chacun soit solidaire et actif !

Sterenn après réfection
Sterenn après réfection © Michel-Abel Touzet

Nous avons construit déjà, en 1988, Salueur des Dauphins, le prototype de la série Ilur, dessiné spécialement par François Vivier pour pouvoir naviguer en mer d’Iroise, mis en chantier aux « Ateliers du Port-Ruz » (aujourd’hui disparus), à Douarnenez, avec l’aide efficace et les conseils de trois amis charpentiers Dany, Pascal, et Yves, sans oublier la paluche de Gilles pour « l’enduction » époxy Sicomin : une révolution à cette époque (CM n°38).

Sur un Ilur avec un équipage de deux ou trois personnes maximum, sur un Corsaire, un Méaban, ou un Muscadet avec 4 personnes y compris le chef de bord, il nous faut impérativement respecter certaines règles.

Salueur des Dauphins à l’échouage à l’île de Sein
Salueur des Dauphins à l’échouage à l’île de Sein © Michel-Abel Touzet

Nous embarquons souvent de parfaits néophytes. De toutes manières, en mer, ne sommes-nous pas tous des débutants qui doivent faire face à ce qui se présente et improviser souvent, même si nous avons  derrière nous quelques milliers de milles ?

Certains d’entre nous, en cette association, sont équipés d’un appareil auditif, mais demeurent « durs de la feuille », d’autres sont quelque peu autistes, dépressifs, drogués en période de sevrage de tabac, de jeux ou produits addictifs, ou simplement enfants terriblement gâtés et susceptibles qui n’entendent, et encore, que quand ils veulent bien entendre.

Notre association reçoit des thérapeutes, des personnes qui vont plutôt bien et aiment aider celles qui ont plus ou moins le goût de vivre, qui sont quelque peu blasées déjà à 18 ans, ou carrément désabusées, quelque peu suicidaires quelquefois. Ces dernières demandent notre aide, et quand elles arrivent à l’accepter, viennent à plus de liberté, d’autonomie, de solidarité, elles retrouvent le sourire. Depuis plus de 20 ans nous avons constaté cela. Nous recevons des jeunes du monde entier, deux ou trois à la fois, mais aussi des plus âgés, de tous milieux sociaux, de toutes couleurs, athées ou de quelque confession que ce soit, pourvu qu’ils ne veuillent convertir personne, que ce soit au « véganisme hard », à la chasse à courre, ou à quoi que ce soit.

Tant que nous sommes susceptibles, nous serons blessables et blessés, et tant que nous sommes pleins de peurs, nous ne serons ni libres, ni heureux. « Hisse et aime » est une école où l’on apprend à venir à ce que les anciens nommaient l’ataraxie. Vit l’ataraxie, celle ou celui qui ne transforme plus sa douleur ou ses angoisses en souffrance. C’est tout un art, et certainement, en l’époque actuelle, la pratique de cet art serait fort bienvenue !

En quoi naviguons-nous autrement ?

Nous ne sommes guère militaristes, pour la plupart d’entre nous, mais quand le « chef de bord » nous demande de prendre une biture à l’avant, nous confirmons l’ordre donné par le skipper, comme on le fait dans la Marine Nationale. Cette manière de faire nous convient parfaitement. Si le vent souffle fort, par exemple, et couvre les voix, nous répéterons haut et fort l’ordre donné. Nous sortirons à l’avant du cockpit, équipé d’un harnais, si le chef de bord a jugé que les conditions l’exigent. Si nous sommes alors vent arrière, voiles en ciseaux, ce sera juste après avoir demandé au barreur si c’est OK pour lui. Prudence oblige ! Si nous n’avons pas bien compris ce qui nous est demandé, nous demanderons une explication plutôt que nous précipiter et faire n’importe quoi. Pas question de partir vers la plage avant avec un casier de gros rouge !

Quand c’est fait, nous gueulons haut et clair en riant : « la biture est prise ». Le vent siffle dur ! Nous vérifions que tout est en ordre pour mouiller. Revenant à la hauteur du mât, nous gueulons encore à l’adresse du barreur : « je peux revenir ? ». S’il répond, en gueulant lui-aussi « OK p’tit gars, mais fais gaffe de ne pas t’emmêler dans ton harnais ! » ou une phrase plus courte, style « Vas-y !», nous revenons en rampant et en serrant les fesses. Ce n’est pas le moment de prendre la bôme en pleine poire, ou de jouer le maquereau pris à la ligne de traîne.

Pas de « chef » parmi nos « chefs de bord », pas de droit de vie et de mort sur l’équipage, mais un « pouvoir de vie et de mort » certain, dont chaque skipper (comme disent les Anglais) doit être conscient. Aucun droit à l’erreur pour le skipper.

Un « chef de bord » ne doit en aucun cas être autoritariste. C’est un sacré boulot que d’assumer une autorité nécessaire, sans jamais être autoritariste. Il faut apprendre à être responsable de tout à bord, sans pour autant retirer à un autre membre de l’équipage la responsabilité qu’il doit assumer. Il faut, bien souvent, dix à quinze ans pour espérer devenir un réel « capt’ain ».

Rade de Brest, appareillage à l’aube, plusieurs voiliers sont mouillés près de nous. Sur l’un d’eux, une personne dort d’un sommeil comme deux justes, et cela s’entend !

Martine B. qui a appris toute jeune à naviguer avec ses parents, qui ne manque ni de courage ni d’allant, s’active, tout en parlant très fort.

Carton jaune : ce n’est pas parce qu’on est compétent qu’on doit emmerder le monde. Respect oblige sur un bateau comme dans la vie !

Arrivée à l’île de Sein, mi-jusant, très gros coefficient ce jour là. Sterenn, un Muscadet dériveur (sur 700 Muscadet environ, il a été construit seulement 50 dériveurs, qui remontent beaucoup moins bien au vent que les quillards, il faut le dire !) entre dans l’arrière-port. Il était temps, dérive relevée, c’était un peu juste pour passer la « marche » qui sépare l’avant et l’arrière-port.

Quelques minutes plus tard, arrivée plein pot au portant, toutes voiles dehors, de Belle du Kernic, un Corsaire qui fait partie de notre petite escadre. Le voyant embouquer la passe, le cap’tain de Sterenn appelle à la VHF pour lui dire de prendre notre autre corps mort qui est dans l’avant-port.

Ici Sterenn, ici Sterenn à Belle du Kernic, répondez !

– Ici Frédérique sur Belle. Nous arrivons dans le port. Terminé… Et elle raccroche !!!

Sterenn rappelle, rappelle encore, personne ne décroche. Nous voyons Belle arriver au niveau de la « marche » comme un greyhound de course poursuivant sa peau de… cousin du lièvre. Heureusement ça passe de justesse ! Ouf !

Il pouvait y avoir des dégâts sérieux : fracture du crâne, nez cassé ou au minimum luxation d’un poignet pour l’un des quatre membres de l’équipage, sans parler de dégâts matériels qui sont secondaires.

C’est le chef de bord de Belle qui devait répondre et personne d’autre. Il a d’ailleurs, comme chacun de nos « chefs de bord », passé l’examen officiel certifiant qu’il sait se servir de la VHF fixe.

Carton rouge pour lui et copieuse soufflante pour lui comme pour Frédérique.

Pour qui n’accepte pas cela, qu’il reste dans ses peurs, sa fausse confiance affirmée, devant ses addictions, son écran de télé et d’ordi toute la journée, et sa détresse déguisée !

Pour pouvoir naviguer, il nous faut apprendre, je crois en tout premier, à être présents, cela nous rend efficaces et joyeux, sur un bateau comme dans la vie.

Quelle meilleure école d’humilité que la mer, qui nous apprend la Présence au bonheur… d’être en vie !

Sein, départ en musique
Sein, départ en musique © Michel-Abel Touzet

 En Août 2018, à l’occasion du cinquantenaire de la « Longue route » de Bernard Moitessier et du centenaire de l’armistice de 1918, j’ai appareillé sur Sterenn avec Pascal, le charpentier de marine avec qui nous avions construit le prototype de l’Ilur en 1988.

Nous voulions remercier les descendants des poilus de couleur qui avaient donné leurs vies pour la France et la Liberté durant la première guerre mondiale ; remercier les africains, les mauritaniens, les sénégalais et tous les autres, puis faire de même aux Antilles.              

Pascal finissait là sa formation en tant que chef de bord de l’association.

Nous avons gagné la Galice, puis le Maroc où nous avons été reçus et fêtés en « héros musulmans » mar plij ! (s’il vous plaît !), puis les Canaries.

Aux Canaries, comme prévu dès le départ, Fabien a relayé Pascal, également pour parfaire sa formation de chef de bord.

Nous avons gagné Fuerteventura, l’île canarienne que préférait Bernard Moitessier, puis Nouadhibou en pleine effervescence islamiste radicale, chaud ! Puis Dakar, où nous fûmes vraiment accueillis comme des princes. Ensuite, attaque de pirates (A la Vie, à la Mer !) au large du Siné Saloum. Puis la Casamance radieuse et la rencontre de l’animisme. De là, nous sommes remontés vers les îles du Cap Vert. Escale à Praïa de Santiago pour y conduire à l’hôpital mon équipier qui souffrait d’une infection tenace. Escale à Fogo, achat de quelques vivres dans la montagne et, quelques jours après le 11 Novembre, appareillage pour la traversée et le Port de Rivière Sens, en Guadeloupe, où des amis nous attendaient.

 

La traversée retour en solitaire

La traversée retour s’est faite en Avril 2020, d’abord vers les Açores. Là, j’étais en solitaire parce que l’Atlantique d’Est en Ouest, à part le golfe de Gascogne souvent, c’est du gâteau ! Par contre, pour le retour, avec un petit bateau de 6,40 mètres qui remonte mal au près, c’est une autre paire… de claques et de coups de pieds au derrière, plutôt que de pantoufles !

Sterenn
© Michel-Abel Touzet

Daniel Gilard l’a fait sur un Muscadet quillard, mais avec le modèle dériveur, à ma connaissance, c’est une première.

A mi-chemin des Antilles aux Açores, j’ai cassé la goupille de fixation en haut du mât du galhauban tribord. Impossible de réparer en mer. Je ne suis plus manœuvrant, et condamné à demeurer bâbord amure, sinon, en cette mer et avec ce vent je casse mon petit mât en spruce. Absolument impossible de réparer en mer ! J’erre durant 40 jours toujours bâbord amure en ce désert liquide. Selon le vent, je suis tantôt cap à l’Est, tantôt à l’Ouest, au Nord ou au Sud. J’arrive enfin près de Horta, mais pour l’entrée du port mon hors-bord de 3,5 chevaux refuse tout service. Bâbord amure jusqu’à Pico où je m’abrite sous le volcan. Impossible de rentrer au port, confinement Covid oblige. Le panneau de roof a été arraché par une lame un peu avant d’arriver à Pico. Par chance, j’ai réussi à choper les 2 parties qui le composent, au moment où la vague a déferlé. J’ai recloué le tout à la va vite, avant que la mer et ses poissons ne nous emmènent au fond. Le bateau a mauvaise mine. Les autorités maritimes me remorquent à Horta. J’y reçois un chaleureux accueil, tant de la part des gars de la marina, que des marins qui ont fait la traversée et dont les bateaux, cette année, ont souvent souffert. Plusieurs ont démâté et mes amis marins sont très surpris que j’aie réussi à passer.

Quelques jours à Horta pour me refaire la cerise, recoudre mes voiles à la main, et réparer par moi-même tout ce qui doit l’être.

Cap sur l’île de Sein. Un peu avant l’arrivée, au niveau d’Ar Men, je constate que le moteur HB est de nouveau hors service. Je sais qu’avec cette petite brise de Sud, je serai vent debout à l’entrée du port. Je suis épuisé, il serait judicieux que je prenne la tonne des phares et balises qui est devant le port quand j’arriverai, mais je ne mesure pas combien le corps est fatigué. Sur mon téléphone portable, enfin j’ai du réseau ! Comme on dit ; j’adresse un message à ma compagne pour qu’elle trouve un bateau et vienne à ma rencontre à l’entrée du port. Personne quand j’arrive à Nerroth. J’essaie quand même de rentrer à la voile. Mes gestes sont lents et maladroits. Le temps s’écoule très vite : je tire deux bords carrés, me plante comme un idiot  dans les algues et le courant m’échoue sur Nerroth… Le cochon ! Moi, pas le caillou du même nom (en breton). La marée commence à baisser. Heureusement, peu après, mon ami Serge, ancien gardien de phare, vient me dégager de là avec son zodiac.

Sterenn a mérité un bon repos à l’île de Sein (Juillet 2020)
Sterenn a mérité un bon repos à l’île de Sein (Juillet 2020) © Michel-Abel Touzet

L’arrivée aurait pu être fracassante, mais elle n’est guère glorieuse.

Chance : le bonhomme est vivant et le bateau peu abîmé. Merci à la Vie.

Vous trouverez des détails concernant ce « périple » digne d’Ulysse et de ses compagnons, sur Internet.

Notre site : Hisse et Aime / Transat Retour

Certains diront que tout cela n’était guère prudent !

Faut-il vivre en apnée, sous prétexte que l’oxygène provoque le vieillissement des cellules ? L’aventure est certes dangereuse…

mais la routine, la stagnation et l’ennui sont mortels.

Et les Voyages véritables forment la jeunesse et débouchent les vieilles artères !