A la fin du XIXe siècle, le gréement à voiles au tiers est encore largement -majoritaire en baie de Saint-Brieuc sur les bateaux de pêche côtière, particulièrement au port du Légué où ils sont dénommés indifféremment, bateaux, lougres ou bisquines par l’Administration. La voilure de sloup dite localement de bocq n’est utilisée localement que sur quelques petits canots maquereautiers. Le gréement à deux voiles au tiers et un foc développe plus de puissance pour la drague aux huîtres et le chalut à perche, pratiqués en général entre Fréhel et le Met de Goélo, tandis que le sloup remonte au lof à la moindre croche du train de pêche. Quelques forts bateaux pratiquent également le dragage du sable.

Dessin Lougre du Légué
Lougre du Légué. © J. P. Guillou

La silhouette des lougres des deux ports de pêche de l’entrée du Légué (sous La Tour, côté Plérin, et Cesson, côté Saint-Brieuc), appelés “touriers” par leurs voisins, se distingue de celle des bisquines cancalaises par l’absence de hunier au mât de misaine. Le grand mât, fortement incliné sur l’arrière, et le bout dehors sont d’une longueur impressionnante. La misaine – à la vergue peu apiquée – se hisse à tribord, le taillevent à bâbord ; toutes deux, gréées d’un rocambeau, s’amurent en pied de mât.

Suite à une série de naufrages de chaloupes creuses en 1863-1866 (les barques ne peuvent se mettre à l’abri à marée basse car les ports de la Baie ne sont plus accessibles), les marins décident par souci de sécurité de se doter de bateaux plus forts, et surtout systématiquement pontés.

Une partie des touriers adopte le pontage complet classique, mais d’autres conservent une grande “baignoire” pour l’équipage en arrière du grand mât. Les jambettes sont couvertes par un vaigrage, comme sur tous les dragueurs d’huîtres de la région. Les flancs de ces fortes barques sont très muraillés et les étraves parfois nettement pincées.

Une caractéristique locale originale est l’allongement de l’arrière, vers 1890, sans doute pour éviter l’utilisation d’un gui sur la grand voile, le grand mât étant très reculé. La plupart des lougres adoptent une voûte à redan très courte qui semble surajoutée. La mèche du safran reste extérieure au tableau et le décrochement entre l’étambot et le safran est comblé par un contre-étambot ou “fausse pièce” qui vient ressortir au milieu du banc de barre, à l’intérieur du tableau. Il est difficile de savoir si ce système était installé dès la construction ou monté après. Certains touriers gardent le “tableau franc” ou “cul carré” primitif. Enfin, quelques grands lougres comme la Jeanne d’Arc, SB 658, possèdent une véritable voûte et un rouf à la manière des bisquines.

Carénage du Chanard et du St Maudez. © coll. Ar Vag

La plupart des coques sont noires avec un liston blanc interrompu pour le numéro, plus rarement décorées de faux sabords ; beaucoup portent une moustache de couleur claire.

La majorité des lougres sont construits dans les chantiers locaux (Louis Lhotellier à Port Favigo, Dominique Ruellan, Jean Quémard, Jacques Frélicot à Plérin). Quelques-uns proviennent de la Rance, de Paimpol ou de Ploubazlanec, mais le chantier Kerenfors de Roscoff en a construit une douzaine parmi les plus gros entre 1882 et 1914.

La guerre de 1914 marque la fin des lougres, qui sont transformés en sloups. Par la suite, on ne construit plus que des sloups chalutiers aux proportions plus massives que les anciens lougres, dont la silhouette originale n’était pas sans caractère.