Par Bernard Ficatier et Hugues Roche – Si les demi-coques sont aujourd’hui connues comme éléments décoratifs, ce sont pourtant de véritables outils de travail qui ont longtemps permis aux charpentiers et aux architectes de concevoir des bateaux.

1. Leur utilité et la conception du bloc

Les demi-coques de chantier, que l’on appelle aussi blocs, demi-blocs ou modèles, sont de véritables outils de création et de visualisation des formes. C’est à partir d’un bloc de bois sculpté que le charpentier va obtenir un plan de formes précis et qu’il va tracer le bateau. À l’inverse, les demi-coques faites à partir des plans permettront à l’architecte, et à son client, de mieux visualiser les formes créées sur le papier. Les plus grands architectes ont utilisé ce procédé pour concevoir des carènes extraordinaires comme celles des yachts de la Coupe de l’America.

Seuls les logiciels de dessin en trois dimensions sont aujourd’hui parvenus à supplanter l’usage des demi-coques, car ils permettent de rajouter de la matière au volume là où il fallait refaire un modèle taillé dans le bois. Il n’est toutefois pas évident que la perception des formes sur ces demi-coques virtuelles soit réellement meilleure pour tout le monde…

La dimension des demi-coques varie de 40 à 120 centimètres environ et, comme les plans, elles représentent les bateaux à une échelle variant du 1/5 au 1/50. Elles sont le plus souvent démontables lorsqu’elles doivent servir à tracer le plan. Bien sûr, il existe aussi des demi-coques faites de bois précieux dont l’unique objet est la décoration… Les modèles des chantiers sont le plus souvent réalisés dans les chutes des bordages bien secs, parfois peints pour figurer la flottaison ou les futures couleurs du bateau. La demi-coque peut aussi servir à visualiser la répartition des virures de bordé, leur quantité, leurs formes… Si elle est parfaitement lissée, la demi-coque peut être utilisée pour tracer ou construire directement en grandeur nature, comme cela se faisait dans beaucoup de chantiers.

L’orientation et la fixation des planchettes

Les demi-coques peuvent être réalisées dans un bloc de bois massif ou bien avec des planchettes assemblées par des chevilles ou par collage. Que la demi-coque soit démontée ou non pour en faire le plan, les courbes que dessinent les planchettes au fur et à mesure de la mise en forme de la carène constituent une véritable aide pour l’appréciation du volume et du lissage de la coque.

Les planchettes sont disposées horizontalement dans la plupart des cas. Elles sont parallèles à la flottaison si l’on décide de construire avec la quille en différence ou s’il s’agit de l’interprétation d’un plan d’architecte. Elles sont parallèles à la quille lors-que celle-ci doit être horizontale.

La multiplication du nombre des planchettes est un facteur de précision. Pour cette raison, on en trouvera un plus grand nombre dans les fonds afin d’obtenir plus d’informations sur les œuvres-vives. Il est d’usage d’utiliser des planchettes de 5 à 20 millimètres en dessous de la flottaison et de doubler l’épaisseur dans les hauts. Il est plus pratique que la tonture soit découpée dans une seule planche. Les planchettes seront disposées verticalement si l’on souhaite définir correctement les fonds d’un bateau particulièrement plat.

Les planchettes sont maintenues entre elles par des chevilles en bois qui seront elles aussi sculptées avec la forme. Ces chevilles doivent- être mises en quinconce et légèrement en biais afin d’éviter que les planchettes ne s’écartent.

Hors membres ou hors bordé, avec ou sans plan de quille

Les demi-coques représentent souvent la carène hors bordé (avec l’épaisseur du bordé). Elles peuvent- aussi la représenter hors membres (sans l’épaisseur du bordé), ce qui fera un travail de moins pour le charpentier puisqu’il obtient directement les formes des couples de construction. Mais cela fausse légèrement l’appréciation du volume et complique le travail au niveau de la râblure.

Pour un bateau à râblure ronde dont la charpente axiale a une épaisseur constante, il est courant de découper le profil (ligne de quille et étrave) dans une plaque venant se fixer au dos de la demi-coque et dont l’épaisseur à l’échelle est celle de la demi-épaisseur de la charpente axiale. Cela permettra à l’outil de filer sur la coque, au-delà de la râblure, sans rencontrer d’obstacle.

Pour les bateaux qui ont une râblure ronde dont la charpente axiale a une épaisseur variable, la demi-épaisseur de la quille, de l’étrave et des massifs sera comprise dans la largeur des planchettes à l’intérieur d’un périmètre défini par la râblure et le livet, mais les parties extérieures à la râblure seront rapportées autour de la demi-coque.

Pour des bateaux à râblure droite et fort retour de galbord, on fera de même, ce qui permettra, en plus, de conserver un peu de matière à cet endroit plutôt que de travailler une arête trop fragile.

 

1) Les courbes que dessinent les planchettes permettent de visualiser le moindre défaut de formes.

2) Planchettes parallèles à la flottaison : démarche de l’architecte qui calcule distinctement œuvres vives et œuvres mortes.

3) Planchettes parallèles à la quille : pour obtenir la forme de la membrure lorsque la construction se faisait quille horizontale.

4) Planchettes parallèles au plan axial : pour une meilleure définition des fonds.

5) Les planchettes sont maintenues entre elles par des chevilles en bois qui seront elles aussi sculptées avec la forme.

6) Sans la râblure, il est quasiment impossible de savoir si une demi-coque est hors membres ou hors bordé.

7) Le travail au rabot étant impossible à l’approche des angles, le plan de quille est rapporté par derrière.

8) Trop fine, l’arête serait cassante et difficile à travailler.

 

2. La préparation du bloc

Pour une première, il convient de commencer par la réalisation de la demi-coque d’un bateau de petite taille (moins de 6 mètres) dont on aura préalablement observé et relevé les formes. Cette démarche est un bon entraînement à la perception des formes et des volumes. On pourra ensuite se lancer dans la création d’une demi-coque épousant les formes d’un futur bateau, celles-ci étant d’ailleurs souvent extrapolées de carènes déjà observées : on copie le bateau du voisin… et on tente de l’améliorer !

Le relevé a déjà été expliqué dans ces colonnes (CM 239). Pour la réalisation d’une demi-coque, il faut un crayon, une équerre, des lattes souples, quelques petits serre-joints, une perceuse et des mèches à bois, un maillet, des gouges ou des râpes demi-rondes, des ciseaux à bois, un rabot, des racloirs, du papier de verre avec des cales à poncer, une scie à chantourner ou, à défaut, une scie égoïne ou une scie sauteuse.

Le bois doit être homogène, droit de fil et dépourvu de défauts (poches de résine, nœuds, contre-fil). Traditionnellement, la demi-coque était faite dans les chutes de bois bien sec du chantier. Les bois tendres sont plus faciles à travailler, mais, si on se laisse emporter, on commet très vite de grosses erreurs difficilement rattrapables. Les bois très denses sont durs à façonner et, de ce fait, les maladresses entraînent de moindres erreurs. Il faut aussi se méfier de certaines essences de bois exotiques qui ont des fils croisés et sont impossibles à raboter sans faire d’éclats. On se méfiera tout autant de certains résineux qui ont des cernes de croissance alternativement très durs et très tendres, à cause desquels on risque d’aboutir à une vraie tôle ondulée !

À Douarnenez, les stagiaires des Ateliers de l’Enfer, centre de formation à la charpenterie de marine, façonnent la demi-coque d’un Monotype du Finistère, yacht de 6,50 mètres de long conçu en 1928 par Victor Brix pour le chantier Moguérou de Carantec. © Mélanie Joubert

L’observation des formes et la prise de cotes

L’appréciation des formes et des volumes est certainement la chose qui demande, avec le maniement des outils, le plus d’entraînement. Cependant, il est possible d’affiner l’observation grâce à l’utilisation de règles droites. En appliquant ces règles de différentes longueurs sur les formes, en différents points et sous différents angles, il est plus facile d’estimer l’importance des courbes, les zones où se situent les plats, etc. On obtient ainsi plus d’informations sur la forme et l’importance du retour de galbord, l’inclinaison des fonds, le rond du bouchain, le tulipage ou le frégatage des hauts… Il sera possible aussi de repérer des portions de droite dans la râblure, la quille et parfois même dans le livet. Et lorsque l’œil ne suffit plus, il ne faut pas hésiter à utiliser les mains qui, elles aussi, savent apprécier les formes.

Après cette première observation, il importe, pour cadrer le travail, de prendre quelques mesures sur le bateau : la longueur de l’étrave (au niveau de la râblure) à la face arrière du tableau, la quête du tableau et sa largeur, le maître-bau et sa position longitudinale, la hauteur à l’étrave, au tableau, au plus creux du livet, l’épaisseur de la quille… Ces quelques cotes fixent les dimensions principales du bloc de bois dans lequel on va sculpter la demi-coque et permettent de tracer rapidement la silhouette ainsi que la vue en plan sur le bloc.

Ayant tracé le contour général à main levée, il sera possible de situer avec précision les futurs emplacements des chevilles et de s’assurer de l’absence de défauts dans le volume de bois à travailler.

On a désormais le « volume capable » dans lequel va s’inscrire la demi-coque tribord de notre bateau. Il s’agit maintenant de déterminer les zones où l’on veut de la précision, de choisir le nombre de planchettes, leur épaisseur, et de les orienter. Ces planchettes devront être dégauchies puis rabotées à l’épaisseur voulue. Elles seront ensuite maintenues les unes sur les autres à l’aide de serre-joints puis assemblées par chevillage ou par collage. Il convient généralement de placer trois à quatre chevilles près de l’axe de symétrie, deux à trois autres en abord (sur un modèle d’environ 60 centimètres) et deux autres encore à l’extérieur du livet, pour maintenir les chutes en place pendant le sciage du bloc.

Malgré les précautions prises pour que les chants des planchettes soient bien alignés, il y a souvent un léger désaffleurement après l’assemblage. Il convient de dresser correctement cette surface pour pouvoir y retracer la silhouette. Il faut donc dégauchir le bloc en entier, soit au rabot à main, soit à la dégauchisseuse, en prenant garde de bien rester perpendiculaire aux faces des planchettes. On peut finir cette opération avec un racloir ou une cale à poncer.

Il est possible alors d’identifier le plan de collage qui représente la ligne de flottaison ou la ligne de quille suivant la référence choisie, puis de retracer précisément la silhouette. On trace ensuite la vue de dessus en prenant garde au calage de ces deux vues entre elles. Pour ce faire, il faut retourner les traits à l’aide d’une équerre à dos. On en profitera pour tracer sur chacune des planchettes au dos du bloc l’emplacement des futurs couples. Le plus courant est de diviser la longueur de flottaison en dix parties, ce qui permet de placer onze couples plus le tableau. Si les élancements l’imposent, on ajoutera un ou plusieurs couples avec les mêmes intervalles. Pour retracer les courbes, on peut utiliser les lattes souples maintenues en forme à l’aide de petites pointes ou d’épingles plantées dans le bloc.

 

 

1) La prise de quelques cotes permet de fixer les dimensions principales du bloc puis d’y tracer la silhouette et la vue en plan.

2) Schéma de répartition des chevilles.

3) Affleurage des chants des planchettes.

4) Tracé des couples.

5) Tracé du livet à l’aide d’une latte souple et de quelques pointes.

6) Ici, les planchettes sont faites de lattes collées dont la largeur correspond à l’espacement entre les longitudinales. L’alternance des couleurs fait ressortir à la fois les lignes d’eau et les longitudinales.

3. Le temps du façonnage

Lorsque la demi-coque est composée d’un bloc massif, ou que les planchettes sont déjà assemblées, et que l’on dispose d’une scie à ruban avec lame à chantourner, on peut façonner le bloc en respectant la procédure suivante. On commence par découper le livet vu en plan (1). Mais on laisse le bloc, désormais en deux parties, comme s’il n’en formait toujours qu’une seule. Ainsi on évitera tout mouvement de bascule lors des sciages suivants.

Pour solidariser les deux morceaux, on peut utiliser des vis ou des pointes. Mais, ces pièces métalliques pouvant se trouver sur le passage de la scie et risquant de marquer la future demi-coque, on préférera un collage rapide – et léger – en deux ou trois points, par exemple à la néoprène.

On peut alors découper le livet de pont, l’étrave, la ligne de quille ou de râblure et enfin la quête de tableau (2). Attention, si les formes sont frégatées, il faut découper suivant la largeur au fort, plus importante que celle définie par le livet vu en plan.

Ces découpes peuvent aussi se faire à l’aide d’une scie à chantourner à main, mais cela requiert une grande dextérité et donc quelques séances d’entraînement. Il est sans doute préférable pour celui qui ne dispose que d’une scie sauteuse de prédécouper les planchettes à la forme du livet vue en plan avant de les assembler, puis d’ébaucher le reste à l’égoïne, à la gouge et au rabot. Il est possible bien sûr d’ébaucher tout le bloc avec des outils à main, mais c’est plus long, et les formes concaves seront très difficiles à façonner.

 

François Renault tenant en mains la demi-coque de la vaquelotte

 

On peut maintenant reprendre les imprécisions de découpe de la silhouette en commençant par raboter la face du tableau arrière (3) ainsi que le profil de la râblure à l’étrave. Comme les fonds sont encore perpendiculaires à la ligne de quille, il est possible de fixer le bloc au bord de l’établi à l’aide d’un serre-joint, en intercalant la chute de découpe du livet pour gagner en stabilité et ne pas écraser les extrémités de la tonture. On peut aussi maintenir la demi-coque avec une presse d’établi, notamment pour la reprise de la tonture.

Le travail du bois au rabot ou à la gouge nécessitant de pouvoir immobiliser le bloc dans de multiples positions, il est indispensable de faire différents montages sur l’établi. Pour éviter de marquer la pièce avec les presses, il est pratique de fixer au dos, dans le chant d’une planchette et avec des vis de bon diamètre, un fort tasseau (4) à peine plus court que la demi-coque et sur lequel on pourra au besoin fixer un contre-plaqué épais et rigide. C’est par le biais de ce tasseau ou de cette plaque (5) que les presses tiendront le bloc.

De la gouge à l’abrasif fin

Une fois la silhouette retouchée, on dessine la forme du tableau arrière et on trace la demi-épaisseur de quille du tableau à l’étrave. Les gouges ont l’avantage d’autoriser le travail dans le retour de galbord, mais elles permettent aussi d’enlever du bois en quantité importante et sont idéales pour le dégrossi des formes (6). Il est pratique d’en avoir de différents rayons. On aura toujours avantage à travailler les fonds avec cet outil, et à façonner les hauts à l’aide d’un rabot. À ce stade, les autres outils intéressants sont la vastringue, à base plate ou ronde, qui permet de travailler en creux et de lever un copeau comparable à celui du rabot, la râpe qui permet aussi de travailler en creux, et les racloirs taillés en forme, qui, lorsqu’ils sont correctement affûtés, lèvent eux aussi un copeau et offrent un bon rendu.

Pour ébaucher les fonds, on mesure sur le modèle, en plusieurs endroits, l’angle que fait une droite passant par la râblure et un point de contact au bouchain (7). Puis on débite les fonds en respectant ces angles (8). La forme de notre demi-coque rappelle alors celle des bateaux angulaires. Pour façonner ensuite la carène, il est possible de travailler entièrement à l’œil et au jugé. Mais la fabrication de quelques gabarits transversaux permet d’être un peu guidé (9). Afin de mieux visualiser la forme sur la coque, on trace les sections avec une craie à tableau. Lorsque les marques du clouage du bordé sont visibles, ce sont de bons repères pour réaliser un tracé perpendiculaire au plan de symétrie axial et perpendiculaire au repère horizontal d’origine.

La phase de lissage commence réellement maintenant. Elle consiste à regarder la forme qu’a chacune des courbes créées par le volume sur le chant des planchettes. Il faut que ces courbes, qui représentent des lignes d’eau, soient les plus tendues possible, qu’elles soient harmonieuses entre elles et qu’il n’y ait plus de parties plates ou de brusque changement de forme. La zone du retour de galbord, où apparaissent des inversions de courbes, est pour cette raison un peu troublante.

Ce travail, souvent délicat, se finit par un ponçage général à l’aide de papiers abrasifs de plus en plus fins. On peut commencer avec un papier de grain 80 et finir avec du 150/180. L’application d’une éponge humide permettra, avant un dernier ponçage au 210/240, de lever d’éventuelles fibres rebelles qui apparaîtraient à la première imprégnation des produits de finition. Il faut surtout veiller, lors de cette opération, à ne pas arrondir les angles dans les extrémités, notamment au tableau, tout le long de la râblure et au livet. Cela implique, pour bien contrôler le mouvement et l’angle de ponçage, de travailler avec des cales à poncer (10 et 11).

Le toucher aura un rôle important pour l’appréciation du lissage et de l’état de la surface avant les finitions (12). Le doigt est en effet capable de sentir de très petites variations de forme, ce qui en fait un outil de grande précision. Au final, la demi-coque peut être huilée, cirée, vernie ou peinte. On peut la présenter vissée par-derrière sur un support… sans oublier qu’elle doit rester démontable pour remplir sa fonction première : tracer les formes. 

 

4. Construire ou obtenir un plan

Il est possible d’après la demi-coque de tracer directement à l’échelle le profil de la charpente axiale et les couples nécessaires à la construction. C’était d’ailleurs souvent de cette façon que travaillaient les chantiers. Mais il est également possible d’obtenir un plan d’après la demi-coque – avec différentes techniques selon qu’elle est en bois massif ou constituée de planchettes démontables ou non –, ce que nous allons voir ici.

Si la demi-coque est en bois massif, il faut, pour en extraire un plan, soit la découper suivant des sections transversales, soit procéder, comme pour un relevé de formes, en faisant une sorte d’empreinte, éventuellement à l’aide d’un dispositif spécialement conçu à cet effet.

Si l’on choisit de la découper, on commence par tracer son contour au crayon en la posant sur une feuille de papier et on reporte les extrémités de la ligne de flottaison si elle existe. Une fois la demi-coque enlevée de la feuille, on relie les extrémités de la flottaison et on profite du fait qu’il n’y ait pas encore trop de traits pour lisser les premières courbes, souvent un peu arrondies à leurs extrémités.

Grâce à cet outil de son invention, l’architecte naval américain Nathanael Herreshoff pouvait relever les formes d’une demi-coque.

En général, on trace onze couples- pour diviser la flottaison par dix (1). Une fois cette segmentation opérée sur la feuille, on y repositionne la demi-coque pour y reporter ce tracé (2). Il faut alors coller la demi-coque sur une planchette afin de la découper à la scie à main, en dix tronçons sans toutefois entamer la planchette qui est là pour conserver la cohésion de l’ensemble. Cela dit, pour être vraiment précis, l’idéal est de réaliser une boîte à coupe (3) sur mesure dans laquelle on visse le bloc en prenant garde qu’aucune fixation ne se trouve aux emplacements des futurs traits de scie.

Une fois chaque section découpée, on glisse dans le passage de la lame un carton fin ou un bristol sur lequel on a tracé au préalable une ligne représentant la flottaison dans le plan transversal. À l’aide d’un crayon, on reporte la forme du tronçon sur la feuille, opération que l’on réitère à chaque section et avec le même carton en prenant soin de caler correctement les couples- en hauteur au moyen de la ligne de flottaison (4).

Pour une question de clarté, on peut dissocier les couples avant de ceux de l’arrière en traçant les uns au recto et les autres au verso de la feuille. Si le tableau est très incliné, sa forme sera plus facile à relever à l’aide d’un calque, forme que l’on reportera ensuite à l’emplacement prévu pour la vue rabattue. Faute de ligne de flottaison, le livet ou la râblure peuvent servir de référence pour le calage en hauteur.

À ce stade, toutes les informations nécessaires au tracé ont été relevées sur le bloc. Il ne reste plus qu’à établir sur cette vue transversale des lignes d’eau, des longitudinales et des diagonales pour tracer les autres vues. Cette méthode est rapide et donne directement, pour peu que le modèle soit hors membres, les informations dont le charpentier a besoin pour construire. L’inconvénient majeur est que, une fois découpé, le bloc est fragile et donc difficilement rectifiable.

Peigne à moulure et autres dispositifs

Si l’on souhaite conserver le bloc intégral, on utilise le même procédé que celui précédemment décrit pour tracer la silhouette sur le plan et pour identifier les couples sur le bloc. Mais au lieu de tronçonner le bloc dans une boîte à coupe, on introduit à la place de la lame un réglet métallique qui permet de tracer au crayon sur la demi-coque chaque section transversale (5). Cela fait, on sort le bloc de la boîte pour réaliser à l’emplacement de chaque couple une empreinte à l’aide d’un peigne à moulure – il en existe qui font jusqu’à 30 centimètres de long – dont on bloque ensuite les dents. On mesure pour chaque couple la largeur au livet et la demi-épaisseur de quille à la râblure. Pour tracer les sections transversales, on pose le peigne à plat sur une feuille, outil qu’on immobilise avec un poids. On repère sur la feuille la position de la râblure et du livet, puis on dispose à l’intérieur du peigne une latte souple maintenue au contact des dents par des plombs à bec (6). On écarte le peigne pour tracer contre la latte la forme de la section. Le plan de symétrie axial est tracé à la tangente d’un coup de compas pour la largeur au livet et d’un autre pour la demi-épaisseur de quille à la râblure (7). La position en hauteur de la ligne de flottaison est repérée dans le plan longitudinal par rapport à la râblure et reportée sur le tracé du couple.

On procède de la même façon pour chaque couple sur des feuilles séparées que l’on rassemble au final sur une seule feuille, à l’aide d’un calque par exemple, en superposant les lignes de flottaison et les plans de symétrie. Comme avec la première méthode, il ne reste plus qu’à établir sur cette vue transversale des lignes d’eau, des longitudinales et des diagonales pour tracer les autres vues. Cette méthode a l’avantage, par rapport à la précédente, de conserver intacte la demi-coque. On peut également l’utiliser pour des maquettes et autres ex-voto.

Enfin, on peut aussi s’inspirer des « dispositifs à relever ». Nathanael Herreshoff (1848-1938), que l’on surnommait « le Sorcier de Bristol », un des plus grands architectes navals américains, concevait lui aussi ses bateaux à l’aide de demi-coques. Pour les relever en vue de faire des calculs, cet ingénieur de formation avait mis au point un étonnant dispositif, proche d’un planimètre, qui, par le biais de disques gradués interchangeables, lui permettait d’obtenir les tableaux des ordonnées nécessaires au tracé des couples (8).

Plus modestement, il est envisageable de réaliser, et à peu de frais, une sorte de pantographe (9) qui permettra par simple contact avec le bloc de dessiner directement la forme des sections. Le tracé du profil ne change pas. En revanche, il ne sera pas indispensable de tracer les sections sur la demi-coque à condition de la disposer, lors du relevé, sur un plan déjà quadrillé.

5. Relevé d’une demi-coque en planchettes

Quand les planchettes sont collées, comme précédemment, on pose la demi-coque sur une feuille puis on trace son contour et la râblure (1). Aux extrémités avant et arrière, on repère la marque des lignes d’eau représentées par les plans de collage puis on enlève la demi-coque et on lisse ces premières lignes qui définissent les aboutissements de tous les futurs plans de coupe. On trace alors complètement les lignes d’eau pour les vues longitudinales et transversales et on vérifie, voire on rectifie le parallélisme de ces lignes.

En dessous de la silhouette, on établit le plan de symétrie axial et la répartition des sections longitudinales ainsi que les sections transversales dans les deux vues (2). On repositionne le bloc sur le dessin pour y tracer les couples à l’aide d’une boîte à coupe (CM 285) et d’un réglet métallique souple dont la partie plate doit demeurer bien horizontale (3). Une fois tous les couples- tracés, on les retourne au dos du bloc.

 

Les longitudinales n’apparaissant pas sur ce type de demi-coque, il faut les y tracer pour pouvoir les relever. À l’aide de plusieurs cales dont les épaisseurs sont définies par l’espacement entre- les plans des sections longitudinales et le plan de symétrie axial, on projette sur la demi-coque la trace de ces plans de coupe (4).

Le relevé des lignes d’eau s’effectue grâce à un compas d’épaisseur (5). On reporte la mesure sur les vues correspondantes. Les largeurs des lignes d’eau au tableau sont mesurées à l’aide d’un mètre et reportées dans les trois vues. Il est possible aussi de relever leur forme à l’aide d’un papier-calque et de la reporter simplement dans la vue rabattue puis, de là, renvoyer les largeurs dans les autres vues. Les largeurs au livet peuvent elles aussi être relevées puis reportées à l’aide d’un mètre. Les aboutissements des lignes d’eau aux extrémités sont obtenus en redescendant les points d’intersection de la râblure et du tableau avec les lignes d’eau vues en élévation dans la vue en plan (5 bis).

Le relevé des sections longitudinales s’effectue aussi grâce à un compas d’épaisseur (6). La mesure étant prise à partir du dessus de la planchette définissant le livet, il faudra veiller à ce que celle-ci soit bien perpendiculaire au plan de symétrie axial. Les aboutissements des sections longitudinales aux extrémités sont obtenus en remontant les points d’intersection du livet avec les longitudinales vues en plan, dans la vue en élévation (6 bis).

Si la demi-coque est démontable

C’est toujours avec un peu d’appréhension que l’on chasse les chevilles d’une demi-coque. Pourtant, si les planchettes sont chevillées plutôt que collées, c’est bien pour pouvoir être démontées et plus facilement mesurées.

Comme dans les méthodes précédentes et avant de démonter, on trace le profil par contournement du bloc, on repère les lignes d’eau sur le plan qu’on prolonge pour la réalisation de la vue transversale, on établit la répartition des longitudinales qu’on reporte sur le bloc, etc. Si les couples ont été tracés avant le modelage des formes, on reporte leur position sur le plan. Sinon on les trace uniquement au dos de la demi-coque, perpendiculairement aux planchettes et sur chacune d’elles.

Une fois les chevilles repérées en vue du remontage – on les numérote et on y trace un repère qui dépasse sur la planche du livet –, on les chasse avec délicatesse pour ne pas éclater les planchettes du fond, toujours plus fragiles. Le tracé des lignes d’eau se fait par simple détourage des planchettes qu’on règle longitudinalement de telle sorte que le tracé des couples sur le chant corresponde au quadrillage du plan (7) . Si une planche a été rajoutée au dos de la demi-coque pour représenter la demi-épaisseur de la quille, il faut tracer sur la vue en plan cette demi-épaisseur et positionner le bord des planchettes du bloc sur cette ligne.

Avant de tracer les sections transversales et de vérifier le lissage général des formes avec des coupes diagonales, on soigne les aboutissements des lignes d’eau comme les angles du tableau (8). Si une ligne d’eau dans le tableau n’est pas parfaitement perpendiculaire au plan axial ou si une ligne est interrompue par une cheville, il faut lisser les lignes avec une latte souple en repositionnant leurs aboutissements en conformité avec la vue en élévation. De la même manière, on peut aussi procéder de la sorte dans la partie avant (9) où la finesse des lignes obtenues au rabotage est parfois insuffisante pour le tracé, comme le lissage de la râblure dans la vue en élévation peut avoir modifié la position des aboutissements. Il ne faut pas hésiter à gommer la ligne entre deux ou trois couples, et replacer la latte jusqu’à cinq ou six couples en arrière.

La planchette supérieure représente le livet vu en plan et la tonture. De par la forme creuse de la tonture, il est impossible de caler la planchette à plat et de reproduire la forme par contournement. De plus, les sections arrière peuvent- être frégatées et le crayon ne peut alors pas s’y appuyer. À l’aide d’une équerre à dos, on trace sur la face supérieure de la planchette la position des couples puis on mesure la largeur du livet à chaque couple et on transpose ces mesures dans la vue en plan (10). On reporte enfin les points d’aboutissement du livet, de la vue en élévation à la vue en plan puis on trace le livet en plan à l’aide d’une latte souple.

Le manque d’informations dans les fonds peut amener le dessinateur à rechercher les points nécessaires au tracé des longitudinales. Ces lignes ayant été portées sur le bloc avant le démontage, il reste à les reporter sur la face supérieure des planchettes des fonds à l’aide d’un réglet. On trace ensuite sur ces faces la position des couples avec une équerre à dos. On relève l’épaisseur de la planchette sur un couple et au passage d’une longitudinale à l’aide d’un compas d’épaisseur ou d’un pied à coulisse. Cette mesure est reportée dans la vue en élévation sur le couple- concerné. Pour chaque longitudinale, on répète l’opération à chaque couple, là où la forme est mal définie (11). Les parties hautes et les aboutissements des longitudinales seront tracés à l’aide des points d’intersection avec les lignes d’eau dans la vue en plan, renvoyés de la vue en élévation.

Le tracé des couples peut alors se faire de manière classique.