1. Drisses, écoutes, amarres

Si la qualité des poulies facilite la manoeuvre des voiles, celle des cordages influe sur leur réglage. Souvent négligées et mal entretenues, les drisses et écoutes sont pourtant essentielles à la sécurité du navire.

L’histoire du cordage se confond avec celle de la navigation et les seuls matériaux pour les confectionner ont longtemps été d’origine végétale (chanvre, lin, sisal, coton, etc.). La donne change au début des années 1960 avec les fibres de synthèse, issues de la pétrochimie, qui donnent naissance à des cordages insensibles à la pourriture et à l’humidité, bien plus fiables et durables. Les fibres naturelles sont désormais cantonnées à des projets à forte historicité.

Le gréement courant, soumis à des mouvements permanents et à des contraintes alternées qui usent les gaines et fatiguent les fibres, doit être considéré comme un consommable et remplacé régulièrement. Sachant qu’un voilier d’une douzaine de mètres gréé en sloup bermudien embarque en moyenne quelque 300 m de cordages divers et que la gamme de prix fluctue dans un rapport d’environ un à quinze, pour un prix moyen de 2 à 3 euros le mètre en polyester – et le double en exotique –, ce budget peut vite peser et le choix du textile n’a rien d’anodin.

Pour une drisse, on privilégiera la résistance à l’allongement sous charge et à l’abrasion. Pour une écoute, les critères de confort de prise en main et de souplesse l’emporteront. Pour compenser les à coups sur les amarres ou la ligne de mouillage, on mettra l’accent sur la souplesse et l’amortissement. Dans tous les cas, l’accastillage devra correspondre aux diamètres employés, ou vice versa, sous peine de dysfonctionnements ou d’usure prématurée. Une drisse trop fine sciera rapidement un réa de tête de mât ou glissera sous les mâchoires d’un bloqueur ; trop grosse, elle usera les joues d’une poulie de renvoi et sa gaine sera écrasée par un coinceur. Les gants sont conseillés pour utiliser en toute sécurité les cordages à haute ténacité d’un diamètre inférieur à 8 ou 10 mm.

L’HIVERNAGE À L’ABRI DES INTEMPÉRIES EST PLUS QUE CONSEILLÉ

La surveillance des points de frottement potentiels – tête de vis, écrou de fixation, anneau brisé, goupille –, est impérative car ils viendront à bout de toutes les fibres ou presque. Une gaine effilochée, un toron qui dépasse, une âme visible dans sa gaine sont autant de signaux d’alerte qui doivent inciter à vite corriger le défaut. Les cordages ne seront pas stockés sur les quais pour éviter le contact avec des particules abrasives (gravillons, poussières, copeaux métalliques). Au repos, il vaut mieux les suspendre dans un coffre aéré et à l’abri du soleil. Le sel agissant comme un abrasif sur les fibres, on évitera de coucher les écoutes sur le pont et on les rincera régulièrement à l’eau douce. L’hivernage à l’abri des intempéries est plus que conseillé pour augmenter leur durée de vie.

1) Si un cordage offrant une bonne résistance à l’allongement doit être privilégié pour une drisse, il faut également veiller à ce que son diamètre corresponde à l’accastillage déjà en place.
2 et 3) Pour compenser les à-coups sur les amarres – qui peuvent être protégées aux endroits de ragage –, l’accent doit être mis sur l’amortissement. La souplesse est également importante, notamment pour tourner facilement un cordage sur un taquet.

Les drisses et écoutes, qui partagent la même fibre, le plus souvent polyester, se distinguent par leur mode de fabrication, notamment celui de la gaine. Réalisée en fibres discontinues, celle-ci offre un toucher cotonneux agréable en main et favorise l’accroche sur la poupée d’un winch. Souvent pré-étirées en usine pour mieux résister à l’allongement, les drisses sont plus raides, avec une gaine lisse. Plus simples d’entretien, on trouve aussi des cordages mixtes, utilisables en drisse ou en écoute ; ils seront choisis pour les grandes croisières, où la maintenance autonome est de mise.

L’ouverture du marché des fibres à haute ténacité a contribué à faire baisser leur prix et à les poser en alternative des polyesters classiques, avec un rapport coût/performance de plus en plus intéressant. Les gains de poids et de place, obtenus grâce à des diamètres plus faibles à résistance égale, sont aussi notables. Grâce à un facteur d’allongement très limité, le contrôle des voiles est bien meilleur et le bateau se comporte mieux à toutes les allures.

De nombreux plaisanciers utilisent leurs cordages usés en guise d’amarres. Si le recyclage est légitime, le niveau de fiabilité et la capacité d’amortissement sont plus aléatoires. Un cordage neuf est de loin préférable. Souvent associé à des ancres en aluminium, les cordages plombés permettent de réaliser un mouillage léger, bien adapté aux petites unités et aux mouillages occasionnels. Ils ne sauraient toutefois remplacer une chaîne en usage intensif ou permanent, car les premiers mètres sont sensibles au frottement sur le fond.

2. Fibres, appellations et structures

Il n’est pas facile de se repérer dans le monde des cordages, ni de les reconnaître à l’oeil. Selon leur méthode de fabrication et les matériaux utilisés, ils ont pourtant des qualités bien distinctes.

La méthode la plus simple pour confectionner des cordages consiste à réunir les fibres continues en brins dont la torsion formera des torons, l’assemblage de trois torons donnant un filin. Plus complexe, la technique du tressage permet de fabriquer des gaines tubulaires qui enserrent une âme en fibres longues, pour obtenir un cordage confortable en main, plus résistant à l’usure et aux UV, le point faible de nombreux polymères. Selon le niveau de ténacité et de souplesse recherché, l’entrelacement des huit à trente deux brins (ou fuseaux) de la gaine sera plus ou moins serré, l’essentiel de la résistance mécanique venant de l’âme.

Très ancien, le cordage toronné est simple à fabriquer et c’est le moins cher. Utilisé pour les amarres et les lignes de mouillage, il résiste bien à la tension et amortit les chocs. Facile à épisser, il est délicat à lover, car il forme des coques. Le toronné-tressé est une variante plus complexe du premier, conçu pour les mêmes usages ; ses huit torons sont tressés par paires. Plus souple, il ne forme pas de coques. Si on dispose d’un modèle mixte, il supportera sans difficulté la poupée d’un guindeau.

Fabrication d’un cordage en fibres naturelles selon une technique traditionnelle en usage à la corderie Soulet, en Vendée.

La structure à double tresse, âme et gaine, est très répandue car elle offre une grande polyvalence et un bon rapport qualité-prix. Selon l’usage prévu et le type de fibre, l’âme travaillante compte de huit à vingt-quatre fuseaux. Le nombre élevé des fuseaux de la gaine, seize ou trente-deux, est synonyme de protection élevée des fibres de l’âme et d’une bonne résistance à l’usure. La double tresse servira au gréement courant presque partout, mais il faudra parfois tenir compte d’un certain pourcentage d’allongement, lui-même dépendant de la fibre et de la fabrication.

Dans la méthode « âme parallèle », l’âme est composée d’un faisceau de fibres toutes orientées dans le sens de la longueur, pour exploiter au mieux leur résistance à la charge et limiter  l’allongement. Certains cordages sont d’ailleurs pré-étirés en usine pour réduire cette élasticité. L’âme est entourée d’une gaine qui la compacte et garantit un diamètre à peu près associée à une fibre à haute ténacité, elle permet de gagner du poids. Très facile à mateloter avec une aiguille creuse, elle s’utilise à peu près partout pour réaliser des boucles textiles, des retenues, des écoutes pour une voile légère ou des bras de spi, voire des amarres. En revanche, son manque de tenue la rend incompatible avec les winches ou les taquets coinceurs.

Une structure très nouvelle vient d’être mise au point par le suisse Paraloc, spécialiste des cordes de montagne, où la gaine et l’âme sont solidarisés dans un même tricotage tridimensionnel, ce qui donne un cordage très homogène.

POLYPROPYLÈNE, POLYESTER ET AUTRE POLYÉTHYLÈNE…

Le même type de fibre existant sous des noms commerciaux différents, il est peu aisé de se repérer et de reconnaître les cordages à l’oeil. De plus, plusieurs matériaux sont souvent mélangés, une tresse polyester pouvant recouvrir une âme en Kevlar, par exemple.

Le polypropylène (PP, Softlen, Hostalen, Leolen ou Geolon) flotte à la surface de l’eau, mais sa résistance mécanique est limitée et il reste sensible aux UV et à l’abrasion. Très glissant, il vaut mieux l’épisser que le nouer. Hors usage spécifique (engin de pêche, remorque de ski nautique…), on l’utilise surtout pour réaliser de petites aussières d’annexe ou de radeau de survie. Le polyamide (PA), connu sous le nom de Nylon, Perlon ou Enkarlon, absorbe fortement l’humidité et reste sensible à l’abrasion. Très élastique et souple, il servira pour les aussières, les lignes de mouillage ou les garcettes.

Les drisses du 60 pieds Imoca Veolia Environnement II lovées en pied de mât tandis que le voilier est en passe d’être maté à Port-la-Forêt, en août 2007. Leur diamètre semble finalement très modeste pour un bateau qui porte jusqu’à 600 m2 de toile au portant.

Le polyester (PES), appellé Dacron, Tergal, Terylène, Diolen ou Trevira, est une fibre polyvalente, employée notamment pour la fabrication des gaines, car, outre son excellent rapport prix-résistance, elle résiste bien aux UV, à l’allongement et à l’abrasion. Un peu plus lourd que le polyamide (densité 1,38 contre 1,14), le polyester est aussi très durable.

L’aramide, le fameux Kevlar, aussi appelé Twaron ou Technora, a un allongement à la rupture extrêmement faible, inférieur à 4 % (contre 10 à 20 %), et une résistance exceptionnelle à la traction. Mais il est aussi très hydrophile et résiste mal aux UV et à l’abrasion. Il est très difficile à couper et ne brûle qu’au-delà de 500°C !

Le polyéthylène (PE), baptisé Spectra ou Dyneema dans sa version à haut module, est une fibre polyvalente aux qualités proches des aramides, sans leurs inconvénients. Il permet notamment d’équiper un spi de bras ultralégers. En revanche, il a tendance à fluer sous charge (déformation permanente à la fatigue), ce que des fabricants combattent en le pré-étirant en usine. Il permet de réaliser des boucles ou erses pour remplacer les manilles métalliques.

Le polyester à haut module (LCP), appelé Vectran ou PBO, est coûteux, mais possède le plus faible taux d’allongement à la rupture de tout le marché (à peine plus de 2%), un fluage nul et une bonne résistance à l’abrasion. Utilisé pour le gréement dormant ultraléger à la place de l’acier Inox, il peut aussi servir de drisse.