Les assemblages

 

Par Philippe Urvois – Mi-bois, tenon et mortaise, trait-de-Jupiter ou queue-d’aronde, le mode d’assemblage des pièces structurelles d’un bateau dépend essentiellement des contraintes exercées sur les matériaux.

Un bateau qui navigue subit des forces longitudinales, transversales ou verticales et les pièces de bois qui constituent sa structure travaillent en permanence dans trois dimensions. La façon dont elles sont assemblées détermine donc en partie la solidité et la longévité du navire. « Tout est lié sur un bateau, explique Christoph Eberhardt, du Chantier naval pleine mer, à Douarnenez. Un assemblage mal adapté, mal réalisé, détérioré ou simplement trop faible va prendre du jeu en vieillissant, la coque ayant tendance à vriller. Les fibres de bois vont alors s’abîmer et commencer à pourrir. Cela va ensuite produire des effets en cascade pouvant amener, à terme, des problèmes d’étanchéité. »

Pour les pièces de structure, les assemblages sont habituellement réalisés bois sur bois et consolidés par des chevilles et boulons. Il existe différentes façons de les réaliser. Nous n’évoquerons ici que les plus courantes : l’assemblage à mi-bois, par tenon et mortaise, à trait-de-Jupiter et en demi-queue-d’aronde biaisée (voir schémas).

La nature des pièces à relier et l’analyse des forces qu’elles subissent guident le charpentier dans le choix de l’assemblage. Mais la taille du bateau – qui détermine l’échantillonnage des pièces –, les contraintes ou les facilités de mise en œuvre peuvent également entrer en ligne de compte. Plusieurs solutions peuvent en fait être retenues pour un même cas de figure. C’est ce qui fait aussi la spécificité de chaque construction.

« Pour assurer la liaison de la quille à l’étrave, on peut par exemple opter pour un assemblage à mi-bois ou pour un assemblage par tenon et mortaise, explique Vincent Scuiller, du chantier Le Vivier, à Lesconil (Finistère). L’emploi de cette dernière technique suppose que les pièces aient une épaisseur suffisante pour conserver leur solidité après avoir été travaillées car on élimine beaucoup de bois. Théoriquement, mortaise ou tenon représentent environ un tiers de l’épaisseur des pièces, la longueur du tenon n’excédant pas deux fois sa largeur. Cet assemblage convient donc plutôt à des charpentes de bateaux de 10 mètres et plus. En dessous, c’est l’assemblage à mi-bois qui est surtout employé. Simple et solide, il est aussi plus facile à réaliser qu’un assemblage par tenon et mortaise parce que le nombre de faces à ajuster est limité. »

Pour ces différents types d’assemblages, une cheville de bois vient définitivement bloquer l’ajustage. Le perçage du trou dans lequel elle va s’enfoncer se fait indépendamment sur chaque pièce – avant la pose donc –, avec parfois un décalage volontaire d’un ou deux millimètres entre les deux trous : ce montage est dit « à la tire » parce que la cheville, en réalignant les deux trous lors de sa mise en place, va forcer les pièces de bois au contact.

Des boulons métalliques de faible section viennent ensuite traverser l’épaisseur de ces assemblages pour soulager les efforts exercés sur cette cheville et bien plaquer les pièces. « Au moment de percer les passages de boulons, il faut veiller à les décaler afin d’éviter que le bois fende », précise sur ce point Christoph Eberhardt.

A gauche : assemblage à mi-bois de la quille et de l’étambot d’un canot ; autour de la cheville en bois, les boulons sont décalés pour éviter de fendre le bois.
A droite : avant le montage définitif, cette étrave coupée à mi-bois, sera assemblée à blanc puis peinte ou enduite de mastic polyuréthane, voire de blious, un mélange traditionnel.

« Le trait-de-Jupiter peut également être employé pour la charpente axiale, sur des serres de section importante, des plats-bords ou des bordages, poursuit le charpentier. C’est un des assemblages les plus efficaces parce que les efforts portent surtout sur le bois et pas uniquement sur le chevillage. » Ce type d’assemblage entre dans la catégorie des « écarts » (CM 214), celui-ci étant de type « long » : les deux pièces sont coupées selon un même plan biais, avec ici plusieurs décrochements correspondant à des coupes perpendiculaires au biais principal. Une « butée » bloque ainsi les pièces en compression tandis qu’un « crochet » les bloque en traction.

Ce type d’assemblage, consolidé ensuite par des boulons, est assez délicat à réaliser et obéit à certaines règles, la longueur de l’écart étant par exemple proportionnelle à l’épaisseur des pièces – selon les charpentiers, la longueur de l’écart va de sept à douze fois l’épaisseur ou la hauteur de la pièce à écarver.

D’autre part, un espace est parfois laissé volontairement entre les coupes, afin d’y insérer en force des « clés », petites pièces de bois coniques qui vont supprimer toute possibilité de jeu ou de glissement… L’assemblage en demi-queue-d’aronde biaisée est notamment employé pour lier les barrots de pont – qui subissent des efforts transversaux – à la serre-bauquière et aux élongis. La demi-queue-d’aronde empêche les barrots de se déboîter quand ils sont en traction et les fait buter contre la serre en compression. « La coupe en biais permet de moins affaiblir les deux pièces et une assise est souvent réalisée afin que le barrot puisse se poser sur la serre dans l’intégralité de sa hauteur », poursuit Christoph Eberhardt.

Le charpentier souligne que d’autres types d’assemblages, comme les courbes (équerres) horizontales et verticales, participent également à la structure du bateau, mais elles sont le plus souvent chevillées et ne nécessitent pas de coupe spéciale. « L’important est de ne pas oublier qu’un assemblage, quel qu’il soit, sera toujours moins résistant qu’une pièce de bois d’un seul tenant. On peut augmenter l’échantillonnage du chevillage et des liaisons pour compenser cette faiblesse, mais au-delà d’une certaine limite, cela pose des problèmes de poids et amène à consommer trop de bois. C’est la difficulté rencontrée sur les bateaux qui dépassent la vingtaine de mètres. »