Le joint doit être bien tassé afin de garantir l’étanchéité des coutures. Pour s’en assurer, les professionnels se fient notamment au son produit par le maillet. Il doit être « franc ». Noter ici la façon traditionnelle de tenir le fer, par en dessous. © Michel Thersiquel

Par Philippe Urvois. Yves Tanguy, dirigeant du chantier du même nom à Douarnenez, nous explique comment calfater la coque d’un bateau traditionnel à bordé franc. « Cette opération demande un certain savoir-faire, mais sur des bateaux bien construits, correctement entretenus et pourtant fortement sollicités, le calfatage peut durer trente-cinq ou quarante ans », estime le constructeur.

Sur une construction bois traditionnelle, le calfatage consiste à insérer des fibres végétales dans des interstices afin d’éviter les entrées d’eau entre différentes pièces, comme les virures de la coque ou du
pont. «C’est une solution d’étanchéité, confirme Yves Tanguy. Elle contribue également à raidir l’ensemble de la construction en limitant les jeux mais elle ne participe pas, pour autant, à la tenue de la structure.» Le calfatage était autrefois pratiqué par des ouvriers spécialisés, en association avec les charpentiers. «C’est un geste technique qui demande un certain coup de main, reprend Yves Tanguy, mais il peut s’apprendre rapidement. Le plus difficile, c’est d’acquérir une certaine rapidité et, surtout, d’avoir une compréhension globale du bateau. L’état du calfatage révèle souvent celui de sa structure.»

Quand calfate-t-on ? «Dans le cadre d’une construction neuve ou, ce qui revient au même, d’une rénovation importante. Mais attention, le calfatage ne peut, en aucun cas, pallier un défaut de qualité des assemblages. Cette opération peut, ensuite, être pratiquée à l’occasion d’un entretien ou d’une réparation, mais ce cas de figure est plus délicat car il faut savoir si on peut se contenter d’une simple reprise du joint ou s’il faut d’abord changer les pièces de  l’assemblage. Il faut garder à l’esprit qu’un bateau est une construction cohérente dont tous les éléments vieillissent ensemble. Autant que possible, on essaie donc de préserver cette homogénéité.»

Quels sont les matériaux utilisés pour les joints ? «On peut employer des cordons de chanvre goudronné ou de coton. Ils sont plus ou moins gros, avec un ou plusieurs torons, afin de s’adapter au mieux à la largeur de la couture. Le chanvre est plus solide et vieillit mieux, il sert en général pour des joints importants et pour des constructions assez rustiques, comme les bateaux de travail, car le gras dont il est imprégné peut ressortir à travers le mastic et la peinture.

« Le coton est utilisé pour les coutures plus fines et plutôt pour les petits bateaux. Il pourrit plus vite que le chanvre, mais il gonfle beaucoup, ce qui est intéressant pour des embarcations qui sont régulièrement au sec. Il a aussi l’avantage de ne pas « transpirer », ce qui permet de très bonnes finitions. Enfin, on emploie de la filasse de coton ou de l’étoupe pour combler les plus gros interstices, au-delà de 5 mm, ou les joints très irréguliers. Ce matériau se présente sous forme d’écheveaux dont on tire des mèches qu’on roule en cordon.»

FERS ET MAILLET, LES OUTILS DU CALFAT

Quels sont les outils nécessaires ? « Le cordon est entré en force avec un maillet et des fers. Le maillet doit avoir du « coup », c’est-à-dire de l’inertie. Le manche est en bois souple, généralement en frêne, tandis que le corps est fait de chêne vert, un bois dense qui ne se fend pas. Les extrémités du corps du maillet sont renforcées par des cerclages de métal dont on doit vérifier régulièrement l’état car ils s’abîment… On utilise différents fers. Le fer à ouvrir possède une extrémité fine, avec une section en forme d’ogive et sert à préparer la couture. On emploie ensuite des fers plats, plus ou moins épais en fonction de la largeur du joint, pour tasser le cordon ou la filasse. On peut être amené à changer d’outil sur une même virure, par exemple si la largeur de la couture évolue.» Après avoir préparé la couture avec le fer à ouvrir, comment procède-t-on pour introduire le nouveau calfatage ? Pour le bordé, on recommande souvent de travailler du haut vers le bas de la coque pour bien resserrer les fonds, et de piquer d’abord le cordon – légèrement tendu – aux extrémités de la couture puis à intervalles réguliers si le joint est trop long. Lorsqu’on travaille avec des mèches d’étoupe ou de filasse, il est aussi parfois préconisé de les prépositionner sur la virure à la façon d’une guirlande. «Il n’y a pas de règle pour déterminer la virure par laquelle on commence à calfater une coque, affirme Yves Tanguy. En revanche, il est important de travailler en symétrie : on commence à calfater deux ou trois coutures d’un côté, puis on jointe les bordages correspondants de l’autre côté.

«Le cordon est d’abord enfoncé légèrement à l’aide d’un fer sur une longueur de 1,50 m à 2 m, en progressant à reculons parce que cela permet de voir ce que l’on fait. Puis on revient à son point de départ et on rentre le cordon en force. On procède ainsi par petites sections, par passes successives. La force des coups de maillet doit être proportionnée à l’échantillonnage des pièces – on ne travaille pas de la même façon sur un chalutier et sur un yacht –, mais il faut toujours taper franchement.

«Pour faire une reprise sur un bateau ancien, on procède de la même façon, non sans avoir au préalable enlevé la vieille étoupe. Plusieurs passes peuvent ensuite être effectuées avant que la couture ne soit
suffisamment calfatée.» Comment le sait-on ? «Quand le joint est bien tassé, le bruit du maillet est franc. Le calfatage doit être dur, raide, pour être étanche. Il est enfoncé sur environ un tiers de l’épaisseur du bordé mais il ne doit pas remplir toute la couture car il doit ensuite être peint et mastiqué. »

Comment tient-on le fer ? Il est parfois conseillé de le tenir en main par en dessous, le petit doigt étant donc le plus près du corps. «Dans cette position, on peut se blesser tous les doigts à la suite d’un
mauvais coup de maillet, constate Yves Tanguy. Selon moi, il n’y a pas de règle sinon celle de se sentir à l’aise pour travailler. »

COMBLER LES ÉCARTS ET LES GERCES

Il reste les écarts, les gerces ou les défauts du bois qui peuvent, eux aussi, provoquer des entrées d’eau. Comment s’y prend-on pour les rendre étanches ? « Pour les écarts de bordages, l’opération s’effectue à la première ou la deuxième passe. Avec le cordon on descend le long de l’écart jusqu’à la couture inférieure qu’on calfate sur une courte distance, en allant dans le même sens que pour la couture supérieure. Puis on repart de la couture inférieure légèrement avant l’écart pour remonter le long de ce dernier et retrouver le niveau supérieur. Les défauts du bois peuvent être corrigés avec des romaillets ou éventuellement calfatés. Pour les fentes fines et franches, on procède comme pour une virure. Pour celles qui peuvent continuer à courir, qu’on retrouve parfois sur les nœuds, on peut être amené, avant de les calfater, à effectuer deux incisions formant un V à leurs extrémités. Cela évite qu’elles ne s’étendent mais cela casse le fil du bois, ce qui n’est pas recommandé.»

Une fois le calfatage terminé, il faut le peindre. Avec quel type de produit ? «On peut employer une peinture d’apprêt pour bois, suffisamment fluide et respirante, qui assurera une bonne cohésion avec le mastic. Ce dernier sera ensuite passé dans les coutures, sans les remplir complètement afin de ne pas créer de bourrelets. Puis la coque sera légèrement rabotée pour enlever les petits éclats de bois qui ont pu se former lors de l’ouverture des coutures. Elle sera alors prête à recevoir une nouvelle peinture.»

Photo de couverture : Le joint doit être bien tassé afin de garantir l’étanchéité des coutures. Pour s’en assurer, les professionnels se fient notamment au son produit par le maillet. Il doit être « franc ». Noter ici la façon traditionnelle de tenir le fer, par en dessous. © Michel Thersiquel

 

Le maillet est en général en chêne vert, un bois dense résistant bien aux chocs. Les fers plats possèdent différentes épaisseurs et sont choisis en fonction de la largeur de la couture. © Michel Thersiquel