Par Philippe Urvois – La pêche à pied fait partie des bonheurs simples et des traditions des gens de la côte. Voici quelques conseils et rudiments pour la pratiquer dans de bonnes conditions.

 

La pêche à pied est une activité très ancienne. Initialement pratiquée par les populations côtières pour améliorer leur ordinaire, elle est devenue très populaire : il y aurait en France près de 2,4 millions de pêcheurs à pied, prélevant chaque année 8 000 t de coquillages et 1 500 t de crustacés. L’équinoxe de printemps (le 21 mars) est l’occasion de s’y adonner. La marée est cette année exceptionnelle avec un coefficient de 119, ce qui lui vaut le qualificatif – abusif – de « marée du siècle ». En réalité, ce phénomène se reproduit tous les dix-huit ans et il faudra attendre le 3 mars 2033 pour retrouver de telles conditions !

La pêche à pied peut cependant se pratiquer dès que le coefficient dépasse 70, ce qui correspond aux périodes de vives-eaux (les grandes marées proprement dites ne commencent qu’à partir d’un coefficient de 100). Les plus belles pêches s’effectuant souvent à la limite de la basse mer, l’idéal est d’être à pied d’œuvre une heure avant la fin du jusant et de repartir une heure après le début du flot. Prenez aussi la précaution de signaler à votre entourage l’endroit où vous allez et l’heure de votre retour.

Comment s’habiller ? On choisira plutôt des vêtements légers et couvrants, type coupe-vent, de préférence avec des poches pour emporter une montre et un téléphone portable. En hiver, on chaussera des bottes tandis qu’en été des sandales en plastique pourront suffire.

© Géraldine et Philippe Urvois

Comment choisir son lieu de pêche ? Il convient, d’abord, de s’assurer que l’endroit est salubre auprès de la mairie, du syndicat d’initiative, de la capitainerie, des Affaires maritimes, ou en consultant les affichages à proximité des lieux de pêche. Les gisements sont classés en quatre catégories (A, B, C et D). La pêche est autorisée uniquement en zones A et B. Les zones classées B restent malgré tout déconseillées car les coquillages qui y sont ramassés doivent être purifiés dans des bassins avant consommation.

Même si l’endroit est classé A, il faut également s’assurer auprès des sources déjà citées que la pêche n’y fait pas l’objet d’une interdiction temporaire. Celle-ci peut être motivée par la prolifération passagère de virus ou de bactéries dans l’eau ou par le développement d’algues contenant des toxines concentrées par les coquillages filtreurs. La consommation de ces derniers peut entraîner des troubles sévères de l’appareil digestif, mais aussi du système nerveux.

PANIER, COUTEAU, GRIFFE, CROC, ÉPUISETTE

Ces quelques précautions prises, place à la pêche ! Dans les rochers, il faut au minimum un panier fermé, porté en bandoulière – c’est le contenant le plus pratique et le plus polyvalent – et un couteau à lame courte et épaisse qui ne se replie pas, de préférence en Inox. Cet outil sert notamment à décoller les coquillages de leur support.

On peut également emporter une griffe à trois ou quatre dents pour gratter le sable grossier entre les rochers – il est fréquent d’y trouver des palourdes. À défaut, on peut utiliser une truelle ou une simple cuillère.

1) Pour dénicher les crabes, il ne faut pas hésiter à prospecter les anfractuosités à main nue. 2) L’ormeau aime brouter les algues rouges.
3) Comment tenir un crabe. 4) Un beau bouquet. 5) L’étrille, à la carapace veloutée.

Un croc à longue tige fixé sur un manche en bois et dont la pointe est courbée à angle droit sert également à explorer les cavités profondes dans les rochers afin d’en déloger crabes, congres ou homards.

Une épuisette, enfin, peut complé-ter cet attirail. Le filet forme une poche semi-sphérique autour d’un cercle de métal, lui-même fixé sur un manche en bois. Cet engin existe en différentes tailles : ceux de petit diamètre sont destinés à pêcher la crevette dans les trous et les mares, les plus grands servant plutôt à capturer le bouquet en prospectant au hasard entre les algues et les roches.

Attention, diverses réglementations définissent les engins autorisés et leurs caractéristiques. Il existe de même, pour nombre d’espèces, des périodes de pêche, des tailles minimales à respecter ou des quantités à ne pas dépasser. Des différences notables existant d’un endroit à l’autre, mieux vaut, là encore, se renseigner…

La crevette rose ou « bouquet » (Palameon serratus) affectionne généralement les laminaires, ces longues algues brunes qui ne poussent- qu’à l’étage infra-littoral, découvert très peu de temps par la marée. Il peut donc être intéressant de commencer sa pêche en la recherchant en priorité. À l’aide de son épuisette, on explore au hasard les algues immergées à la lisière de l’eau ou dans les grandes mares, avec une attention particulière pour les failles et les trous sombres : la crevette, qui n’aime pas la lumière, s’y concentre souvent. Inutile d’insister après un ou deux passages : la petite bête est craintive et ne se laissera plus capturer. On pourra cependant y revenir plus tard…

Le niveau le plus bas de l’estran peut également abriter des algues rouges, dont raffolent les ormeaux. On déniche ces mollusques en explorant les failles de rochers et en retournant les cailloux. Mieux vaut éviter de blesser l’animal en le décollant car il est hémophile…

Les crabes sont repérés de même manière. L’étrille (Necora puber) est reconnaissable à sa carapace recouverte de velours brun et aux extrémités aplaties de ses pattes arrière. D’un caractère vif et batailleur, elle brandit ses deux pinces lorsqu’elle est menacée. Il convient d’abord de l’immobiliser en appuyant d’une main sur son dos puis de la saisir de l’autre, en tenant entre le pouce et l’index les côtés de sa carapace. La chair de ce petit crabe est d’un goût très fin. Le tourteau ou « dormeur » (Cancer pagurus), possède, pour sa part, une carapace lisse, couleur cacao. Il se tient souvent immobile, à demi enfoui dans le sable grossier, sous les rochers. Mais mieux vaut l’y laisser, car il n’a pas encore atteint son âge adulte – il regagnera alors des eaux plus profondes. Avant de quitter l’étage infra-littoral, on pourra également récolter, au printemps, une brassée d’Himantalia elongata, de longues algues brunes et filiformes vulgairement appelées « spaghetti de mer ». Les extrémités tendres de ce thalle se consomment comme un légume après avoir été ébouillantées.

Plus près du rivage, l’étage médio-littoral est régulièrement découvert par la marée. C’est dans cette zone que l’on récolte les moules et les huîtres. Pour décoller ces dernières, l’emploi d’un vieux ciseau à bois et d’un petit marteau peut se révéler utile. L’étrille est également présente à ce niveau, mais se trouve concurrencée par le crabe vert, à la carapace lisse et bosselée. Sa chair, moins savoureuse que celle de l’étrille, permet pourtant de réaliser des soupes ou des fonds de sauce très goûteux.

On peut enfin terminer sa pêche en récoltant, quelques poignées de bigorneaux noirs (Littorina littorea) sur et sous les cailloux. Ce coquillage a plusieurs cousins non comestibles ; on le distingue par la couleur blanche de sa coquille autour de l’opercule, alors qu’elle est nacrée sur les autres.