Henri Gendron, le charpentier de marine de Noirmoutier, est décédé le 17 août, à l’âge de 85 ans. Antoine Bugeon, qui l’a longtemps côtoyé au sein de l’association La Chaloupe, et en dehors, nous a fait parvenir des dessins et un texte, dont voici des extraits.

« Port de Noirmoutier, rive sud, rue de l’écluse. La porte de ton chantier est ouverte, le vélo garé dans un coin près de la meule. Ton atelier, c’est le souvenir de cette rive, d’une époque, où, sur un même quai, plusieurs charpentiers travaillaient. Ménard et sa gouaille, ton père puis toi et ton accueil chaleureux, Lodovici et ses coups de sang et, plus loin, Jean Gautier, le plus discret d’entre vous. Maintenant, Charles Martineau et Fred Maingret ont pris leur suite. Et mon petit doigt me dit que tu n’y es pas pour rien.

Passé ta porte, tous nos sens sont happés. Odeur de copeaux fraîchement varlopés, d’huile de lin, d’étoupe, petit goût de poussière. L’atmosphère est chaleureuse, le plancher craque sous nos pas. Un décor hétéroclite trône au-dessus de ton atelier, comme un cabinet de curiosités où tu avais plaisir à ajouter les petites bricoles que les gens de passage t’offraient [.…]. L’éternel tas de copeaux au coin de l’établi. La caverne d’Ali Baba du fond de l’atelier, les innombrables rabots dans leurs cagettes, le pinceau dans l’huile prêt à dégainer pour enduire les fers, les armoires remplies d’outils antédiluviens… et puis la porte du fond ou un autre univers s’offrait à nous. Ton paradis où le potager était roi […]. Toi qui, observant une cucurbitacée poussant en équilibre précaire, déposais à son pied une bouée couronne pour mieux amortir sa chute. […]

Tu avais appris le métier auprès de ton père. Ayant une expérience empirique de ton métier, tu regrettais de ne pas être allé voir ailleurs pour découvrir d’autres manières de faire. La première chose que tu apprenais aux autres avant un chantier, c’était à affûter un outil avant de s’en servir, toi qui étais capable d’aiguiser un foret, un fer ou un ciseau à la meule en un tour de main… L’économie du geste juste et sûr pour trévirer un galbord ou ployer une membrure. Tu étais toujours émerveillé devant le copeau sortant de ta varlope, le brandissant dans la lumière et faisant admirer sa transparence au soleil… Tu caressais tes bois, tes coques : « Un bateau, ça doit être tout doux, avec des formes arrondies, pour épouser la mer, le clapot et si jamais tu trébuches, il ne faut pas qu’il te fasse mal ! » […]

Besoin d’un outil ? Tu le prêtais.

D’un bout de bois particulier ? Tu allais fouiller dans ton fourbi, et si tu le trouvais, tu le donnais.
D’un conseil ? Lui aussi tu le donnais.

Besoin de parler ? Tu écoutais. Bon des fois, tu faisais un peu
semblant, par politesse.

Tu faisais partie de ce Peuple de la Mer, celui des fonds des ports, des fonds d’étier, de ce petit monde des modestes mais pas sans caractère !
Tu en auras inspiré du monde par tes manières de faire et… de vivre. Tout ça, c’est toi Henri.

Antoine Bugeon