Tournée exclusivement vers la pêche, la vie maritime du Bono, hameau isolé de Plougoumelen, sur un bras de la rivière d’Auray, reste modeste jusqu’en 1880. A cette époque, une quarantaine de chaloupes de 3 à 4 tonneaux, sortant des chantiers Le Blévec du Bono et Kergosien de Saint-Goustan, pratiquent essentiellement la ligne en baie de Quiberon, dans les coureaux de Belle-Ile et jusqu’aux Glénan.
Liée à l’adoption du chalut, une nouvelle série de chaloupes, jaugeant 5 à 6 tonneaux, apparaît en 1876. En 1879, Joseph Robino commande le Saint-Joseph, la première des 200 chaloupes concarnoises qui pendant 30 ans vont s’imposer sans partage aux marins du Bono dont elles assurent la prospérité.
Si les premières unités finistériennes sont comparables aux constructions locales, leur taille augmente très vite. Parallèlement, la flottille connaît un rajeunissement et un développement considérable : elle comptera jusqu’à 93 unités en 1906. Plus fortes, plus toilées et bien lestées de galets, ces chaloupes à la silhouette caractéristique, avec leur étrave verticale et leur forte quête d’étambot, travaillent désormais au large. Devenu inutile, le banc de nage sert d’appui à un treuil qui, avec le davier d’étrave, facilite le virage du chalut. Les mâts, qui portent près de 100 m2 de toile (foc amuré sur bout-dehors, misaine et taillevent) sont fixes. Le grand mât est maintenu par un étai frappé sur la tête d’étrave, un hauban fixe à bâbord et un mobile à tribord constitué d’un palan aidant à embarquer le cul du chalut. On ne gambeye pas ; une barre d’écoute fixée sur la tête d’étambot permet le passage de la barre de gouvernail, protégeant ainsi l’homme de barre qui n’a pas à monter sur la chambre pour virer de bord. La chambre s’est allongée, et des fargues rehaussent le franc-bord.
Le Bono, qui passe de 172 habitants en 1876 à 632 en 1911, connaît un essor démographique comparable à celui de sa flottille.
Au début du siècle, 90 % des hommes valides sont marins et, sauf exception, pêcheurs. Dès onze ou douze ans, les garçons embarquent comme mousses. A seize ans, ils deviennent novices, à dix-huit, matelots. L’équipage du forban est constitué du patron, de deux matelots et du mousse. La saison de pêche commence après les grandes marées de mars, et après la drague des huîtres, le “pain d’hiver”, qui a permis à de nombreuses familles de payer leurs dettes.
Depuis qu’ils ont adopté, de façon exclusive, le chalut à perche, les bonovistes passent l’été au Croisic, au Pouliguen, à Saint-Nazaire ou à l’île d’Yeu. Quelques-uns préfèrent cependant Belle-Ile ou La Trinité. Pêchées de nuit, soles, plies, tarches, raies se vendent bien dans les criées ou dans les poissonneries locales. En automne, les forbans reviennent en baie de Quiberon et dans les coureaux de Belle-Ile où les merlans constituent l’essentiel des prises. Les femmes vont les vendre dans les fermes, en poussant leur brouette lourdement chargée jusqu’à Pluneret, Mériadec ou Sainte-Anne d’Auray. Presque tous désarmés pendant l’hiver, les forbans encombrent le port, certes bien abrité, mais beaucoup trop petit pour les accueillir tous.
Avec Yves Querrien, charpentier de marine concarnois qui s’installe au Bono en 1909, le forban atteint le stade ultime de son évolution en tant que bateau creux. A la veille de la guerre, il lance des unités atteignant 13 mètres de long pour 20 tonneaux de jauge. Après la Grande Guerre, les chaloupes sont néanmoins condamnées ; elles seront remplacées dans les années 20 par des sloups pontés, bientôt motorisés.