La configuration de bien des ports empêche les bateaux d’arriver sous voile à proximité immédiate des quais. Il faut donc avoir recours à des haleurs pour les aider à rentrer et surtout à sortir du port : marins retraités, gamins du quartier des pêcheurs, “garçonnes” (comme aux Sables-d’Olonne), tous sont les bienvenus pour mener à bien cet effort -collectif. Les témoignages qui nous sont parvenus ne concernent que quelques ports de Normandie (Dieppe, Fécamp, Le Havre), de Bretagne (Saint-Malo, Vannes), ou des côtes vendéennes (Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Les Sables-d’Olonne), mais cette pratique a été plus étendue. “On attendait les bateaux sur le bout de la jetée, ils lançaient un bout et tous les gens qui étaient là tiraient le bateau. On appelait ça « haler à la cordelle ». ça faisait du monde à tirer ! On avait la cordelle sur l’épaule, les uns derrière les autres, et on marchait”, explique le -capitaine fécampois Jean Recher.

Une dizaine de chants de halage ont été recueillis, qui présentent tous une remarquable originalité musicale. Ils sont une survivance d’une forme très ancienne de chants de -marins, basée sur des onomatopées ponctuant des vers très courts. A Dieppe et à Fécamp, par -exemple, les solos de ces chants étaient tour à tour improvisés par un des haleurs, sur des paroles souvent fort crues. Ceux qui ont assisté à ces scènes ont été frappés par le style très singulier des meneurs de chants. A Saint-Malo, en 1906, Eugène Herpin remarque qu’il est “intraduisible, le cri d’hommes faisant un effort”. Ce type de chant semble quasiment -inexistant dans le répertoire maritime anglophone.

Le halage peut s’effectuer selon une seconde méthode, où les haleurs restent immobiles : ils amènent le navire à poste à partir du quai, ou bien ils le rapprochent progressivement du quai à partir du bord. Le geste est alors identique pour tous les manœuvriers : ils tirent sur les bouts en alternant successivement l’effort de chaque main, d’où l’expression “haler main sur main”. Une partie du répertoire de chansons de marche, voire de danses, peut être -utilisé. Les Terre-Neuvas y ajoutent de courts refrains, servant à bord à hisser une voile “main sur main”. Ainsi, à Granville, on pouvait entendre chanter ceux qui déhalaient les terre—neuviers : “T’auras de l’andouille mon cotillon rouge / dans ton devant mon cotillon blanc” !

“Des mathurins embraquent à courir, puis chaque homme s’espace, croche dans le filin mouillé et le halage commence, rythmé par le sifflet du maître haleur : « de long ! de long ! z’enfants ! » Des fois, un vieux entonne une chanson que les autres reprennent en chœur au refrain : « As-tu connu le père Ouinslot ? Good bye fellow hé ! Good bye ! fellow hé ! » ou bien : « En revenant de La Rochelle ! oh là ! oh là ! oh là ! J’ai rencontré la petite Hélène ! Piquez la baleine ! joli baleinier ».” Gravure de Bonquart, accompagnant son article sur les haleurs du Havre, publié en 1899, dans Le Journal des voyages.

 

“Intraduisible, le cri d’un homme faisant un effort

Lahoula tchalez

Ah la hira la oula tchalez

Ah mes boys la fa ladoué

Dans le port de Dieppe nous allons rentrer

Ah mes boys la fa ladoué

La voilà la joyeuse bordée

Aloué la falaloué

Et un petit coup pour accoster

Aloué la falaloué

Aloué la falaloué »

 

La oula tchalez a été noté en 1889 par le poète Jean Richepin à Dieppe.  La joyeuse bordée a été recueillie à Fécamp par Michel Colleu en 1975 auprès de M. Riqueur. Seuls les deux premiers couplets sont traditionnels, les autres étaient généralement improvisés. Les paroles proposées pour Aloué la falaloué (page suivante) peuvent être adaptées à ces deux chants. (Anthologie, vol. 7)