La baie de Morlaix s’enfonce profondément au Sud jusqu’à l’ouvert de la rivière -menant à la ville, bordée à son embouchure par les villages de Locquénolé et du Dourduff. Parsemé d’îles et de plateaux rocheux, traversé de forts courants, le plan d’eau exige du sens marin et un bateau évolutif et sûr. Les ports, de Roscoff à Primel, assèchent tous, ce qui induit une contrainte supplémentaire pour les constructeurs. Jusqu’en 1900, on trouve surtout des unités ne dépassant pas 8 mètres, spécialisées dans une ou deux activités : cordes et filets à Roscoff, lignes et casiers à Carantec, lignes au Dourduff, chalut à Térénez et cordes à Primel. Les plus forts voiliers de pêche de la baie sont des sloups cordiers à tableau de 9 à 10 mètres, armés à Roscoff et Primel.

Dessin Cotre de la baie de Morlaix
Cotre de la baie de Morlaix. © J. P. Guillou

A Roscoff, le réputé chantier Kerenfors, imité par Pauvy à Carantec, met rapidement sur cale des bateaux plus forts, bientôt dotés d’un long “cul-de-poule”, façon yacht, permettant d’étendre les zones de pêche. Malgré leur longueur d’environ 13 mètres, ce sont encore des bateaux creux, du fait du métier qu’ils pratiquent désormais du large de l’île de Batz jusqu’à Ouessant. Les cordiers de Primel, eux, fréquentent plutôt les plateaux de la Méloine et des Triagoz.

Les cordes, posées en début de nuit, sont relevées vers 3 ou 4 heures. Trois hommes halent dessus, un quatrième love au fur et à mesure, tandis que le -patron manœuvre à la demande, sous grand voile et trinquette. Le poisson, livré à Roscoff pour le train de marée de 14 h 30, sera à Paris dans la nuit. Par petit temps, l’importante voilure du cordier, caractérisée par un flèche pointu dont la longue vergue est hissée parallèlement au mât, lui permet de rallier le port à temps. Par calme plat, il faut armer les grands avirons.

A Carantec, les bateaux sont plus petits, entre 5 et 8 mètres. Construits dans les mêmes chantiers, ils mouillent palangres en hiver et casiers en été. La pose de ces derniers est délicate dans ces eaux semées de cailloux. Il faut tomber sur les bons alignements en tenant compte de la dérive de vent et de courant, une contrainte qui s’applique également aux ligneurs du Dourduff qui pêchent le gros lieu au mouillage, sur des bas-ses dont les “marques” se transmettent de père en fils.

 

Vieux bateaux en régate
Reder Mor et Jeanne d’Arc en régate. © coll. Chasse-Marée

On retrouve les mêmes caractéristiques sur les grands cordiers et sur les petits sloups : déplacement léger (obtenu par des sections très creuses et une construction étudiée), quille courte en forte différence, gouvernail pratiquement à l’aplomb du centre de la grand voile, sous un cul-de-poule, ou une petite voûte carrée après 1920. Avec une voilure importante – grand voile débordant largement le tableau arrière, trinquette, grand foc sur long bout-dehors, flèche à balestron (abandonné sur les petits sloups en 1920) – , on -obtient des bateaux rapides, virant comme des toupies.

Ces qualités de marche sont également appréciées en régate, autre activité des marins locaux. Depuis la fin du XIXe siècle, le yachting a exercé son influence sur l’évolution des bateaux et la formation des hommes. En baie de Morlaix, comme dans le Solent en Angleterre, beaucoup de patrons “skippent” l’été de grands yachts. Même les prix en espèces distribués aux bateaux de travail stimulent les équipages et justifient parfois la perte d’une marée. Ainsi, en 1909, le cordier roscovite Reder Mor défie les bisquines à Saint-Malo et rafle le premier prix ! Au Dourduff, patrie des grands skippers comme Jean Féat, apparaît une série de petits sloups à cul-de-poule de 8 m dotés d’un lest extérieur. Pêche et plaisance ont ainsi très tôt coexisté en baie de Morlaix, donnant naissance dans les années 20 à de nombreuses séries mi-yachts, mi-bateaux de pêche, dont la plus connue est celle des “Cormorans”.