Par Jacques van Geen – Tout le monde n’est pas le marquis de La Fayette et peu nombreux sont ceux qui ont en leur garde une yole de la classe d’American Star… Mais les canots, annexes, et autres dériveurs en bois qui reposent dans les garages de nos lecteurs ou les hangars des associations n’en méritent pas moins quelques égards. Laurent Perhérin, en charge des ateliers de restauration du Port-Musée de Douarnenez, nous prodigue quelques conseils et mises en garde…
Quand on voit sous un auvent trois dériveurs entassés l’un sur l’autre, ou des bateaux emballés dans une bâche, couchés sur le flanc contre un talus, ça fait mal, on sait qu’il n’y aura pas grand-chose à faire pour les restaurer.
« Dans la plupart des cas, pourtant, il y a des règles de bon sens qui permettent d’éviter les deux principaux risques, s’agissant de la conservation d’un petit bateau : la perte de l’intégrité de ses formes, et la dégradation des bois ; les deux étant évidemment liés. »
La conservation des formes
« Le bois reste un matériau vivant, il travaille toujours, sous l’effet des variations d’hygrométrie essentiellement. Celui des bateaux, quand il est mis en œuvre et quand il est utilisé normalement, présente un taux d’hygrométrie relativement important. Pour la construction nautique, il est mis en œuvre souvent après un ressuyage (séchage à l’air libre), au terme duquel il est assez stable – s’agissant d’un bateau qui va se retrouver dans l’eau ! – mais encore d’une mise en œuvre assez facile, car il reste possible de le cintrer. La mise au sec prolongée des bateaux va faire chuter ce taux d’hygrométrie…
« Les bateaux sont conçus et construits pour résister à des pressions s’exerçant de l’extérieur vers l’intérieur de la coque. Tout est inversé quand on le sort de l’eau ! À la différence des bateaux conservés à flot, la gravité seule prend le relais et tous les efforts jouent du haut vers le bas. L’embarcation tend naturellement à s’affaisser.
« C’est pourquoi les canots doivent être soutenus par des bers adaptés, ou « conformateurs », réalisés sur mesure. Ceux-ci doivent être en nombre suffisant, judicieusement placés, à l’aplomb des couples ou des cloisons, et non sous des parties « molles » du bateau… également pour éviter un effet de poinçonnement, il faut que ces soutiens soient assez larges.
« Sur les unités un peu plus grandes, et qui présentent des élancements, il faut veiller à ce qu’ils soient bien accorés : eux aussi tendraient à s’abaisser, ce qui déforme l’ensemble des formes du bateau, parfois jusqu’à la quille.
« Les bateaux doivent être entreposés bien à plat : laissés sur un flanc, ils se déforment de manière asymétrique, ce qui est très difficile à rattraper par la suite. Idéalement, la quille est posée sur une ligne de tains bien rectiligne. Pour une courte durée, les canots peuvent être maintenus sous les flancs par des pneus, mais ce n’est pas souhaitable à long terme. En tout cas, il ne faut pas laisser un bateau reposer sur ses seules béquilles ! Le reste du bateau tendant à s’affaisser, il sera rapidement et peut-être irrémédiablement déformé.
Risques de dessiccation et de pourriture
« Les embarcations légères comme les canoës peuvent être suspendus, pourvu que ce soit dans un ber adapté selon ces règles simples. On ne les laisse pas sur le flanc, ni sur le tableau.
« Les unités légères peuvent être stockées à l’envers, quille en l’air ; bien calées, elles se déformeront moins vite, et dans le cas de bordés massifs, il sera plus facile de les mouiller pour en maintenir l’hygrométrie. Mais un calage satisfaisant n’est pas toujours facile à réaliser, et la surveillance de l’intérieur est compliquée.
« Toutes ces déformations possibles sont accélérées à mesure que le bois se dessèche et que, le bois se réduisant en volume, les assemblages et les liaisons prennent du jeu, facilitant la déformation de la coque. C’est particulièrement vrai sur les coques bordées à franc-bord : les bordages se disjoignent, le calfatage s’en va, les courants d’air traversent le bateau comme un panier, accélérant encore sa dessiccation, et il perd beaucoup de rigidité. On en fait le constat en bougeant le nez d’un tel bateau : pas besoin de forcer pour voir si le reste suit ! Sur les bateaux à clins ce phénomène joue moins, notamment du fait de l’effet « ressort » des rivets quand ils sont bien posés et de l’homogénéité du bordé dans son ensemble. Les bateaux à clins se conservent beaucoup mieux de ce point de vue… American Star en témoigne.
« À l’inverse, trop d’humidité entraîne évidemment des risques de pourriture. Attention en particulier aux recoins confinés. Les bateaux doivent être vidés et aérés, avec les coffres ouverts, tout comme l’on doit veiller, quand on bâche un bateau, à ce que l’air puisse circuler.
« La dessiccation du bois entraîne en outre la formation de gerces, portes d’entrée des insectes ou des champignons responsables de la pourriture. À ce sujet, nous avons expérimenté avec satisfaction un traitement préventif de la pourriture, qui consiste à appliquer au pulvérisateur agricole une solution saturée de sels de bore. Cette méthode utilisée dans le bâtiment, réputée écologique et saine, crée un terrain inhospitalier pour la pourriture. Dans le cas d’un joli petit bijou comme American Star, on pourrait hésiter à l’employer toutefois, même si ces sels se lessivent très bien.
« N’oublions pas, au passage, qu’une bonne peinture ou un bon vernis jouent tout de même un rôle très important de régulation de l’humidité. Il n’est pas souhaitable de laisser dessécher trop longtemps un bateau décapé. La peinture est aussi une bonne barrière contre les insectes : ce qui les intéresse, ceux-là, c’est le bois, pas les polymères… »
Comme un bon vin
« Le bateau doit être au sec, donc, mais pas trop… Le lieu où on l’entrepose est évidemment très important. Il doit présenter une certaine hygrométrie, on l’aura compris, ne pas être trop chaud ou sujet à de fortes variations de température, qui provoquent de la condensation sur le bois. Une grange ancienne, avec des murs épais garants d’inertie thermique et un sol en terre battue, excellent régulateur d’hygrométrie, est idéale. Une cave bien saine avec un sol en terre, également… comme pour faire vieillir un bon vin ! Seule précaution : le bateau ne doit pas rester posé à même la terre. En tout cas, les hangars avec une dalle de béton, un toit et des parois en tôle ne sont pas adaptés.
« Dans les périodes de canicule, on peut empêcher les bateaux de trop s’ouvrir en leur apportant de l’humidité. Certains arrosent régulièrement le sol, mais je ne trouve pas cela très pratique… nous avons employé plein de moyens, comme des sacs de toile pleins de copeaux que l’on trempe, ou bien encore des serpillières, couvertures, ou feutre hydrophile d’horticulture mouillés, mais il ne faut pas les laisser en place contre le bois. Faute d’aération régulière, les champignons se multiplieraient, c’est garanti ! »
Avirons, voiles et espars
« Un piège à éviter pour le stockage des avirons ou des espars : pour gagner de la place, on est tenté de les stocker debout. Attention, en ce cas, de ne pas leur donner trop de pied : si les avirons ne sont pas d’aplomb, le risque de flèche est plus important. L’idéal est de les stocker à plat, bien calés.
« Les voiles craignent l’humidité, qui risque de provoquer des moisissures, et les plis trop marqués, que l’on aura du mal à faire disparaître par la suite. Dans le cas de petites embarcations, on peut assez facilement stocker les voiles étendues ; c’est une très bonne solution. Quand l’espace n’est pas là, un ample sac à voile fera l’affaire. Il sera bienvenu d’aérer régulièrement la voile, ce qui évite, quand elle est remisée en vrac, de marquer des plis. Attention, enfin, aux rongeurs qui peuvent trouver dans ce sac le confort d’un nid douillet ! »