Au cours de la première décennie du XIXe siècle, des bateaux dénommés bisquines font leur apparition dans les registres d’immatriculation des quartiers de Cancale et Granville. Ce type de gréement, déjà connu en Haute et Basse-Normandie, y était alors en voie d’abandon. Un siècle plus tard, les bisquines se comptaient par centaines à Cancale et à Granville.

Bisquine de Granville et Cancale. © J. P. Guillou

Le terme de bisquine caractérise le gréement qui dérive de celui de lougre employé au XVIIIe siècle par les corsaires de la Manche. Très avantageux pour la marche, il nécessite un équipage nombreux ; en évoluant, il devient maniable pour le cabotage et la pêche en équipages réduits.

Le gréement dormant de bisquine possède la particularité de n’avoir ni haubans ni étais, mais des bastaques raidies au vent, les mâts travaillant à l’élasticité. Les voiles s’amurent au pied des mâts et non en abord, de plus la misaine reste toujours établie côté bâbord, et la grand voile côté tribord des mâts. Cette disposition et l’absence d’étai font qu’il est inutile de gambeyer pour virer de bord. Presque tous les bateaux de Cancale furent gréés en bisquines depuis les grands, de 35 pieds de quille et 18 mètres hors tout, jusqu’aux petits canots de 4 ou 5 mètres ; la grand voile de ces derniers n’était pas à bordure libre, mais bômée et dépassait sur l’arrière.

Pour les régates, la mâture était prolongée par des espars guindés pour la circonstance permettant d’établir, au-dessus des huniers, des voiles supplémentaires nommées perroquets à Cancale, rikikis à Granville. Avec le grand foc, le tapecul et son hunier, la surface de la voilure correspondait à soixante fois celle de la maîtresse section immergée (comme sur les clippers), mais on pouvait encore établir une énorme voile triangulaire, la bonnette, taillée dans du coton très léger. Au vent arrière, elle était débordée sur un tangon comme un spinnaker, mais on l’utilisait aussi comme foc supplémentaire au-dessus du grand. Incontestablement les bisquines furent les bateaux de pêche les plus toilés des côtes de France.

Sur un siècle, ce gréement évolua très peu, contrairement aux coques. Au début, de lourds bateaux sans élégance avaient tout simplement été “mis en bisquines”. L’émulation des régates et le talent des constructeurs, comme le Granvillais Louis Julienne, firent naître des coques caractérisées par une forte différence de tirant d’eau et des lignes arrière très fines.

Même si quelques patrons pratiquent les cordes, le véritable métier des bisquines est la pêche fraîche au chalut toute l’année et, une fois l’an, la drague des huîtres lors de la fameuse caravane. Les formes un peu pleines de l’avant et la voilure très divisée sur le plan longitudinal font des bisquines des bateaux puissants pour le trait, mais aptes à remonter dans le vent. Leurs qualités de marche, à une époque où il n’existe pas de moyens de conservation à bord, leur permettent après une marée de chalut d’aller livrer là où les espèces pêchées se vendent le mieux.

Au temps de la voile, les bisquines contribuèrent à la prospérité de Granville et de Cancale. Leur souvenir pourtant s’estompait. Le lancement de la Cancalaise en 1987, la mise à l’eau de la Granvillaise trois ans plus tard, rafraîchirent les mémoires. Plus récemment, en 1996, le lancement de l’Ami Pierre à l’île de Tatihou permit de se rappeler qu’il y avait aussi eu des bisquines à -Barfleur.