Le port de Barfleur est enchâssé entre les innombrables dents de granit qui forment la corne Est du Cotentin. Ce port florissant au temps où les ducs de Normandie y partaient pour l’Angleterre, a toujours été un haut lieu de construction navale pour la pêche et le commerce.
Jusqu’à la moitié du XIXe siècle, le mode de construction à clins des embarcations à cul rond et à quille – gréées en bisquines et utilisées à la pêche aux cordes – constitue probablement la dernière trace perceptible de l’influence scandinave en Basse-Normandie. Vers 1890, le sloup fait brusquement irruption dans la flottille des bisquines utilisées pour les pêches de dérive et les cordes. Le changement est radical. Le patron qui a exigé du constructeur cette carène à voûte et à quille en forte différence, a rompu brutalement avec les traditions locales.
D’une longueur de coque de 9 à 11 mètres et large de 3,50 à 4 mètres, le bautier est de taille modeste. Sa voilure et ses formes de coque en font en général un bon marcheur. Il est surtout très évolutif, une qualité primordiale pour exercer le métier des cordes. Il possède un moulinet, placé quelquefois derrière le mât, pour relever les baux, comme on les nomme ici. Le panneau de la soute à voiles tout à l’avant est rond. Le rouf à l’arrière est relativement important pour donner un peu de volume habitable à la chambre, où un minuscule poêle est fixé au plancher. C’est le mousse qui en est responsable et gare à lui s’il jette les cendres au vent du bateau, car si le bautier est sali, certains disent que le poisson ne mordra pas ! Deux couchettes sont disposées de chaque côté de la chambre, offrant un confort très rudimentaire ; un banc-coffre est fixé au pied de ces cabanes.
Jusqu’en 1907, ces cordiers gréent un mât de flèche qui, par sa hauteur, ajoute à l’élégance de leur silhouette. Le flèche peut être trapézoïdal, monté sur une vergue, ou triangulaire. Après cette date, les pêcheurs hissent un flèche avec une vergue plus apiquée à l’aide d’un mât-de-corde, ce qui, sous voile, ne manque pas non plus d’allure. Les jours de régate, les équipages se déchaînent et hissent flène-jib et spéniquel. Ces bateaux assez fins et légers de construction marchent bon train.
A part quelques “pratiques” du port qui arborent des pavois blancs, les bateaux sont noirs à l’extérieur, avec un liston en creux blanc, et les aménagements et intérieurs des pavois sont gris clair ou vert très pâle. La rigueur est de coutume à Barfleur.
Si la pêche aux cordes, les baux, est une vieille tradition à Barfleur, on n’y pratique pas le chalut. Les armements au hareng sur Dieppe à Noël sont aussi une ancienne coutume. Sept hommes et le mousse l’été, huit hommes l’hiver, arment ces petits navires qui vont immerger leurs baux gréés de milliers d’hameçons – les hains – en Manche ou sur les côtes anglaises. Le poisson est parfois vendu à Barfleur ou livré dans l’arrière-pays par voiture à cheval. L’habitude d’aller le livrer à Cherbourg s’instaurera avec la génération des cordiers de 14 à 16 mètres à voiles et à moteur.