La barquette est de loin le bateau de pêche le plus répandu sur les côtes méditerranéennes. Apparue dans les dernières décennies du XIXe siècle dans la région marseillaise, elle a rapidement conquis la faveur des pêcheurs et supplanté la plupart des barques provençales.

dessin barquette marseillaise
Barquette marseillaise. © J. P. Guillou

Dès les années 1850, un fort courant d’immigration s’établit entre l’Italie du Sud et les ports français de la Méditerranée, notamment Marseille et Sète. Parmi ces immigrés, on compte beaucoup d’hommes originaires du littoral de Campanie, de Naples, de Torre del Greco, de Gaete, d’Amalfi, dont la plupart sont des pêcheurs. Quelques-uns sont aussi charpentiers de marine, et ils vont tenter de s’établir dans leur pays d’accueil. Ces charpentiers s’appelaient Ruoppolo, De Stephano, Autiero, Aversa, Trapani, Battifero, ils excellaient dans la construction des gozzi, ces petites embarcations de pêche que l’on trouve sur le littoral italien. Travaillant en famille, à des prix défiant toute concurrence, ils ont su rapidement conquérir le marché de la construction navale en bois dans la plupart des ports de Provence et du Languedoc.

Le chantier le plus réputé à Marseille était le chantier Ruoppolo. Michele, le père, André, le fils, puis Michel Gay, le petit-fils, ont construit des barquettes pendant près d’un siècle, servis par un grand savoir-faire et un coup d’œil extraordinaire : ils sont la référence en matière de barquette. Ils construisaient des bateaux de qualité, beaux et marins, qui convenaient aussi bien aux pêcheurs qu’aux plaisanciers, de plus en plus nombreux.

Construite à l’aide du gabarit de Saint-Joseph, la barquette se différencie des mourres de porc et des barques catalanes par la légèreté de sa construction et par son maître-bau arrondi avec un bouchain peu marqué. Les formes “sucées” de la carène à la flottaison, larges au milieu et fines aux extrémités, sont la marque d’un bateau qui doit marcher aussi bien à la voile qu’à l’aviron. Montés sur une quille droite, l’étrave et l’étambot sont verticaux et presque symétriques. La barquette est généralement pontée. Le pont possède une large écoutille, qui court de l’avant à l’arrière, et qui accueille trois bancs : le banc d’apro, le banc du mât et le banc d’apoupe. Dotée d’un faible franc-bord, la barquette est assez tonturée, ce qui lui donne une jolie silhouette.

Grande barquette toulonnaise à trinquet atarqué. © coll. Chasse-Marée

Ce qui caractérise la barquette, c’est son capian, particulièrement travaillé. La pièce d’étrave dépasse largement au-dessus du plat-bord, elle est flanquée à son extrémité de deux joues qui donnent au capian une allure très suggestive (bien qu’il s’agisse en fait d’un vestige de cornes)…

Si l’essentiel de la flottille est voué à la plaisance, il reste encore bon nombre de barquettes, de l’Estaque aux Goudes, en passant par le vallon des Auffes, qui sont armées à la pêche. Tous les matins, sur le quai des Belges, au fond du Vieux Port, les pêcheurs débarquent le poisson pêché la nuit, et le vendent sur de petits étals : les sars, les saupes, les daurades, les marbrés et les rascasses frétillent encore au soleil levant. Les poissonnières haranguent les chalands qui se pressent. Une belle tranche de vie marseillaise…