Un petit gars, il peut bien bâtir un grand bateau, comme on dit à Berck. Et inversement : Jean-Louis Gaucher, ancien mécanicien aéronautique, passionné de modélisme naval, s’est fait une spécialité des maquettes de bateaux à clins de l’Europe du Nord, à l’échelle du quinzième. Du reste, ce gaillard-là ne fait pas que dans les modèles réduits. En témoigne la publication récente du fruit de décennies de recherches, Les Bateaux et la pêche à Berck, XVIIIe-XXe siècles.

Faute d’un abri en eaux profondes, la plage de Berck fut longtemps le plus grand « port » d’échouage de France. Ses bateaux pêchaient à la « dreige », puis après l’interdiction de cet
engin, à la corde (dite « palangre » sur d’autres rivages) et au filet dérivant à partir de 1824, quand le hareng était en ligne de mire.

En 1970, le chercheur François Beaudouin consacra une étude remarquable à ces navires, qui firent l’objet de la toute première reconstitution historique rigoureuse d’un voilier de travail disparu en France. C’étaient de robustes, trapus bateaux ouverts à clins, très défendus pour passer dans les brisants sans embarquer, à faible tirant d’eau, et s’échouant bien sur leurs larges fonds plats. C’est en les étudiant, en cherchant des plans et des documents dans les archives que Jean-Louis Gaucher s’est retrouvé embobiné dans la tâche immense dont ce livre est l’aboutissement. Se basant sur de nombreuses archives et sur des témoignages recueillis auprès des pêcheurs, il nous fait découvrir comment des siècles durant les pêcheurs berckois surent s’adapter aux règlements erratiques sur les pêches, aux crises du prix du poisson, et même, fléau suprême, aux guerres dont le peuple fait les frais, génération après génération… Dans l’entre-deux-guerres néanmoins, les pêcheurs berckois abandonnèrent leur grève pour gagner Boulogne. Ne restèrent, un temps, que les armateurs des plus petites unités, attachées au métier de la corde, bientôt disparu.

L’architecture navale et la technique mènent à l’histoire de la pêche, de la géographie de la région, de son économie, du droit, de la sociologie, sans oublier la pêche à pied, qui a eu son importance à Berck… Saluons le livre monumental que Jean-Louis Gaucher a consacré à ce monde perdu. Vrai, « un tiot homme i batit bien un gros batieu ».

Les Bateaux et la pêche à Berck, XVIIIe-XXe siècles Jean-Louis Gaucher, Éd. Nord Avril, 492 p., 35 €.