© TEDDY SEGUIN

Depuis 2012, une équipe d’archéologie sous-marine belgobolivienne sonde les fonds du lac Titicaca, pour découvrir le passé de cette mer intérieure située à près de 4 000 mètres d’altitude.

Au printemps 2022, une forte activité régnait sur le lac Titicaca, côté bolivien : une petite embarcation mettait régulièrement à l’eau des plongeurs qui s’aventuraient dans les profondeurs de ce lac situé à 3 810 mètres d’altitude, pour inspecter l’épave d’un navire en métal de 24,50 mètres de long. Datant de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle, celle-ci a été découverte en 1968 par l’équipe de Jacques- Yves Cousteau. « C’est probablement un navire de charge, car il est accompagné d’une cargaison de sable. Les archives boliviennes nous en diront plus », précise Christophe Delaere, le codirecteur de cette mission menée conjointement par l’Université libre de Bruxelles (ULB) et l’Universidad mayor de San Andrés (UMSA) de La Paz.

Cette campagne de fouille est la neuvième d’une série de missions que mènent depuis 2012 Christophe Delaere, pour l’ULB, et son collègue bolivien Marcial Medina Huanca (UMSA), afin d’obtenir
une vision du peuplement des rives du lac sur près de 3 000 ans. Plusieurs civilisations s’y sont succédé : les Tiwanaku (500-1100), sujets de recherche privilégiés de Christophe Delaere, les Pacajes et Lupaqas (1100 à 1400), les Incas, qui ont régné sur le lac à partir de 1400, puis les Espagnols. « Les communautés pré-hispaniques sont souvent associées à des sociétés de la terre, agropastorales, explique Christophe Delaere. Mais les fouilles ont révélé une véritable occupation des rives et toute une activité proto industrielle liée au lac, des ateliers de fabrication de laine, de cuir, de textile, de taille de pierre…, et des sites portuaires aussi, pour le trafic lacustre et la pêche, tous aujourd’hui immergés et recouverts de sédiments, car le niveau du lac a beaucoup varié au cours du temps. »

Les embarcations des Tiwanaku étaient fabriquées en roseaux, dotées d’une grande flottabilité mais très périssables. Grâce à des photos de l’époque où ces bateaux naviguaient encore, jusqu’au début du XXe siècle, et à des ancres, retrouvées lors des fouilles, les archéologues ont pu reconstituer les principales routes commerciales, très différentes de celles qu’empruntent aujourd’hui les bateaux à moteur.

Même si ces résultats sont riches et passionnants, fouiller le lac Titicaca n’est pas une sinécure : « C’est assez isolé et l’altitude fait qu’il y a moins d’oxygène : quand nous plongeons à 30 mètres, c’est comme si nous plongions à 60, avec le danger que cela représente, précise Christophe Delaere. Cela implique un protocole extrêmementprécis. » Le lac leur offre cependant une bonne visibilité jusqu’à 20 mètres de profondeur.

Toutes les données accumulées vont désormais être longuement étudiées, et l’équipe de fouille ne retournera pas dans l’immédiat sur le lac. La question du dépôt des quelque vingt mille objets exhumés se pose également : une loi bolivienne de 2010 stipule que les communautés sont souveraines de leur patrimoine. Les objets leur sont donc restitués mais « chaque dépôt doit être confié à un conservateur… Nous avons pour le lac Titicaca près de deux cents communautés, et à ce jour une quinzaine de dépôts, précise Christophe Delaere. Cela peut bloquer un peu la valorisation du patrimoine. Mais travailler avec les populations lacustres est très enrichissant, car elles ont une forte tradition orale. Certains faits que nous avons découverts en fouillant corroborent leurs propres récits transmis de génération en génération, et vice versa. »