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Les vagues peuvent-elles disparaître ? À les voir refluer puis revenir, incessamment, puissamment, on peine à croire que leur mouvement n’est pas éternel. Le surfeur Erwan Simon, à la tête de l’association France Hydrodiversité, veut défendre les vagues contre les périls qui pourraient les menacer. Ces ondes, assure-t-il, sont fragiles, surtout quand l’homme s’en mêle. À Saint-Pierre-Quiberon, il a fait adopter par la municipalité en février 2022 la première « réserve de vagues » de France. La mairie s’engage désormais à « développer les actions nécessaires pour garantir la valorisation, la divulgation et la conservation du périmètre. »
Erwan Simon, qui se dit « explorateur de vagues », a connu les lames de la mer Caspienne, et celles du Kazakhstan. Il a aussi surfé au Bangladesh et en Albanie. Mais il affectionne particulièrement la vague de Quiberon. « Sa beauté scénique, la façon dont elle se déroule, sa taille… », énumère-t-il. « C’est un trésor à préserver. » Une bande d’un kilomètre de long sur 500 mètres de large, où ce n’est, pour une fois, pas le littoral qui est préservé mais les vagues elles-mêmes.
Ce concept de « réserve de vagues », qui existe déjà en Australie et en Nouvelle-Zélande, doit prévenir les interventions humaines qui menacent la pérennité des vagues. À Mundaka, dans le Pays basque, le retrait de sable à l’embouchure d’une rivière avait fait disparaître une vague réputée en 2004. Le spot de la Barre, à Anglet, qui a accueilli les championnats du monde de 1968, a été progressivement détruit par la construction de la digue du Boucau à proximité. Un banc de sable a disparu et le mouvement de la mer s’est essoufflé. « Cela pourrait être le cas à Quiberon. Il y a une dizaine d’années, un projet de cimenterie à Lorient devait y pomper du sable, ce qui aurait directement menacé le littoral de la presqu’île », explique Erwan Simon. Finalement, les protestations des pêcheurs et d’associations de protection de l’environnement ont eu raison du projet. Mais la vague de Quiberon a révélé sa vulnérabilité.
Ce qui rend une vague « remarquable », selon l’expression consacrée par les surfers, c’est un subtil équilibre entre la géologie, les fonds marins et la configuration de la plage. « Tout part d’une onde », résume Grégoire Touron-Gardic, chercheur spécialisé dans les aires marines protégées à l’université de Portsmouth et membre de l’association France Hydrodiversité. « Lorsque du vent se forme au large, il crée du clapot qui engendre des irrégularités et des creux, qui se propagent jusqu’aux côtes. Lorsque le fond se réduit, la houle s’élève et s’effondre. » Selon le lieu, la vague se cambre et offre un spot aux surfeurs. « Éloignez-vous de 2 mètres, et la vague n’est plus la même. C’est à chaque fois un petit miracle, et toutes les vagues sont singulières », poursuit Erwan Simon.

Un patrimoine multiple

Jusqu’ici, la protection des vagues présentait un angle mort juridique. « La notion de vague n’est pas intégrée aux outils légaux. Elles ne sont pas du vivant. Or, on protège des espèces ou des types de milieux. La vague n’est ni un animal ni un milieu spécifique qui abrite singulièrement tel ou tel végétal », détaille Grégoire Touron-Gardic. La dimension physique de la vague n’est pas considérée. Elle a bien des rôles écologiques et abrite des écosystèmes complexes, avec les sédiments et l’oxygène qu’elle apporte. Mais ils sont variables et difficiles à quantifier. »
La vague, puisqu’elle est l’identité et l’âme d’un lieu, doit en fait être considérée comme un tout, avec ses bénéfices sociaux, économiques, culturels, patrimoniaux… « Une vague transcende de loin les seules communautés de surfeurs : elle attire les promeneurs, stimule un tourisme et une économie. Par exemple, avec la vente de matériels de sports nautiques », poursuit Erwan Simon. C’est aussi un patrimoine culturel. En Polynésie, le rapport aux vagues est ancestral et à l’origine de bien des légendes. » Sans parler de la ressource artistique. Il y a bien La Vague de Paul Gauguin, peinte au Pouldu, sur la commune côtière de Clohars-Carnoët, dans le Finistère, et toutes ces toiles qui, dans les galeries de Quiberon, tentent de percer le secret du lieu. Récemment, un sociologue spécialiste de l’acoustique est même venu enregistrer le paysage sonore de la plage. « Ce sont toutes ces dimensions qu’il faut préserver, conclut Grégoire Touron-Gardic. C’est une nouvelle façon de concevoir l’environnement, comme un bien commun qui dépasse la simple conservation du vivant. »

Coline Renault