Entre l’embouchure du Rhône et la chaîne de l’Estaque, au fond du golfe de Fos, relié à la mer par le canal de Caronte, il s’étend derrière Martigues jusqu’au pied des collines environnantes sur 155 km2. D’une profondeur moyenne de 6 m, il a longtemps fait vivre une importante communauté de pêcheurs. Moules, huîtres, palourdes, loups, daurades, muges y foisonnaient. C’était, au dire des anciens, un vrai paradis. Depuis lors, bon nombre d’industries se sont installées au Sud de l’étang, qui y ont longtemps rejeté leurs effluents. Au Nord, la domestication de la Durance et l’installation d’usines hydroélectriques ont abouti au déversement d’énormes quantités d’eau douce et de limons. La pollution a atteint un tel niveau que, dès 1957, la pêche a été interdite dans l’étang de Berre, sonnant le glas des petits métiers. Et après les pêcheurs, ce sont les touristes qui ont à leur tour déserté le plan d’eau.

Heureusement, nous n’en sommes plus là. Les communes se sont mobilisées, un syndicat mixte a été mis en place. Les pouvoirs publics, les entreprises se sont engagés dans une démarche de réhabilitation de l’étang. En 1994 la pêche a été à nouveau autorisée et l’étang renaît peu à peu. C’est pour marquer cette reconquête que deux copains – Éric Benente, de l’Estaque, et Philippe Sallé, de Saint-Chamas – ont décidé d’organiser une rencontre de bateaux traditionnels, avec le soutien de la base nautique de Saint-Chamas, petit port de pêche au Nord de l’étang.

L’étang des voiles rassemble vingt-cinq bateaux

« Avec ma bette Elsa, raconte Éric, je suis souvent allé à Rolle pour la Fête des canots. C’est là qu’un ami pêcheur du Léman m’a dit : “Il y a trente ans, ça sentait, le lac ! Et puis, grâce aux efforts collectifs sur l’écosystème, le Léman retrouve maintenant de sa superbe.” C’était un peu la même chose sur notre étang de Berre. C’est ainsi qu’a germé l’idée d’y organiser une fête nautique.Comme nous avions déjà Les Voiles d’en haut, tous les deux ans, sur le lac de Serre-Ponçon, on a décidé d’organiser en alternance L’Étang des voiles, un rassemblement bisannuel sur l’étang de Berre. »

La première édition a eu lieu les 2 et 3 juillet, en baie de Saint-Chamas. Cette commune est typique du Midi. Des collines couvertes de pins parasols, une falaise ocre aux habitats troglodytes, le pont de l’Horloge au milieu du décor, des ruelles avec des bougainvilliers qui grimpent aux murs, un petit port abritant une dizaine de barques de pêche… tout ce dont on peut rêver est là.

Le jour venu, sur la petite plage des Cabassons, étaient amourées les bettes Elsa, Bicoulin, Pichoun Cari, Ida, Le Chemin des Îles ; côté barquettes, le San Antone de Sanary, La Bonne Mère de l’Estaque ; il y avait aussi une felouque de Kerkennah, un camin du Havre, des Ilur, Colombe et Jean, deux barquettes grées en houari… En tout vingt-cinq bateaux et soixante-dix hommes et femmes d’équipage.

Le mistral, qui n’avait pas été vraiment convié, s’est invité le samedi et s’est mis en colère le dimanche. Cela n’a pas empêché de belles navigations et de jolis bords, souvent carrés, mais jolis tout de même. J’embarque sur Bicoulin. J’ai toujours aimé les bettes et les nacelles ; c’est là-dessus que j’ai appris la voile latine. Un tiercerol (ris) pris au départ est vite largué et la bette s’élance. Pour que ça marche, on fait gîter, on pose la paume de la main sur la fargue sous le vent ; il faut que les quatre doigts soient dans l’eau. Avec l’autre main je tiens le davant (palan d’amure). Sa voile bien remplie, la bette se cale sur son bouchain, à la bande, et on entend alors chanter le timon, (safran).

À l’occasion de cette rencontre, Éric Benente a installé dans la chapelle Saint-Pierre, qui abrite l’office du tourisme, une belle exposition : Voile latine, retour aux sources, présentation très réussie de divers documents, graffiti, textes, gravures, témoignages, photos, tous choisis avec une grande rigueur. Cette expo est dédiée à Laurent Damonte, enfant de l’Estaque qui fut un ardent défenseur du patrimoine maritime méditerranéen.

Au terme de ces deux jours bien remplis de voile, de vent et de musique, chaque équipage s’est vu remettre un gyotaku, une empreinte de poisson sur un papier de soie, fruit d’un art traditionnel des pêcheurs japonais qui immortalisent ainsi leurs prises. Je suis parti avec une daurade. Dans deux ans je reviens et j’aurai peut-être un loup.

par Bernard Vigne

Crédit iconographique : Stéphane Le Dauphin