Que se passe-t-il au large de la Bretagne et sur les côtes atlantiques ? Depuis le printemps, les chalutiers, principalement, mais aussi certains caseyeurs, remontent un nombre exceptionnel de poulpes, un phénomène qui s’est accentué au mois de septembre. Du « jamais vu » selon Yannick Morel, patron de pêche du Papi Paul, de La Turballe, pêcheur depuis trente-deux ans. Ainsi, à la criée ce port, on recense douze fois plus de ventes que l’an passé, soit 257 tonnes de poulpes contre 21. À La Rochelle, cent fois plus, avec 30 tonnes contre 300 kilogrammes en 2020. À Saint-Gilles-Croix-de-Vie, neuf fois plus (4 500 kilogrammes contre 500 kilogrammes), et onze fois plus à Lorient (159 tonnes contre 14). Ainsi en va-t-il du Finistère à la Charente-Maritime, avec des captures qui concernent aussi bien Eledone cirrhosa, le petit poulpe blanc, qu’Octopus vulgaris, le rouge, avec ses deux alignements de ventouses sur les bras.
Pour Laure Bonnaud-Ponticelli, biologiste, spécialiste des céphalopodes, et professeure au Muséum national d’histoire naturelle, il faut regarder du côté des œufs. Le poulpe vit une seule saison de ponte, c’est-à-dire qu’après s’être reproduit, il meurt. D’où des fluctuations de population qui peuvent être importantes. Les individus pêchés aujourd’hui sont nés entre le printemps et l’automne 2020, et plusieurs causes pourraient expliquer cette prolifération. Des femelles ayant pondu davantage ? Des œufs arrivés en nombre à maturité grâce à la diminution des grands prédateurs comme le thon ? Autre piste évoquée : le déplacement de la zone de ponte. En effet, juste après leur éclosion, les poulpes se retrouvent mêlés au plancton et voyagent en surface, au gré des courants. Ils descendent ensuite au fond et y demeurent quasi sédentaires près des rochers.
Quoi qu’il en soit, il est difficile de se prononcer avec assurance. Le recul manque et le cycle de vie court du poulpe, entre deux et trois ans, laisse peu de temps pour appréhender le phénomène. D’autant plus qu’en France, l’espèce ne fait pas l’objet d’un suivi.
Reste qu’aujourd’hui, le poulpe se vend plutôt bien. À La Turballe, un port historique pour la sardine, le thon ou le maquereau, le prix de vente moyen du poulpe sur l’année s’élève à 5,12 euros le kilogramme.
La filière a su s’adapter et les acheteurs, trouver des débouchés vers les pays méditerranéens, Italie, Espagne, Portugal qui consomment l’animal. Pourtant, cette soudaine prolifération reste inquiétante : le poulpe se nourrit d’autres espèces habituellement pêchées, crustacés ou coquilles Saint-Jacques par exemple, dans un secteur où la question de la ressource est déjà sensible. ◼ Marine Dumeurger