« II faut savoir lire les écritures des fleuves, car ils développent un alphabet de signes. Certains sont inscrits dans la violence des coups de sabre des canyons, d’autres ont la douceur des volutes et des rubans enchaînés qui nouent et dénouent les paysages. D’autres encore ont la légèreté des effleurements de rivières lascives abandonnant leurs courbes amollies aux grèves odorantes. » Preuve est donnée, dès l’avant-propos, que l’on peut faire scientifique en maniant une belle langue. Ce n’est pas la moindre des surprises de ce beau livre qui offre à la potamologie, la science des fleuves et des rivières, ses lettres de noblesse, à grand renfort d’infographies, de photographies, de schémas, de lexiques…
Les auteurs, qui se félicitent d’avoir comme terrain d’étude un pays qui est un « château d’eau naturel » démontrent à chaque page l’incroyable richesse de leur sujet, ses aspects géologique et hydrologique, bien sûr, mais aussi historique, à travers différentes époques, comme au Moyen Âge, par exemple, quand la rivière sous-tend les échanges économiques et assure la défense de la ville. La faune et la flore sont aussi abordées de manière intelligente et ludique grâce aux dessins : on se glisse ainsi dans la peau d’un poisson, ou d’un pêcheur (un Français sur dix est un pêcheur en eau douce et trois cent soixante sont des professionnels), on sourit devant « l’étonnante fécondation de la vallisnérie spiralée », on découvre les mœurs des brochets cannibales, on redoute les dangers auxquels les cours d’eau sont exposés (les pollutions industrielles reculent, tandis qu’augmentent celles d’origine pharmaceutique, ainsi que les déficits de pluie et de neige), on réfléchit aux moyens de les protéger et on décrypte la charge symbolique qu’ils véhiculent. L’ensemble compose une somme passionnante et très accessible sur l’eau, « l’or du troisième millénaire ».
Le géographe Élisée Reclus, auteur de La Vie d’un ruisseau – un clin d’œil avec le titre ici chroniqué ? –, n’aurait pas renié ce livre, ni ces lignes : « Chaque vallée, chaque falaise traversée, chaque coteau est un grimoire de feuillets empilés, un livre à remonter le temps, celui de la Terre et celui des hommes, aussi, car le déroulement de l’histoire humaine est accordé à l’écoulement des eaux vives. » ◼ N. C.

> La Vie de la rivière, Marie-France Dupuis-Tate, Bernard Fischesser, Delachaux et Niestlé, 272 p., 39 €