Marie-Aline Lagadic et sa fille Klervi Rivière ont chanté, voici quelques années déjà, les chants des ouvrières des conserveries de sardines recueillis auprès de leurs aînées bigoudènes – les mêmes, peu ou prou, que chantaient leurs semblables des autres ports de la région. Ces disques ressortent aujourd’hui, en accompagnement d’un beau livre dans lequel ces chants sont présentés, illustrés de documents d’époque, et surtout remarquablement resitués dans leur contexte. Sur un siècle, de 1860 à 1960, ils nous donnent un précieux aperçu de la vie d’une communauté littorale dont les ouvrières demeurent des héroïnes méconnues. Une vision d’une culture non écrite, s’exprimant à haute voix, en breton, parfois en français et très souvent en exaltant de concert les saveurs des deux langues. On chantait alors pour passer le temps, pour tenir le coup, des quinze heures d’affilée. Pour conjurer en musique, en beauté, la dureté du travail… Sans parler de l’inhumaine, criminelle inflexibilité de patrons exploiteurs qui n’hésitèrent pas à affamer une population entière, plutôt que de céder lors des grèves des années 1920. Et que chantait-on, je vous le demande ? La sardine, l’usine ? Que nenni ! Hormis quelques complaintes historiques, litanies relatant des drames de la mer, et de cocasses moqueries sur les ouvrières des usines voisines, il s’agit d’amour, de jeunes filles à marier, crédules ou malignes, de la détresse de celles qui ont été abusées et abandonnées… Témoignages de la réalité d’une condition, bien loin d’un folklore poissonneux. Bien sûr, il y a Saluez, riches heureux : « Le travail est un champ de bataille où l’ouvrier est toujours vaincu »… mais dans cet hymne, point de poisson. Il paraît qu’il fut composé lors des grèves des mégissiers de Carmaux, dans le Tarn, bien avant son adoption par les sardinières. Surtout, guère de chances de l’entendre à l’usine : l’entonner, c’était, dit-on, l’assurance de se faire renvoyer illico. ■

> Le chant des sardinières, par Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière, Coop Breizh, 128 pages, deux CD, 35 euros.