C’est en 2016, aux Pays-Bas, qu’un plaisancier français fait l’acquisition de Savage Rose, un Malar 25 construit en 1952 sur un plan dessiné quatre ans plus tôt par le Suédois Erik Nilsson. Avant sa première saison, il fait expertiser son quillard par le charpentier de marine François Blatrix. « Il s’agit en fait d’un voilier conçu selon la jauge des Skerry Cruiser, catégorie 25 m2 de surface de voilure, explique François. Ce navire, construit à soixante-douze exemplaires, mesure 10 m de long pour 7,25 m à la flottaison, 2,10 m de large, 1,30 m de tirant d’eau, 2,2 t de déplacement dont 1,1 t de lest. Quand je l’ai découvert, il avait l’air propre, le bordé était sain, mais les quinze varangues en acier galvanisé étaient particulièrement corrodées, tandis que quelques membres étaient cassés. » Avant la saison 2017, dans son chantier de Belz (Morbihan), François remplace les varangues et répare quarante et un membres ployés. Puis Savage Rose reprend la mer, non sans que le charpentier ait signalé au propriétaire que, vu l’état des varangues, on était en droit de douter de celui des trente-huit boulons galvanisés de la quille… Idéalement, il aurait donc fallu les enlever pour vérifier…

Le nouvel armateur de Savage Rose connaît bien Bruno Jeanson qui n’est autre que l’architecte du Sitta 7.2, un 12 m2 du Havre moderne qu’il a fait construire (Caol Ila) au chantier Florance en 2013. « Remplacer les boulons de quille voulait dire déposer, percer, tarauder à nouveau, remonter… Une opération difficile et coûteuse, explique-t-il. Dans ce contexte, pourquoi ne pas remplacer le voile de fonte de l’ancien plan de quille par un nouveau, pour améliorer la manœuvrabilité et les performances du bateau ? » La première saison, le patron de Savage Rose avait en effet trouvé son bateau « très agréable à barrer, assez neutre au près voire un tout petit peu ardent, mais très difficile à faire abattre du largue au grand largue sans choquer la grand-voile, ce qui n’était pas toujours si simple car l’extrémité de la bôme se retrouvait alors rapidement dans l’eau étant donné le faible franc-bord et l’étroitesse de la coque… » Il précisait par ailleurs : « le gouvernail à l’étambot ne facilite sans doute pas les choses… »

C’est ainsi qu’à l’automne 2017, il propose un cahier des charges à Bruno Jeanson : « redessiner les appendices de manière à obtenir un plan de quille moderne qui diminue la surface mouillée, adopter un safran suspendu, conserver le moteur électrique mais déplacer l’hélice entre l’aileron de quille et le safran… et ce sans rien perdre en élégance. » Il demande en outre à l’architecte une étude rapide pour pouvoir choisir, avant l’hiver, entre la rénovation de l’ancien et la solution moderne.

À l’issue d’une réunion autour du navire avec le propriétaire et le charpentier, Bruno retrace les plans (les documents dont il disposait étaient de simples scans à la précision aléatoire, et le bateau pouvait s’être déformé dans le temps) afin de dessiner de nouveaux appendices en respectant les caractéristiques originelles de déplacement, de flottaison, de centre de dérive… Il s’agit également de s’assurer avec François Blatrix que ces modifications sont réalisables. « Mon plan a finalement été validé, conclut Bruno. Il s’agit d’augmenter le tirant d’eau de 10 cm, le portant à 1,40 m, avec un lest en plomb à la forme plus évasée dans le bas – mais dont le bord d’attaque rappelle l’ancienne quille. Ces deux caractéristiques font descendre le centre de gravité, améliorant la force de rappel, et par conséquent la raideur à la toile. » Les travaux démarrent en mars 2018. La nouvelle pièce de quille est façonnée dans une poutre en cinq plis de sapelli lamellé-collé. Quand le nouveau lest est livré par la fonderie Lemer, qui a travaillé d’après un moule confectionné par le charpentier, il est assemblé au voile de quille par des boulons de 25 mm de diamètre et 1,20 m de longueur. François façonne également le safran, qui trouve bientôt sa nouvelle place, comme les galbords qui clôturent le travail sur les œuvres-vives.

En septembre 2018, le charpentier démonte l’ancien pont pour le refaire en contreplaqué recouvert de lattes de pin d’Oregon. François s’occupera enfin de restaurer le rouf et de refaire les capots et le cockpit. Doté d’un nouveau mât en aluminium, Savage Rose a retrouvé son élément le 4 avril puis son port d’attache de Port-Louis.

À noter enfin que François Blatrix aura fini de déménager son chantier à la même période : après quelques années passées à Belz, il s’est installé à Baden, au sein du chantier Le Borgne, prenant en quelque sorte la suite de Patrick Lobrichon, qui a cessé son activité en décembre dernier.