On peut conjuguer la rigueur, la discipline, et le plaisir des mots. Écrire que « le désordre est l’élégance du voyageur » ou évoquer la « houle incarnadine des roselières » tout en remarquant qu’il manque une espace fine avant les deux points annonçant une citation. C’est ce qu’a fait pendant trente ans notre collègue Xavier Mével. Ces derniers temps, il soulignait fréquemment que son plaisir à travailler pour Le Chasse-Marée augmentait avec le temps et nous avions fini par le croire inamovible. Il a pourtant choisi de ranger ses crayons et de faire valoir ses droits à la retraite. Inutile de le retenir : lorsqu’il a décidé quelque chose, c’est ferme et définitif…

Le Chasse-Marée perd ainsi un collaborateur hors pair, qui occupait un poste clé. Car le secrétaire de rédaction, dont le rôle est souvent méconnu, est le socle de toute publication. Un texte trop long ? Il coupe. Une phrase incompréhensible ? Il cuisine son auteur jusqu’à la rendre limpide. « Qu’est-ce que tu veux dire par là ? », cette petite phrase que lançait régulièrement Xavier au travers de la rédaction, avait fini par devenir culte… Le secrétaire de rédaction est un personnage essentiel dont le travail ne se voit pas, quand il est bien fait. Un homme de l’ombre qui vous guide en douceur jusqu’au bout d’un article. Pour nous, Xavier était donc l’assurance d’un ouvrage soigné et, pour être tout à fait franc, bon nombre d’auteurs du Chasse-Marée lui doivent aussi un peu de leur belle plume.

Quand il ne met pas son talent au service des autres, ce grand amoureux de la littérature écrit aussi sous son nom. Vocabulaire riche, écriture ciselée et raffinée : chacun de ses papiers apporte à la fois découverte et plaisir de lecture. Mais s’il est capable de s’émerveiller et de rendre hommage aux méritants, il peut aussi ramener les plus mauvais – ou les plus prétentieux – à leur juste valeur, en quelques phrases lapidaires et cinglantes. La complaisance n’est pas la « tasse de thé » de Xavier…

Excellent professionnel, donc, il a également participé à la défense de son métier et plus globalement à celle des valeurs du journalisme. Il a ainsi toujours lutté pour le bien de ses collègues et n’a jamais manqué de rappeler la singularité de l’entreprise qu’il avait intégrée en 1987, alors qu’elle s’affirmait comme une grande maison, tant dans l’édition que dans la presse. « Une entreprise culturelle n’est pas une entreprise comme les autres ! »

Le 15 décembre, nous nous sommes tous réunis autour de lui pour le remercier, boire un verre et surtout manger quantité de choux à la crème, un exercice dans lequel Xavier – pourtant roi des « lichoux » –, a été supplanté par Jacques van Geen, son successeur. Juste avant, Xavier se félicitait de voir son poste passer aux mains de ce « vieil » ami du Chasse-Marée. Xavier, sois serein, « ta » revue est en de bonnes mains ! Mais on t’attend de pied ferme… quand tu veux pour une petite pige ! •