Installé dans le palais des Gouverneurs, au cœur de la Citadelle de Bastia, le musée de la ville propose jusqu’au 17 décembre une exposition consacrée aux pirates et aux corsaires. Espace d’échanges multiséculaires entre l’Orient et l’Occident, la Méditerranée fut également une mer « furieuse ». Après la bataille de Lépante (1571), la guerre navale évolue. Les luttes entre flottes impériales laissent place au corso, c’est-à-dire à une guerre de course opposant les nations dites « chrétiennes » à l’empire Ottoman et aux régences d’Afrique du Nord, en particulier Alger et Tunis. L’exposition s’intéresse à cette période d’instabilité.

Elle est introduite par une mise en contexte présentant les grands ports, les types de navires et les marins de l’espace méditerranéen, à l’aide de tableaux, de maquettes, d’instruments de navigation, de coffres de marins capcorsins, d’ex-votos prêtés par les églises corses… Le parcours aborde ensuite les formes de violence que subissent les populations maritimes et littorales du xvie siècle au début du xixe siècle. La prise d’otages en vue d’obtenir une rançon devient une pratique courrante et très organisée, comme en témoigne le tableau d’André Marius Granet Rachat de prisonniers dans les prisons d’Alger (1831). Des moines y négocient les captifs, probablement des gens de mer désargentés, avec les aumônes collectées par une société de rédemption.

Certaines œuvres présentées à Bastia, dont le tableau de Granet, mais aussi les peintures d’inspiration orientaliste de Courbet et de Delacroix, montrent comment la culture occidentale, depuis le Don Quichotte de Cervantès, a décrit la férocité des pirates barbaresques et l’état misérable des captifs chrétiens. Guillaume Calafat, dans un article au titre éloquent (« En finir avec les Barbaresques », L’Histoire, n0 500, octobre 2022), nous invite à revoir ce récit de manière moins manichéenne, au-delà des représentations négatives des corsaires « musulmans ».

Au cœur de l’espace méditerranéen, la Corse n’échappe pas à ces violences, subissant attaques et razzias contre lesquelles sont érigées des tours d’alerte, dont l’Archivio de Stato de Gênes conserve de magnifiques dessins. Les marins corses peuvent aussi se mettre au service de Gênes, de Livourne ou de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, installé sur l’île de Malte. Cette dernière est très présente dans l’exposition, grâce à de nombreux prêts de son musée maritime. Le visiteur remarquera également l’énigmatique Portrait d’un chevalier de Malte de Tiziano Vecellio, dit le Titien (1488-1576), prêté par le musée des Offices de Florence.

Un intéressant passage de l’exposition explique comment la République corse (1755-1769) voulut se doter d’une flotte corsaire, à laquelle Pasquale Paoli délivrait des lettres de marque. Les corsaires de Paoli ne sont pas tous de l’île, puisque des Napolitains s’engagent à ses côtés. La dimension transnationale de l’histoire maritime de la Corse et sa « centralité » dans l’espace méditerranéen sont remarquablement éclairées dans cette exposition ambitieuse, par son propos et la qualité des œuvres présentées. ◼ V. G.

Extrait du manuscrit Imprese delle galere Toscane, récit de navigation d’Erasmo Magno de Velletri, marin embarqué pour combattre l’Empire ottoman entre 1602 et 1616.

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