Chez les Gerlache, le virus des pôles semble une maladie génétique. Dès l’âge de douze ans, le fils d’Adrien, Gaston (1919-1970), effectue avec ses parents une croisière d’agrément dans le grand Nord. Devenu juriste – et pilote chevronné depuis son engagement à la RAF –, il n’est pas marin, mais on lui confie pourtant l’organisation d’une expédition belge en Antarctique, dans le cadre de l’année géophysique internationale (du 1er juillet 1957 au 31 décembre 1958). Le but est d’implanter une base scientifique sur la Terre de la reine Maud. Un projet d’ampleur puisque deux brise-glace (le Polarhav et le Polarsirkel) sont affrétés pour embarquer dix-sept hommes, vingt-quatre chiens, trois véhicules à chenilles, un avion, un hélicoptère, une flotte de traîneaux et tous les éléments préfabriqués de la base avec ses accessoires. L’expédition sera un franc succès et aboutira à l’inauguration de la base Roi-Baudouin le 11 janvier 1958. Les hivernants supportent sans problème les rigueurs australes grâce aux abris chauffés. Un an plus tard, le Polarhav, revenu assurer la relève, reste bloqué par la banquise. Il faudra le secours de deux brise-glace américains pour le libérer. Arrivés à Ostende le 2 avril 1959, Gaston de Gerlache et ses hommes sont accueillis en héros par une foule immense et le roi Baudouin en personne. « Soixante ans après, écrit-il, nous avons repris le flambeau de l’expédition de la Belgica. […] Notre œuvre se continue. »

L’auteur de ces lignes aura cinq enfants, trois garçons et deux filles, dont aucun n’échappera à l’attraction des pôles. En 1961, Bernard, né en 1948 et Jean-Louis, de deux ans son cadet, embarquent avec leurs parents, sur le cargo brise-glace Frida Dan qui va chercher du minerai sur la côte Est du Groenland. Devenu officier de Marine, l’aîné est invité en 1972 à participer à une expédition américaine en Antarctique. L’occasion pour lui d’effectuer un raid jusqu’au Sud géographique, enjeu de la course mythique entre Scott et Amundsen, et d’embouquer le détroit que son grand-père avait « inventé », à la barre du brise-glace américain Glacier.

L’année suivante, son frère Jean-Louis se rend en Arctique participer à un chantier de fouilles archéologiques sur le site inuit de Pond Inlet. Ce séjour est organisé par un missionnaire ami de la famille, le père Guy Mary-Rousselière, qui accueillera successivement toute la fratrie – Henrianne en 1978, François en 1981 et Hélène, en 1985.

Jean-Louis retourne dans le Grand Nord en 1977 pour épauler le navigateur Willy De Roos, qui tente cette année-là de franchir le passage du Nord-Ouest à bord de son ketch Williwaw. Il rejoint le bord au Groenland et ne le quitte qu’après avoir traversé les baies de Melville et de Baffin, portion réputée la plus dangereuse du parcours. Une aventure très enrichissante, même si les deux hommes ont des caractères opposés. « Un monde nous sépare », écrira le navigateur à propos de son matelot dont il craignait sans doute que l’aide ternisse son exploit.

Enfin, en mars 1984, François de Gerlache participe à une expédition élaborée par l’armée britannique sur l’île de Brabant. Aucun confort espéré cette fois puisqu’il s’agit de tester la résistance humaine par grand froid. Douze hommes vont ainsi hiverner sous la tente où la température excède rarement 0 degré et peut descendre jusqu’à moins 25 degrés. François y survivra et scellera sur un rocher de l’île une plaque commémorant le débarquement de son grand-père en 1898. Le quatre-vingt-dixième anniversaire du voyage de la Belgica sera d’ailleurs célébré quatre ans plus tard, par une croisière du Bahia Paraiso, ravitailleur de la Marine argentine à bord duquel Jean-Louis représente l’illustre famille Gerlache.

Cet extrait  fait partie du « En savoir plus »  de l’article « Adrien de Gerlache, l’attraction des pôles », publié dans le Chasse-Marée n°325, en février 2022.