Par Gilles Millot – Poursuivant le tour d’horizon des grands voiliers existant de par le monde (CM 81 et 99), cet article évoque l’histoire des trois et quatre-mâts barque ou carrés conçus dès l’origine pour servir de voiliers-école*. La plupart de ces navires ont été lancés dans la première moitié du XXe siècle, mais cette flotte continue de s’enrichir au fil des décennies ! En effet, nombre de grands pays considèrent aujourd’hui que le voilier-école est un outil indispensable à la formation des cadres de leurs marines. Une part appréciable de cette magnifique flotte pourra être admirée cet été lors des grands rassemblements maritimes de Rouen et de Saint-Malo.

C’est à partir de la fin du XIXe siècle que les marines de guerre ou de commerce des principales nations maritimes commencent à se doter de grands voiliers-école spécialement conçus en vue d’assurer des tâches de formation. Avant cela, l’apprentissage des futurs marins, particulièrement ceux embarqués à bord des bâtiments marchands, s’effectuait à la mer dans le cadre des activités normales du navire. La période de l’entre-deux-guerres représente sans doute l’âge d’or des grands voiliers-école. La plupart des flottes marchandes, et notamment celles d’Europe du Nord, sont en pleine reconstruction et la formation de leurs équipages passe bien souvent par un embarquement à bord de ces voiliers.

Aujourd’hui encore, bien après la disparition de la voile de travail, les marines de très nombreux pays reconnaissent l’utilité du voilier-école pour la formation de leurs futurs cadres « L’empreinte de la voile » chère au Cap-Hornier Georges Aubin reste ainsi l’outil indispensable au développement du sens marin et à l’apprentissage du travail en équipage. La majorité de ces navires participe régulièrement à la Cue Sark — dont le départ sera donné cette année à Saint-Malo (du 20 au 23 juillet) —, course organisée par la Sail training association (STA), dont le but est de promouvoir la formation maritime au travers de l’héritage des savoir-faire de la voile. Navigation, manœuvre, matelotage, voilerie, découverte des autres et de soi-même sont au programmé de ces aventures au long cours que des centaines de jeunes gens, en formation professionnelle ou à titre de passagers occasionnels, peuvent vivre en mettant leur sac à bord des voiliers-école.

La retraite au musée

Après une carrière généralement bien remplie, plusieurs grands voiliers-école ont été conservés dans leurs différents pays d’origine. Souvent employés en qualité de bâtiments-école stationnaires au sein d’une grande ville portuaire, leur présence à quai a suscité l’intérêt des citadins. Ces navires sont alors devenus partie intégrante du patrimoine national. Aussi, lorsque l’heure du déclassement, voire de la démolition, a sonné, nombre de voix se sont élevées pour que ces voiliers soient préservés et maintenus dans leur état sous forme de musées à flot.

C’est le cas notamment des trois-mâts carrés Najaden et Jar-ramas, construits respectivement en 1897 et 1900 dans les chantiers de la Marine royale suédoise. Si le premier est en bois et le second en fer, ces deux navires, longs de 40 mètres, sont d’apparence identique. Ils ont rempli leur mission de voilier-école pour la Marine suédoise jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Dès la fin des hostilités, le Najaden est désarmé et promis aux chalumeaux des démolisseurs. La ville d’Halmstad s’en porte alors acquéreur et le transforme en musée. La même fin heureuse est réservée au Jarramas, sauvé en 1950 par les habitants de Karlskrona. Les Suédois sont d’ailleurs des précurseurs en matière de voilier-école, puisque le premier navire armé dans ce but exclusif est sans doute le brig Carl-Johan, construit en 1848, qui restera en activité trente années durant.

Construit en fer et lancé en 1882, le trois-mâts carré Joseph Conrad, l’ex-danois Georg Stage, a pris une retraite définitive au port-musée de Mystic Seaport (Etats-Unis) dont il est l’un des fleurons. © Beken of Cowes

L’armateur danois Frederik Stage est à l’origine de la construction du voilier-école Geotg Stage, destiné à être utilisé par la fondation du même nom, qu’il a créée en mémoire de son fils disparu accidentellement. Lancé en 1882 par les chantiers Burmeister & Wain de Copenhague, le Geotg Stage est un navire en fer, long de 49 mètres hors tout, gréé en trois-mâts carré. Il est doté à l’origine d’une machine auxiliaire à vapeur et d’une hélice relevable. Ce système de propulsion mixte est courant à cette époque de transition entre la voile et la vapeur. Les emménagements sont prévus pour les dix hommes qui constituent l’équipage permanent, tandis que les quatre-vingts stagiaires embarqués dorment dans des hamacs suspendus sous le pont. Avant d’effectuer les premières sorties en rade, les cadets se familiarisent avec le navire et son gréement par des exercices à quai. Ils participent évidemment à la manœuvre et à l’entretien du navire. Des croisières sont organisées en Baltique et en mer du Nord avec relâches dans les ports britanniques.

Le 25 juin 1905, un drame va mettre provisoirement fin à la carrière du Geotg Stage. Il est abordé et coulé dans la nuit par le vapeur britannique Ancona. Vingt-deux cadets périssent noyés, pour la plupart sans avoir eu le temps de quitter l’entrepont. Le navire est renfloué et subit une importante refonte. Des cloisons étanches sont installées afin d’éviter un nouveau drame en cas d’accident. On en profite pour déposer le système propulsif à vapeur qui, de toute façon, n’était utilisé qu’occasionnellement. Pendant dix années, le Geotg Stage navigue à la voile seule, avant d’être de nouveau équipé d’un moteur, cette fois un diesel de 52 chevaux destiné à faciliter les manœuvres de port.

© Harold A. Underhill/Brown, Son & Ferguson Ltd

En 1935, après plus d’un demi-siècle d’activité, la fondation décide de remplacer le Georg Stage par un navire plus grand et plus moderne, le Georg Stage II Son prédécesseur est acquis par Alan Villiers, un inconditionnel des voiliers à phares carrés. Le vieux navire est convoyé à Ipswich, puis rebaptisé JosephConrad sous pavillon de la marine marchande britannique. Les emménagements sont entièrement reconsidérés ; ils permettent désormais d’embarquer seize stagiaires en plus de l’équipage et des éventuels invités. Jusqu’alors destiné à naviguer essentiellement en mer du Nord et en Baltique, le navire peut désormais effectuer des croisières lointaines. Armé en voilier-école d’aventure, le Joseph Conrad quitte Ipswich à l’automne de l’année 1934 pour un long périple atlantique qui doit le mener jusqu’à New York. Emules du célèbre marin-romancier qui a donné son nom à leur navire, les cadets reçoivent, avec Alan Villiers, une formation maritime digne de celle dispensée à bord des plus fameux navire-école.

Le Joseph Conrad est ensuite vendu à un particulier, qui le transforme en yacht avant de le céder, durant la Seconde Guerre mondiale, à la Commission maritime américaine. Cette dernière l’utilise pour l’instruction des futurs officiers de marine marchande. En 1947, le trois-mâts arrive bel et bien en fin de carrière et rejoint la collection du musée maritime de Mystic Seaport, dans le Connecticut. Il sert aujourd’hui de base flottante pour les écoliers et les scouts-marins qui viennent en stage au port-musée. Avec le baleinier Charles W Morgan, le Joseph Conrad est l’une des plus grandes unités conservées à flot à Mystic Seaport.

Fin de siècle et grands navires

Bien qu’il n’ait pas été construit à l’origine pour cette fonction, on peut considérer que le plus vieux des grands voiliers-école existant encore dans le monde est sans doute japonais. Lancé en 1874 par les chantiers Robert Napier à Glasgow, le Maru est un vapeur en fer destiné au service des phares de l’empire du Soleil Levant. Long de 76 mètres pour 8,50 mètres de large, ses formes sont cependant celles d’un voilier, comme l’atteste son étrave particulièrement élancée, très caractéristique du chantier écossais. Armé par le ministère des Transports japonais, le Meift Maru est bientôt transformé en voilier-éco-le et gréé en trois-mâts carré. Il forme des cadets à la mer jusqu’au début des années 1910, avant de devenir stationnaire dans le port de Tokyo. En 1920, le navire est gravement endommagé par un cyclone et son état ne lui permet plus d’être maintenu à flot. Le gouvernement japonais décide alors de l’échouer dans un dock et de le conserver en qualité de musée, fonction qu’il remplit encore de nos jours. A Tokyo, on peut également admirer le trois-mâts barque Unyo Maru, long de 45,90 mètres, construit à Osaka en 1909 pour l’État japonais. Ce voilier-école devient stationnaire au côté du Meiji Marti durant l’entre-deux-guerres, puis est converti à son tour en musée à flot.

La Marine argentine s’est, elle aussi, dotée très tôt d’un navire-école, avec la mise en service, dès 1898, du trois-mâts carré de 76,50 mètres Presidente Sarmiento. Cette fois encore, c’est un chantier britannique (Laird à Birkenhead) qui a lancé ce bâtiment, en 1897. Construit en acier sur les plans des corvettes mixtes de la seconde moitié du XIXe siècle, le Presidente Sarmiento est un navire armé et équipé d’une machine à vapeur de 1 000 chevaux. Cependant, c’est à la voile qu’il effectue l’essentiel de ses navigations, avec à son bord les cadets de l’académie navale argentine. En 1938, après trente-sept grandes croisières océaniques et six tours du monde, le Presidente Sarmiento est amarré dans un bassin de Buenos Aires où il sert de navire-école stationnaire jusqu’en 1961. Il est désormais conservé par la Marine argentine comme musée à flot, et sa mâture domine les quais face au centre de la grande cité sud-amé- ricaine.

La suprématie allemande

L’Allemagne est sans conteste le pays où le voilier-école a acquis ses véritables lettres de noblesse. Alors que les navires à vapeur ont supplanté les voiliers de commerce, dont les derniers s’accrochent désespérément aux lignes d’Amérique du Sud et d’Australie, la marine marchande allemande dent à imposer l’expérience de la voile à ses futurs officiers. En 1899, le Norddeutscher Lloyd achète le quatre-mâts barque en fer de 2 395 tonneaux Albert Rickmers (premier du nom) pour l’utiliser en qualité de navire-école après l’avoir rebaptisé Hemgin Sophie-Charlotte. Trois ans plus tard, c’est au tour du quatre-mâts barque Herzogin Cecilie d’être lancé. Il jauge 3 242 tonneaux, pour une longueur de 95,70 mètres et une voilure de 4 180 mètres carrés. Il possède des emménagements mieux adaptés que le précédent pour l’embarquement des cadets, mais également une capacité de charge supérieure, car ces voiliers sont aussi destinés au transport de marchandises. Les stagiaires qui prennent place à leur bord participent à la marche du navire mais ne reçoivent pas d’enseignement en vue d’une formation spécifique.

C’est au début de l’année 1900 que le grand-duc d’Oldenbourg prend l’initiative de créer le Deutscher SchulscheVerein (Dsv, association des na-vires-école allemands), dans le but exclusif de former les jeunes marins à la pratique du métier. En mars de l’année suivante, le premier navire de l’association est lancé à Geestemünde. Baptisé Grosshemgin Elisabeth, ce beau trois-mâts carré de 80 mètres embarquera au cours de sa carrière des centaines de jeunes gens voués aux métiers de la mer. Ce bâtiment est désarmé en 1932 et utilisé en qualité de voilier-école stationnaire. Attribué à la France après la Seconde Guerre mondiale, il est rebaptisé Duchesse-Anne et dépérit dans les arsenaux français durant de nombreuses années, avant d’être acquis par la ville de Dunkerque où, dûment restauré, il est aujourd’hui musée à flot (CM 107).

Pour satisfaire à l’importante demande d’équipages qualifiés de la part des armateurs du commerce, le DSV fait construire à Hambourg un second trois-mâts carré en acier de 91 mètres hors tout. En 1909, les chantiers Blohm & Voss lancent le Priness Eitel Friedrich, lequel, malgré une jauge inférieure de 300 tonneaux, ressemble en tout point à son aîné, avec sa longue dunette et sa couleur blanc cassé typique des voiliers-école allemands. Cette nouvelle unité va permettre de former des élèves-officiers et apprentis matelots qui, s’ils sont pour la plupart destinés à la marine marchande moderne, prennent la mesure de la rude école de la voile. La guerre va mettre un terme à cette aventure.

En 1918, le Prirqess Eitel Friedrich est attribué à la France au titre des réparations. Désarmé à Saint-Nazaire jusqu’en 1921, il est ensuite pris en charge par la Société anonyme de navigation des navire-école français, qui le rebaptise Colbert, sans toutefois lui trouver une véritable utilisation.

Amarré au port de Nantes, le Colbert est offert au baron de Forrest, en remplacement de son yacht saisi durant la guerre. Cependant, la taille du bâtiment et l’importance de l’équipage nécessaire à sa manœuvre sont sans doute démesurées pour un armement en plaisance. Le navire est de nouveau mis en vente, en 1929. C’est l’école polonaise de navigation de Gdynia, propriétaire du vétuste trois-mâts carré en fer Lwow, construit en 1869, qui s’en porte acquéreur. Durant le remorquage à destination d’un chantier danois chargé de sa remise en état, le futur Dar Pomora — provisoirement baptisé Pomore et commandé par l’ancien capitaine du Lwow — manque de naufrager sur la pointe de Penmarc’h. Une violente tempête lui fait perdre sa remorque et l’équipage doit être recueilli par un bateau de pêche bigouden, après que le trois-mâts eut été mouillé sur ancre à quelques mètres des brisants. Par chance, le mouillage réussira à étaler face aux éléments et le Pomom pourra atteindre Nakskov au début de janvier. Quelques semaines après son arrivée, le voilier-éco-le, rebaptisé Dar Pomora, embarque 150 cadets de la marine marchande polonaise pour une croisière au long cours.

Réfugié à Stockholm durant la Seconde Guerre mondiale, le Dar Pomora renoue avec sa vocation de grand voilier-école dès l’année 1946 et ce, pour plusieurs décennies. En 1972, il remporte la course des grands voiliers organisée par la STA et, sous le commandement de son inséparable capitaine Jurkiewicz, brille par sa présence dans les manifestations internationales. Remplacé en 1982 par le nouveau Dar Mlodziezy, le Dar Pomorza est transformé en musée maritime dans le port de Gdynia, sous la tutelle du ministère de la Culture polonais. Son premier conservateur ne sera autre que son ancien capitaine.

L’enthousiasme norvégien

En 1914, le DSV avait commandé aux chantiers Tecklenborg de Geestemünde un troisième voilier baptisé Grossberrzog Friedrich August. Gréé cette fois en trois-mâts barque, ce navire en acier a fière allure avec ses 87,50 mètres hors-tout et sa longue dunette qui se prolonge jusqu’au grand mât. Les spécialistes le considèrent d’ailleurs comme le plus réussi de la flottille du grand-duc. Il peut embarquer 240 cadets, logés dans l’entrepont à l’aide de hamacs, conformément aux traditions de la « vieille marine ». Mais la carrière du Grvsshenzog Friedrich August sous pavillon allemand sera encore plus courte que celle de son prédécesseur. En effet, dès le lendemain de la Grande Guerre, le navire est remis au gouvernement britannique, qui l’attribue à l’armement J. Couil & Sons de Newcastle upon Tyne. Toutefois, ce dernier ne tarde pas à s’en défaire, car les emménagements et la capacité de charge limitée d’un tel bâtiment sont incompatibles avec le transport de pondéreux.

Apparemment insensible au vertige, un stagiaire travaille dans le gréement du trois-mâts barque norvégien Statsraad Lehmkuhl. © Jean Guichard/Visa-Image

En 1922, le trois-mâts passe sous pavillon norvégien, pour le compte de la Compagnie des vapeurs de Bergen. Cette dernière en fait don à l’Association des navire-école dont le siège se trouve dans le même port. Une aubaine pour cet organisme dont la goélette à vapeur Allen, construite en 1877, est arrivée en fin de carrière. L’ancien voilier-école allemand est alors rebaptisé Statsraad Lehmkuhl. Notons au passage que la marine britannique vient de perdre une première occasion d’incorporer dans sa flotte un grand navire-école. Les Norvégiens ne commettront pas la même erreur ; durant plus de trente-cinq années, le Statsraad Lehmkuhl effectue de multiples croisières au cours desquelles des centaines de jeunes marins se forgent à l’apprentissage de la mer.

L’intermède de la Seconde Guerre mondiale n’entamera pas l’enthousiasme norvégien en matière de voiliers-école. Saisi par les Allemands dans le port de Bergen en même temps que le Sorlandet et le Christian Radich — deux autres grands voiliers du même type —, le Statsraad Lehmkuhl est transformé en bâtiment-dépôt. Il sortira sans trop de dommages de cette période troublée ; dès 1945, le gouvernement norvégien attribue des fonds pour sa restauration. Le navire visite le port de New York en 1952 puis en 1964, dans le cadre de l’Operation Sail qui fait suite à la course Lisbonne-Bermudes organisée par la STA. Mais le coût de l’armement et de l’entretien d’un tel bâtiment est considérable. Si la volonté de former des jeunes gens à la voile reste intacte, on se rabat sur des unités aux dimensions plus modestes.

La poupe élégante du Statsraad Lehmkuhl, en escale à Douarnenez lors du rassemblement de 1996. © André Linard

Le Statsraad Lehmkuhl ne cesse pas de naviguer pour autant. Il embarque des passagers payants pour des croisières à la voile et participe aux grands rassemblements ainsi qu’aux courses de grands voiliers. En juillet prochain, on pour—ra l’admirer à Rouen, puis Saint-Malo d’où il prendra le départ de la Cue Sark 99.

Les trois-mâts carrés Serlandet et Christian Radich, évoqués plus haut, sont les dignes représentants de la ferveur qui anime les milieux maritimes norvégiens dans ce domaine. Là encore, la construction de ces deux navires est due à la générosité de mécènes. C’est une fondation créée à l’initiative de l’armateur Skjelbred pour la construction d’un grand voilier-école destiné aux futurs officiers de la marine marchande, qui commande le Serlandet aux chantiers Hoivolds Motor & Mek, de Kristiansand. Lancé en 1927, ce trois-mâts classique à dunette longue est totalement dépourvu de machine auxiliaire, comme l’exigeait la fondation. Il est de taille plus modeste que les grandes unités océaniques d’avant guerre puisque sa longueur ne dépasse pas 57 mètres. Son gréement, typique des navire-école de cette dimension, comporte des huniers doubles surmontés de perroquets et cacatois simples. Le Serlandet peut embarquer 90 cadets en plus de son équipage, composé de 12 hommes.

Chaque année, le trois-mâts appareille pour une croisière de cinq mois. 11 emprunte le Saint-Laurent pour visiter la région des Grands Lacs, et fait escale à Chicago en 1933. A la déclaration de guerre, il est remis aux autorités navales norvégiennes, qui l’utilisent comme centre de recrutement à Horten. Saisi par les Allemands, le Serlandet est ensuite conduit à Krikenes où il sera coulé accidentellement. L’occupant le renfloue puis le transforme en base de sous-mariniers à Kristiansand. Cette nouvelle fonction nécessite la dépose du gréement et l’adjonction d’un rouf conséquent, au détriment de l’esthétique du navire qui prend alors les allures d’un vulgaire ponton.

A la fin des hostilités, les premiers armateurs du Serlandet ne retrouvent plus qu’un ex-voilier à l’état d’épave. Mais il en faut davantage pour anéantir la volonté des marins scandinaves. En 1947, après d’importantes réparations et une refonte complète, le navire reprend du service à partir du port de Kristiansand.

Signe des temps, le Serlandet, qui jusque-là avait résisté à la motorisation, est doté d’un diesel auxiliaire de 240 chevaux au début des années 1960. Ô mânes de Skjelbred, qu’ont-ils fait de ton rêve ? Navire-école stationnaire durant l’hiver, le Serlandet reprend ses croisières de formation à la belle saison. En 1974, arrivé en fin de carrière, il est vendu à un armateur d’Oslo. Ce beau témoin de la flotte des voiliers-école de l’entre-deux-guerres sera entièrement restauré en 1980. Il poursuit son activité avec un équipage de 17 hommes et 70 cadets. En 1983, il entreprend un long périple qui le mène aux Bermudes et à Boston, puis il remonte le Saint-Laurent jusqu’à Québec et dans la région des Grands Lacs. Le Serlandet est sans doute le plus ancien trois-mâts-école à phares carrés encore en activité. Il embarque chaque été des stagiaires pour des croisières à partir de Kristiansand, son port d’attache.

Quant au Christian Radich, autre fleuron des grands voiliers-école norvégiens, il est lancé en 1937 par les chantiers Framnaes de Sandefjord pour le compte de la Christiania schoolship association basée, comme son nom l’indique, à Christiania — aujourd’hui Oslo. La construction de ce bâtiment de 62,50 mètres de long est due une fois de plus à la générosité d’un donateur. A sa mort, survenue en 1889, l’homme d’affaire norvégien Christian Radich lègue 50 000 couronnes à l’association afin qu’elle puisse acquérir un nouveau navire-école. Il faudra cependant attendre l’année 1916 et la disparition de l’épouse du mécène, pour que, conformément au testament de ce dernier, l’association puisse jouir du legs. Elle achète alors le Mersey, un trois-mâts carré de 1 814 tonneaux ayant appartenu à la White Star. Hélas, le premier conflit mondial met un terme au projet de le transformer en voilier-école. A la fin des hostilités, les données économiques ont changé et l’association revend le navire dont les dimensions semblent sans doute trop importantes. Elle devra attendre l’année 1935 pour faire mettre en chantier un nouveau voilier-école, baptisé du nom du fameux mécène.

© Harold A. Underhill/Brown, Son & Ferguson Ltd

Contrairement au Serlandet, le Christian Radich est doté dès sa construction d’un moteur auxiliaire pour l’assister dans ses manœuvres de port et lui permettre de poursuivre sa route dans les calmes. Il embarque 88 cadets, principalement destinés à la marine marchande. Tandis que le climat politique international se dégrade, le Christian Radich effectue un voyage aux Etats-Unis. A son retour en Europe, en 1940, il est saisi par les Allemands dans le port d’Horten. Lui aussi servira de base pour les équipages de sous-mains et on le retrouvera chaviré dans le port de Flensbourg à la fin de la guerre.

Travaux de voilerie à bord du Serlandet. © Erik C. Abranson
Le trois-mâts franc norvégien Christian Radich, filant au grand largue sous basses voiles, focs et voiles d’étai. Longueur de coque : 58,55 m ; largeur : 9,75 m ; tirant d’eau : 4,87 m. © Andy Campbell

Renfloué et remis en état par ses propriétaires, le Christian Radich reprend du service en 1947 et embarque des cadets pour des croisières de trois mois. A bord, la discipline reste de rigueur ; à cet égard, le discours du commandant aux nouveaux embarqués est sans équivoque : « Vous instruire afin que vous deveniez de bons marins est la première mission de cette croisière. Vous avez été sélectionnés dans ce but et nous comptons sur vous pour satisfaire à nos souhaits. Vous devez obéir aux ordres et faire votre devoir comme des hommes. Si nous sommes d’accord, vous trouverez en moi un bon gars. Si nous ne le sommes pas, ce sera tout à fait différent ! »

Une importante refonte, au début des années soixante, permet aujourd’hui au Christian Radich de poursuivre sa carrière et de participer à la plupart des rassemblements et des course-croisière réservés aux navires de sa classe. Avec le Serlandet, il s’alignera ainsi cette année au départ de la Cute Sark à Saint-Malo, où le pavillon norvégien sera dignement représenté.

© Harold A. Underhill/Brown, Son & Ferguson Ltd

A l’école danoise

Pays de grande tradition maritime, le Danemark demeure lui aussi particulièrement sensible à la formation des futurs équipages de ses navires. Tandis que le Georg Stage est sur le point d’être vendu à Alan Villiers, que le Gent – Stage H n’est pas encore sorti des chantiers, et malgré le drame qui endeuille le pays avec la perte, en 1928, du cinq-mâts barque Kobenhavn et de ses 60 hommes, dont 45 cadets, le gouvernement décide la mise en construction du trois-mâts carré Danmark. Dessiné par l’architecte Aage Larsen, ce navire de 64 mètres de longueur hors tout est lancé le 19 novembre 1932 à Nakskov sur l’île de Lolland. Ses doubles huniers surmontés d’un perroquet et d’un cacatois simples ne dérogent pas à la norme du trois-mâts-école à phares carrés de cette époque. Cependant, la présence de mâts de hune et d’un bout-dehors prolongeant le mât de beaupré, confère au gréement une esthétique très traditionnelle.

Le Danmark embarque 120 cadets et effectue de nombreuses croisières de formation et de représentation dans différents pays. A l’occasion de l’Exposition universelle de 1939, il rejoint New York accompagné du Christian Radich. Contrairement à ce dernier, il ne regagne pas l’Europe à l’ouverture des hostilités. Afin d’éviter la menace des sous-marins allemands, pour lesquels il constitue une proie facile, le Danmark poursuit sa croisière dans la mer Caraïbe. Il séjourne dans le port de Jacksonville, en Floride, tandis que les troupes du Reich envahissent la mère-patrie. Cette sagesse va permettre au voilier-école de prolonger son activité durant toutes les hostilités. Bon nombre de ses cadets rejoignent les forces alliées et, temps de guerre oblige, quelques-uns d’entre eux recevront un commandement avant même d’avoir atteint l’âge de 21 ans !

Knud L. Hansen, commandant du Dan-mark, remet son navire à la Coast Guard après l’attaque de Pearl Harbor ; un geste qui permettra de former près de 5 000 cadets américains pendant la durée du conflit. Parfaitement entretenu, le grand voilier est rendu à la fin de la guerre à son pays d’origine. Il subit une importante refonte en 1959 et, même s’il n’embarque plus que 80 cadets à la fois, ces derniers continuent, conformément aux anciens usages, de goûter aux joies du hamac suspendu dans l’entrepont. En 1964, après vingt-sept années de commandement, le capitaine Hansen prend sa retraite, mais sa personnalité restera à jamais indissociable de l’histoire du Danmark.

Représentant officiel de son pays lors des grandes manifestations internationales, ce superbe navire ne passe pas inaperçu lorsque, du haut de ses 41 mètres, sa mâture domine les quais des ports visités. En l’honneur des services rendus à la Marine américaine, il figurera en 1976 à la tête de la parade des grands voiliers lors de la célébration du bicentenaire des Etats-Unis. Toujours armé par le gouvernement danois, le Danmark stationne désormais à Frederikshavn, son port d’attache, d’où il effectue des sorties régulières.

Autre grand voilier-école danois, le Georg Stage H a son poste d’amarrage à Copenhague. Lancé en 1935 à Frederikshavn, ville portuaire du Kattegat, ce trois-mâts carré de 36 mètres de longueur est destiné à embarquer les cadets appartenant à la fondation du même nom. Si ses emménagements, plus modernes et plus fonctionnels, diffèrent de ceux de son prédécesseur, le Geotg Stage ii n’en conserve pas moins une belle silhouette avec son gréement traditionnel portant mâts de hune et de perroquet et son beaupré que prolonge un long bout-dehors. En avril de chaque année, il embarque 60 à 80 jeunes gens pour une croisière d’environ cinq mois. Les premières semaines sont employées à gréer et armer le navire, tâches dont s’acquittent les stagiaires eux-mêmes, sous la conduite de quelques instructeurs. Ainsi, chacun connaît-il le bâtiment dans son ensemble et s’est déjà familiarisé avec la complexité des différentes manœuvres courantes avant de prendre la mer.

La vie quotidienne du bord reste marquée par les traditions de la voile, comme en témoigne Erik Abranson, un spécialiste des grands voiliers qui a embarqué sur le Geolg Stage H en 1978 : « L’officier de quart vient réveiller la cinquantaine de cadets qui dorment, au coude à coude, dans les hamacs suspendus aux barrots de l’entrepont. « Branle-bas ! branle-bas !» Cinq minutes plus tard, les jeunes matelots s’alignent sur le pont, tenant leurs hamacs ficelés en boudin pour l’inspection. Ensuite, les cadets passent prendre chacun une cuvette d’eau sous le gaillard d’avant pour faire leurs ablutions matinales sur le pont, même s’il fait temps de chien. Puis pont lui-même est lavé à grande eau, à force de brosses, de fauberts et de briques de ponce pour la tache repeinture et de goudron, résultats des travaux d’entretien de la veille… » Cette préparation semble d’ailleurs indispensable lorsque l’on sait que ce sont les cadets qui, avec un encadrement d’une dizaine d’officiers-instructeurs, constituent l’équipage du navire.

Les croisières du Georg Stage ii le mènent dans les différents ports de la mer du Nord et jusqu’en Ecosse. Des jeunes filles stagiaires sont admises à bord depuis 1982, et l’on dit que lorsqu’il s’agit de grimper dans la mâture, elles ne sont pas les dernières arrivées dans les hunes ! Avec son gréement ancien et sa coque peinte en noir, le Geotg Stage ii, bien que figurant parmi les plus petits trois-mâts-école actuels, est sans doute l’un des plus beaux voiliers de ce type qu’il nous soit donné de voir encore en activité.

Du côté du Soleil Levant

La Marine japonaise n’a quant à elle rien perdu de son intérêt pour les grands voiliers-école. Après le désarmement du vieux Meiji Maru — remplacé par un quatre-mâts barque construit en 1904 et baptisé Tasei Maru —, puis de l’ (leo Maru, le gouvernement nippon fait mettre en chantier deux grandes unités livrables en 1930. Longs de 93,50 mètres, ces frères en construction sont réalisés par le chantiers Kawasaki de Kobe et gréés en quatre-mâts barque. Le Nippon Maru et le Kaiwo Maru possèdent de vastes emménagements qui leur permettent d’embarquer, outre les 76 hommes d’équipage, 120 cadets logés en cabines de huit couchettes. Cette forme d’hébergement est inhabituelle à une époque où l’on tend plutôt à privilégier l’emploi du hamac. La dunette se prolonge jusqu’en arrière du mât de misaine, et la présence du gaillard d’avant ne laisse qu’une surface de pont principal très réduite, appelée baignoire. Avec leurs deux moteurs diesel de 600 chevaux, le Nippon Maru et le Kaiwo Maru peuvent être considérés comme des navires mixtes. Le gréement comporte des mâts à pible et, gage d’une qualité « à l’ancienne », ce sont les établissements Ramage & Ferguson de Leith, qui se voient confier la réalisation des voiles et des manœuvres.

L’année de navigation, qui complète les trois années d’études des cadets japonais, comporte obligatoirement six mois à bord de l’un des deux voiliers-école. A partir du mois de mai, ceux-ci appareillent indépendamment pour mener leurs croisières dans le Pacifique. Ils font escale aux îles Hawaii et parfois dans les ports de la côte Ouest américaine. Le Nippon Maru est devenu musée à flot depuis 1984 à Yokohama ; le Kaiwo Maru sert depuis 1989 de voilier-école stationnaire à Tokyo. Deux nouveaux grands voiliers-école, baptisés Nippon Maru II (lancé en 1984) et Kaiwo Maru ii (lancé en 1989), ont pris la relève. Construits par les chantiers Sumitomo d’Uraga, ils sont grées en quatre-mâts barque et mesurent 110 mètres de longueur hors tout.

L’Allemagne ne désarme pas

Au cours des années 1930, l’engouement pour les voiliers-école se généralise dans la plupart des pays maritimes, et la Marine allemande, qui avait été dépossédée de ses navires après la Première Guerre mondiale, ne faillit pas à la règle. La paix revenue, elle fait l’acquisition du quatre-mâts barque Niobe pour former ses futurs officiers. Ce dernier s’avérant insuffisant, en 1927, le DSV passe commande aux chantiers Tecklenborg de Bremerhaven — qui avaient déjà construit en 1909 le Ptinzess Eitel Friedrich, futur Dar Pomoqa — d’un trois-mâts carré de 73,50 mètres. Ce grand navire, baptisé Schuhchiff Deutschland, est doté d’un équipement des plus modernes, avec radio, sondeur et lumière électrique. Si le gréement avec perroquets simples est choisi pour la plupart des grands voiliers-école modernes, le Schuirche Deutschland porte quant à lui doubles huniers et doubles perroquets. Cette disposition facilite la manœuvre lorsqu’il s’agit de réduire et de carguer les voiles hautes.

Le Schulschiff Deutschland effectue des croisières vers l’Amérique du Sud et les Antilles. Les stagiaires faisant partie intégrante de l’équipage, les officiers maintiennent une discipline particulièrement stricte, et toute germanique. Les jeunes gens qui mettent leur sac à bord sont réputés acquérir une solide formation. Ce bâtiment parvient à passer la guerre sans trop de dommages. Il effectue de courts voyages en mer Baltique, et hiverne selon les années à Stettin, Lübeck, Kiel, ou Bornholm. Le Schulsche Deutschland reprend son activité initiale à partir de 1952, après avoir quelque temps servi d’Auberge de jeunesse. Il est désormais amarré à Brême, où il appartient toujours à son premier armateur.

© Nigel Pert

Le gouvernement allemand, dont les flottes de guerre et de commerce sont en pleine expansion, n’en reste pas là : trois autres grands voiliers-école, presque identiques, vont être lancés par le fameux chantier Blohm & Voss de Hambourg, au cours des années 1930. Le Gorch Fock, financé en partie par une souscription nationale, est le premier de la série. Achevé en 1933, ce trois-mâts barque mesure 73,70 mètres de long et 12 mètres de large. Il est destiné à remplacer le Niobe. En effet, ce dernier a chaviré dans un grain blanc, le 26 juillet 1932, à proximité du bateau-feu de Fehmarn, en Baltique ; hormis le commandant, les 70 hommes -dont 50 cadets — qui se trouvaient à bord ont péri dans le naufrage. Conformément aux principes de l’époque, le Gorch Fock porte des huniers doubles, mais perroquets et cacatois sont simples. Les emménagements sont prévus pour embarquer 246 hommes dont 180 cadets !

Trois ans plus tard, c’est au tour du Horst Wessel de glisser sur les cales du chantier hambourgeois. Pour une largeur égale, le navire a 8 mètres de longueur de plus que son prédécesseur. Il se différencie principalement par le gréement de son mât d’artimon qui porte une brigantine divisée (à double corne). Après quelques croisières dans l’Atlantique, le Horst Wessel regagne les eaux de la Baltique à l’approche de la guerre. Enrôlé dans la Kriegsmarine en qualité de transport, il survit aux bombardements et on le retrouve à Bremerhaven à la fin du conflit.

Quant àl’Albett Leo Schlageter, troisième de la série, et d’une longueur identique au précédent, son lancement en 1937 ne lui donnera pas l’occasion de naviguer longtemps sous les couleurs de la Marine allemande.

Changements de pavillon

L’Histoire est un éternel recommencement, et la capitulation de l’Allemagne entraîne une nouvelle attribution de ses grands voiliers-école. Pour autant, le destin de ces trois navires sera de poursuivre leurs activités premières, mais sous des pavillons différents. Le Gorch Fock, coulé au large de Stralsund, en Baltique, durant les hostilités, est renfloué par la Maine russe en 1948. Rebaptisé Tovatitch II — le premier du nom était l’ex-Lauriston, un quatre-mâts construit à Belfast en 1892 —, ce navire-école va former quantité de cadets pour la marine marchande soviétique et participer à de nombreuses courses et rassemblements de grands voiliers. Attaché au port d’Odessa, il est toujours en service actif.

Le Horst Wessel renaît sous l’identité du fameux Eagle des garde-côtes américains, aisément identifiable à la large bande rouge peinte sur sa coque. Durant la guerre, ces derniers avaient apprécié l’utilité d’un grand voilier-école comme le Danmark, et son commandant Knud Hansen avait suggéré à la fin des hostilités que le Horst , Vesse’ constituerait un remplaçant de choix pour former les futurs officiers de l’us Navy. Ainsi fut fait et, après une sérieuse restauration qui n’altère en rien sa silhouette originelle, l’Eagle est incorporé dans la flotte de la Coast Guard. Cette seconde carrière se poursuit encore de nos jours. Le trois-mâts peut embarquer 180 cadets en plus des 46 membres d’équipage permanents dont dix pour cent de femmes.

Lorsque Alan Villiers s’interroge sur le bien-fondé du maintien d’un tel navire au sein de la flotte des garde-côtes, dotés par ailleurs des moyens les plus modernes (CM 117), le capitaine Carl Bowman répondra : « Ici nous pouvons sans cesse observer nos garçons et nous pouvons nous faire une idée assez exacte du bois dont ils sont faits. » Désormais, les équipages de la centaine d’unités de toutes sortes portant la flamme de l’American sail training association — qui œuvre dans le même sens que la STA — sont constitués d’une importante proportion de jeunes filles.

Initialement attribué à la marine américaine en même temps que le Horst Vessel, l’Albert Leo Schlageter est par la suite revendu au gouvernement du Brésil, qui le rebaptise Guanabara et l’utilise comme navire-école, avant de le mettre en vente. Désireuse de remplacer le Sagrès, premier du nom — ex Rickmer Rickmers, lui aussi de construction allemande et lancé en 1896 à Bremerhaven pour l’armemement du même nom (CM 81) –, la Marine portugaise achète le Guanabara au début des années 1960. C’est sous le nom de Sagrès II que le grand trois-mâts barque effectue des croisières stères de formation de trois ou quatre mois, qui le mènent vers l’Amérique du Sud. Reconnaisable aux croix portugaises q ornent chacune de ses voiles carrées, il est aujourd’hui l’un des fleurons de la flotte internationale des grands voiliers. Lorsqu’il n’est pas à la mer, il stationne à son quai d’amarrage sur le Tage, près du grand port de Lisbonne.

Espagnols et Belges

L’Espagne, nation au riche passé maritime, se devait de suivre l’exemple des autres pays pour la formation des cadres de sa Marine. En 1922, elle achète à un armateur italien le trois-mâts barque en acier Clara-Stella ex-Glenlee, un ancien navire marchand de 83 mètres, lancé à Glasgow en 1896. Transformé en voilier-école, ce bâtiment, rebaptisé Galatea, embarque les cadets espagnols pendant près de quarante ans, avant d’être laissé à quai à Séville en 1992. Un an plus tard, il quitte l’Espagne pour l’Ecosse ; le Clyde maritime trust de Glasgow le rapatrie dans son port d’origine. Le trois-mâts a aujourd’hui repris son nom de baptême et est en cours de restauration pour retrouver son état de neuvage et servir de musée à flot du long cours.

La Marine espagnole possède aussi, depuis 1927, un autre voilier-école prestigieux que l’on se doit d’évoquer, bien qu’il ne possède pas de phare carré complet : la goélette à quatre mâts à huniers Juan Sebastian de Elcano, de 88,10 mètres de long, construite à Cadix sur les plans du célèbre architecte naval anglais Charles E. Nicholson. Ce grand voilier possède un vrai gréement de goélette avec flèches, ce qui fait son charme. Les cornes ne sont pas à poste fixe et le guindant des voiles à corne comporte des cercles de mât ; les voiles carrées, à rideaux, peuvent être ramenées au centre des vergues et ferlées en chapeau sur le mât de misaine. Basé à San Fernando, ce navire représente l’Espagne dans toutes les courses et rassemblements de grands voiliers.

L’Espagne peut à juste titre s’enorgueillir de faire toujours naviguer la belle goélette à quatre mâts à huniers Juan Sebastian de Ekano, l’un des rares voiliers-école spécifiques qui ne portent pas de phare carré complet © DPPI

Comment ne pas évoquer aussi la Belgique, qui a tant marqué l’histoire des na-vires-école ? Ce pays arme des grands voiliers-école dès le début du siècle sous l’égide de l’Association maritime belge. Le premier, le Comte de Smet de Nayer, est lancé en 1904, mais disparaît corps et biens deux ans plus tard. L’association passe alors commande d’un second bâtiment, qui prend le même nom et le remplace jusque vers 1930. En 1908, elle fait également construire le quatre-mâts barque Avenir, splendide voilier armé jusqu’en 1932. Il fera lui aussi naufrage, en 1938. Seul subsiste aujourd’hui le Mercator, construit pour la Marine belge en 1932. Bien qu’il soit gréé en trois-mâts goélette, c’est un imposant navire de 68 mètres. Transformé en musée à flot en 1963, il a récemment subi une refonte qui lui permet d’effectuer quelques voyages. On peut actuellement le visiter à Ostende.

Un grand voilier pour la Roumanie

reste par rapport aux autres pays européens dotés pour la plupart d’au moins un grand voilier-école. A la fin des années 1930, la Marine roumaine dispose pour la formation de ses cadets d’un vieux brick datant de 1882 et baptisé Mircea. Une souscription publique permettra de passer commande aux chantiers Blohm & Voss d’un véritable grand voilier puisque construit sur les plans de la série des Gorch Fock. Le Mircea il est lancé par le chantier hambourgeois en septembre 1938. Gréé lui aussi en trois-mâts barque, avec brigantine divisée, il mesure 73,70 mètres de long pour un déplacement de 1 760 tonnes. Il est doté, comme tous les voiliers de l’époque, d’un moteur auxiliaire, en l’occurrence un diesel de 6 cylindres qui lui permet d’atteindre 9,5 nœuds dans les calmes.

Le Mircea H ressemble en tout point à ses frères en construction, y compris pour ce qui concerne ses peintures : coque blanche et superstructures crème. Après ses essais à la mer, le fier trois-mâts met le cap sur Constantza, son port d’attache, non sans avoir fait escale à Southampton où il fait sans doute des envieux dans les milieux maritimes d’une nation qui, curieusement, ne possède pas de grand voilier-école ! Le Mircea ii peut embarquer 223 hommes, dont 140 cadets et leur maistrance. Il effectue sa première croisière d’instruction en Méditerranée et doit lui aussi interrompre prématurément son programme en raison des événements. Le voilier reprend ses activités après la guerre et ne manque pas une occasion de faire flotter le pavillon roumain dans de nombreux ports étrangers. Maintenu en service actif, le illinea 11 est belle exemple de volonté de la part d’un pays économiquement modeste et, qui de surcroît, ne dispose que de quelques kilomètres de côtes sur la mer Noire.

L’école de la mer à l’italienne

L’Italie se devait de suivre l’exemple des autres nations européennes pour la formations des cadres de sa Marine .C’est à la fin des années un vaste programme destiné à concrétiser les projets de ce pays en matière de grands voiliers-école. Deux navires vont sortir des chantiers de Castellamare di Stabia, près de Naples. Ils sont gréés en trois-mâts carré et construits à partir des plans de Francesco Rotundi, visiblement très inspiré par les lignes des vaisseaux mixtes du milieu du XIXe siècle. Le Cristoforo Colombo est le premier lancé, en 1928 ; le second, baptisé du nom du célèbre explorateur florentin Amerigo Vespucci sort du chantier deux ans plus tard.

Les deux navires sillonnent la Méditerranée et l’Atlantique jusqu’à la guerre, au lendemain de laquelle le Cristoforo Colombo est attribué à la Russie, qui le transforme en navire charbonnier. Quant à l’Amerigo l’eucci, dès 1947, il reprend la mer avec ses 250 hommes d’équipage et ses 150 cadets. Long de 82 mètres, portant bout-dehors et clin-foc d’allure très « vieille marine », ce trois-mâts, souvent présent lors des manifestations maritimes internationales, est très connu du grand public. Par sa taille, son franc-bord élevé dû à ses trois ponts, ses superstructures impressionnantes, mais aussi ses immenses voiles en toile de chanvre, l’Amengo Vespucci ne laisse pas indifférent, même si les puristes sont loin de lui attribuer la palme de l’esthétique. La marche à la voile permet de familiariser les stagiaires avec la manœuvre d’un navire à phares carrés ; cependant, malgré ses 2 100 mètres carrés de toile, les qualités de vitesse de l’Amengo Vespucci, qui déplace 3 543 tonnes, ne sont pas à la hauteur des autres navires de sa catégorie. Son appareil propulsif est d’ailleurs constitué de deux puissants moteurs diesel couplés à deux moteurs électriques.

La saison de navigation débute en juin par une première « pré-croisière » méditerranéenne, destinée à préparer le navire et son nombreux équipage, ce dernier étant en partie composé d’appelés du contingent sans véritable expérience à la mer. Vient ensuite la croisière qui conduit le navire et ses 150 cadets de l’Académie navale vers les eaux de l’Atlantique, souvent jusqu’aux îles de la Jamaïque et de Cuba L’Amerigo Vespucci revient vers la fin septembre s’amarrer dans le grand port de La Spezia. « Sur les navires de combat ultra-modernes où la technologie règne en maîtresse, affirme son commandant, le marin ne peut pas vraiment acquér. l’indispensable sens de la mer. » A l’heure des porte-avion propulsion nucléaire, c’est la raison d’être des grands voiliers tel l’ Amerigo Vespucci.

Des voiliers sud-américains

Le Presidente Sarmiento désarmé, la Marine argentine, très attachée elle aussi à l’école de la voile, entendait le remplacer. Là encore, le contexte politique international va mettre ce projet en veilleuse, et ce n’est qu’à partir des années 1950 que l’Argentine pourra envisager une telle réalisation. Libertad, un terme très présent dans l’imaginaire sud-américain, sera le nom de ce trois-mâts carré flambant neuf, lancé le 30 juin 1956 par l’arsenal de Rio Santiago. Le gouvernement n’a pas lésiné sur les dimensions puisqu’il s’agit de l’un des plus imposants voiliers-école actuels, toutes matines confondues.

Le Libertad mesure en effet 1,75 mètres de long pour un déplacement de 3 025 tonnes. Une passerelle, à l’esthétique sans doute trop moderne pour un navire de ce type, s’inscrit entre le grand mât et le mât de misaine. Sans elle, le voilier construit à flush deck évoquerait davantage encore les grandes unités à phares carrés du temps de la voile de travail.

Si ses deux moteurs diesel de 1 200 chevaux lui confèrent une vitesse de 12 nœuds, c’est essentiellement à la voile que le Libertad effectue ses croisières de formation. Pas moins de 520 hommes peuvent prendre place à bord, un chiffre énorme qui reflète bien l’importance accordée par ses promoteurs à la mise en service d’un tel bâtiment. Parmi cet équipage, 150 aspirants-officiers s’embarquent, après quatre années d’École navale, pour un tour du monde dont l’aboutissement sera leur examen de fin d’études. Aussi, travail et discipline rythment-ils la vie des cadets à bord du Libertad. Malgré sa forte motorisation, ce navire reste avant tout un fin voilier, comme le confirment ses excellentes qualités de marche. En 1966, il réussira notamment à soutenir une vitesse moyenne de 18 nœuds lors d’une traversée de l’Atlantique entre le Canada et l’Irlande. Le Libertad compte parmi les bâtiments les plus admirés de la flotte mondiale des grands voiliers.

© R. Le Gall

Premier d’une série de quatre grands voiliers-école construits à Bilbao, en Espagne, le trois-mâts barque colombien Gloria est lancé en 1968. Il mesure 64,60 mètres de long et porte 1 300 mètres carrés de toile. Une timonerie démesurée dénature sa silhouette, tout comme celle du Guayas, second de la série et construit en 1977 pour la Marine équatorienne. Il faudra attendre 1980 et le lancement du vénézuélien Simon Bolivar, long de 82,60 mètres hors tout, pour voir disparaître cette superstructure peu marine. Quant au Cuauhtémoc, dernier de la série et le plus grand de tous avec ses 90,50 mètres de longueur hors tout, il est construit en 1982 pour la Marine mexicaine. Capable de porter 2 200 mètres carrés de toile, ce navire a traversé l’Atlantique en 17 jour frôlant les 18 nœuds et les 60 degrés de gîte ! De quoi aguerrir les 78 élèves officer embarqués à son bord !

Gorch Fork II, ou la ténacité allemande

Principal pays précurseur des grands voiliers-école du XXe siècle, l’Allemagne a favorisé, bien malgré elle, ce principe de formation chez d’autres nations dans la mesure où, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ,es voiliers ont tous changé de pavillon.

Plusieurs années seront nécessaires avant que la flotte allemande ne se remette au niveau de celles de ses voisins européens. L’ère des grands voiliers étant alors révolue, d’aucuns s’étonnent qu’une marine en pleine reconstruction, prompte à s’adapter aux technologies e pointe, recourse encore à un navire à voiles pour la formation de ses cadres. D’autant plus qu’en 1957, la marine marchande allemande est endeuillée par la perte du quatre-mâts barque Pamir. Ce grand témoin du passé, appartenant à un consortium d’armateurs, chavire au large des Açores lors d’un voyage retour d’Argentine avec un chargement de grain. Parmi les 86 disparus on dénombre 52 cadets sur les 54 embarqués.

Pourtant, le 23 août de l’année suivante, les chantiers Blohm & Voss lancent le Gorch Fock II pour le compte de la Bundesmarine. Long de 81,20 mètres, ce trois-mâts barque est une quasi-réplique de ses prédécesseurs, avec des améliorations au niveau de la stabilité et des cloisonnements étanches. Le gréement reste conforme aux principes des années 1930, avec huniers doubles, perroquets et cacatois simples, ainsi qu’une brigantine divisée. Le Gorch Fock IL em-,1 barque 69 hommes d’équipage et 200 cadets logés dans l’entrepont. Navire élégant et marin, fruit de la longue expérience du chantier hambourgeois, il est le digne représentant de la Marine allemande lors des grands rassemblements maritimes. En outre, ses qualités de marche ne sont plus à démontrer si l’on se réfère aux nombreuses courses de grands voiliers qu’il a remportées dans sa catégorie.

L’aventure des grands voiliers-école n’est vraisemblablement pas à la veille de s’achever. Si bon nombre d’entre eux, atteints par la limite d’âge, ne sont plus en service actif, d’autres les ont remplacés. Les anciens pays de l’Est sont un parfait exemple de cette continuité puisque pas moins de six grands voiliers-école y ont été lancés au cours des années 1980. Tous construits par les chantiers de Gdansk, en Pologne, ils sont gréés en trois-mâts carré et mesurent près de 110 mètres de longueur hors tout. Dar Mlodziezy, achevé en 1982 pour la marine marchande polonaise est le premier de la série. Mir, Pallada et Nadeshda suivront entre 1986 et 1992 ; ils naviguent aujourd’hui sous pavillon russe, tandis que le Dreqhba et le Khersones, tous deux lancés en 1987, battent pavillon ukrainien. Quel plus beau moyen qu’un grand voilier-école pour une ouverture de la jeunesse sur lé monde ?

La Cutty Sark à Saint-Malo

Depuis sa création en 1956, la France n’a que très rarement accueilli la prestigieuse Cutty Sark. Aussi l’escale de cette course à Saint-Malo, du 20 au 23 juillet, se doit-elle d’être dignement fêtée. Cette épreuve internationale réservée aux voiliers-école, reconduite chaque été aux mois de juillet et août, a permis, en près d’un demi-siècle, à plus de cent mille jeunes de s’initier à la manœuvre des grands voiliers. La manifestation est organisée par la Sail training association (sTA)*, actuellement présidée par le fameux navigateur Robin Knox-Johnston. Cette association est présente aujourd’hui dans dix-huit pays, dont le Japon, les Etats-Unis et la quasi-totalité des nations maritimes européennes.

La Cutty Sark rassemble, selon les années, de quatre-vingts à cent vingt voiliers de tous types -pourvu qu’ils aient au moins 30 pieds (9,14 m) de longueur à la flottaison —, la navigation devant se faire uniquement à la voile durant les épreuves. Le programme comprend une première course, suivie d’une navigation en flottille, puis une seconde course, les voiliers participant à une seule ou aux deux compétitions. La navigation intermédiaire en flottille est tout aussi importante que les régates proprement dites. La Cutty Sark est en effet conçue par la STA pour « donner l’occasion à des gens de toutes nationalités et de tous les milieux de travailler et de vivre ensemble une rencontre amicale, en mer et au port ».

Chaque équipage doit être composé pour moitié de jeunes ayant entre 16 et 25 ans. Aucune expérience préalable n’est demandée à ces apprentis marins. Certains voiliers gérés directement par la STA — tels le Sir Winston Churchill et le Malcolm Miller, qui seront d’ailleurs remplacés en 2000 par deux bricks flambant neufs — accueillent même des handicapés. Afin de renforcer l’amitié entre les marins, les jeunes sont invités à profiter des escales pour changer de navire et se donner ainsi l’occasion de découvrir une autre culture.

Depuis 1972, la course est sponsorisée par la marque de whisky Cutty Sark. Outre les prix récompensant les navires les mieux placés de chaque catégorie, la firme offre depuis 1974 un « trophée Cutty Sark » (un modèle en argent du célèbre clipper anglais), attribué au voilier ayant le mieux contribué « à l’amitié et à la compréhension internationale » durant la manifestation. Le lauréat est désigné par l’ensemble des capitaines des navires en compétition. Or il est de tradition que ceux-ci aient au préalable consulté leurs équipages respectifs ; c’est donc l’ensemble des marins participant à l’événement qui sont impliqués dans l’attribution de ce prix ! En 1974, le premier trophée est revenu au Kru-r enshtem ; depuis lors, une vingtaine d’autres navires ont eu cet honneur, mais seuls l’ Urania (Pays-Bas) et le Gladan (Suède) ont été primés à plusieurs reprises.

© Erwan Quéméré

Comme pour les Jeux olympiques, une véritable compétition s’est instaurée entre les ports européens pour avoir l’honneur d’accueillir un jour la Cule Sark, qui attire à chacune de ses escales des centaines de milliers de spectateurs. Pas moins de trente-quatre ports sont en lice pour les toutes prochaines années ! L’édition 2000 se déroulera en mer Baltique, parallèlement à une croisière organisée par la STA entre avril et août, qui mènera la flotte jusqu’en Amérique du Nord et s’achèvera en apothéose à Sail Amsterdam 2000. L’année suivante, la Culte Sark croisera en mer du Nord. Et en 2002, elle reviendra en France avec une escale à Brest.

Mais revenons à l’édition de cet été. Partie de Saint-Malo, la flotte sera en course jusqu’à Greenock, en Ecosse (escale du 30 juillet au 2 août), puis elle ralliera Lerwick, aux Shetland (escale du 9 au 12 août). La seconde course se terminera à Aalborg (Danemark) le 18 août, et la manifestation s’achèvera dans ce port le 21.

Plusieurs des grands voiliers-école cités dans cet article participent à la Cutty Sark 99, et on pourra les admirer à Saint-Malo : Gloria, Amerigo Vespucci, Cuauhtémoc, Serlandet, Statsraad Lehrnkul, Christian Radich, Dar Mlodziee, Sagrès, Mir, Khersones.

Tous ces navires auront également participé auparavant à l’Armada du siècle réunie à Rouen, l’autre grande manifestation de l’été mettant les grands voiliers à l’honneur. Du 9 au 18 juillet, la cité normande accueille en effet pour la troisième fois une impressionnante flotte de « traits carrés », comprenant, outre les voiliers déjà nommés, d’autres trois-mâts mentionnés dans cet article, comme le Guayas et le Simon Bolivar, mais aussi le Belem, le Kaskelot et bien d’autres. Alors, si vous voulez visiter des grands voiliers-école, les regarder à quai, ou participer à l’instant magique de leur appareillage vers le large — c’est le moment le plus maritime de ces immenses rassemblements —, rendez-vous à Rouen et Saint-Malo !

Marité, le dernier terre-neuvier fécampois

En 1978, on pensait que tous nos anciens voiliers morutiers en bois avaient disparu. Pourtant, cette année-là, un capitaine allemand passait une annonce dans la presse fécampoise, annonçant qu’il avait retrouvé au Danemark la coque d’un vieux trois-mâts goélette originaire du port haut-normand, le Matité, et qu’il désirait avoir le maximum de renseignements sur ce navire afin de le restaurer. Cette annonce vaudra à son auteur un article d’une demi-page dans le quotidien local, et puis plus rien. Une quinzaine d’années plus tard, le Matité fait escale à Fécamp, mais il bat pavillon suédois. En outre, il ne ressemble plus que de loin à l’ancien trois-mâts goélette morutier : sa restauration, très soignée, n’a pas été conçue dans un esprit historique et patrimonial, mais pour adapter le voilier à des croisières luxueuses.

Aujourd’hui, Matité est en passe de battre à nouveau pavillon français ! Ce trois-mâts goélette est non seulement l’un des deux seuls rescapés — avec le Palinuro, l’ex-malouin Commandant Louis Richard — de notre importante flotte terre-neuvier, mais aussi l’unique navire français en bois à phare carré témoignant de l’époque de la voile au travail. Autre originalité : sa coque possède par ailleurs toutes les caractéristiques d’un dundée harenguier fécampois ! Raison de plus pour espérer qu’un jour le Matité sera remis dans son état de neuvage. Ainsi serait sauvegardée l’une des pièces majeures du patrimoine maritime français.

C’est en 1921, dans le cadre d’un programme gouvernemental de reconstruction de la flotte de pêche décimée par la Première Guerre mondiale, qu’est mis sur cale le dundée H2, aux Chantiers maritimes de Paimpol & Fécamp. La coque, qui mesure 34,50 mètres de long pour 8,06 mètres de large et 3,30 mètres de creux, est achetée sur chantier par l’armement fécampois Charles Le Borgne, afin d’être transformée en trois-mâts goélette. Elle est lancée le 3 août 1922, mais le navire reste près d’un an à quai, le temps que soient effectuées les modifications nécessaires à son armement pour la pêche à Terre-Neuve. Matité est baptisé en juin 1923. Après une première campagne au cabotage — la saison étant trop avancée pour partir à Terre-Neuve — il entame une série de campagnes morutières : 1924, 1925, 1926, 1928 et 1929.

En décembre 1929, Matité est vendu à l’armement Maersk, dans l’archipel danois des Féroé. Armé à la pêche puis au cabotage jusqu’en 1975, son gréement ne cesse de diminuer au fil des changements de propriétaires, pour finalement disparaître. En 1979, cinq jeunes Suédois, devinant son passé à la pêche, ont le coup de foudre pour cette coque abandonnée aux Féroé et décident de la restaurer. Le chantiers durera huit ans. Sous le nom de BU Matité af Pripps (sponsor oblige, Pripps étant un brasseur de bière), le voilier entame une nouvelle carrière au charter, sous pavillon suédois.

En 1999, Matité est à vendre. Sous l’impulsion de Jacques Chauveau, la Fondation du patrimoine maritime et fluvial* sert de courtier bénévole et met en place une commission pour faire racheter le voilier. Une équipe se rend en Suède en avril 1999 pour y constater l’état — satisfaisant — du navire, et discuter avec ses propriétaires. Le dossier est ensuite transmis à plusieurs grands ports de la Manche, qui se sont tous montrés intéressés. Mais il est à souhaiter que les Fécampois auront à cœur d’attirer à eux ce grand témoin de leur histoire ! En attendant, le Matité sera l’invité d’honneur des fêtes de la mer de Dunkerque (let et 2 juillet), Fécamp (4 et 5), Saint-Malo (7 et 8) et Le Havre (13 et 14).

Reverra-t-on le Matité — dont l’histoire sera racontée en détail dans un tout prochain numéro du Chasse-Marée — embouquer les jetées de Fécamp le 1 er janvier 2000, soixante-dix ans jour pour jour après avoir quitté le port normand, avec en tête de mât le pavillon tricolore ? Tous les espoirs sont permis !

Pascal Servain

Après soixante ans de navigation sous pavillon scandinave, Marité , l’un des derniers acteurs encore à flot de la grande aventure morutière française, devrait bientôt retrouver Fécamp, son ancien port d’attache. © coll Fondation du patrimoine maritime et fluvial

*Ainsi, les anciens navires marchands transformés en voiliers-éco-le, tels les quatre-mâts barque estonien et russe Kruenshtern et ledit, ou encore le trois-mâts barque français Beiem, ne rentrent-ils pas dans le cadre de cette étude. La vie à bord et la manoeuvre des grands voiliers en général feront prochainement l’objet d’autres articles dans Le Chasse-Maréé. Sources : Thad Koza, Tall Ships, Tide-mark press, East Harford, 1996. Keith Wilbur, Tall Ships of the World, The Globe Pequot Press. Schâuffelen, Die leten grossen Segelsche, Delius Klasing, 1997. Harold Underhill : Sait Training and Cadet Ships. Bulletin trimestriel / Grands Voiliers les, Association française des amis des grands voiliers, 2 rue George Sand, 94210 La Varenne-Saint-Hilaire.

*Sail Training Association France : Philippe Rousseau, Fran-ce-Voiles-Equipage, 8, rue Jean Delalande, 35400 Saint-Malo. http : www.cuttysark-tall-ship.com

* Fondation du patrimoine maritime et fluvial, 3, square Desaix, 75015 Paris. Tél. 01 44 49 85 92 ; fax 01 44 49 85 90.