Par Alain Brulé, Bernard Cadoret, Claude Maho Avec la collaboration de Michèle Coat, Pierre-Yves Dagault, Jacques Guillet, Henry Kérisit et Fabienne Modo – Avec le sinago de la presqu’île de Séné, le forban du Bono est le bateau de pêche le plus caractéristique du golfe du Morbihan. Voici quelques extraits d’un chapitre du tome IV d’Ar Vag présentant la pêche et la vie à bord de ces bateaux. Un second article sera consacré à leur histoire et à leur architecture.

La vocation maritime du Bono n’est pas le fruit du hasard, mais tient à la topographie des lieux. Niché à l’intérieur d’un bras de la rivière d’Auray, au Nord-Ouest du golfe du Morbihan, ce havre naturel, abrité de la plupart des vents, a été aménagé très tôt par ses utilisateurs. Au XVIIIe siècle, une vingtaine de chaloupes, déjà connues sous le nom de forbans, pratiquent principalement la pêche des espèces saisonnières au filet dérivant, et la ligne traînante à l’extérieur du golfe. A la fin des années 1870, les pêcheurs du Bono, champions de la stokenn, se reconvertissent à la diague (chalut à la perche). Pratiquée toute l’année des coureaux de Belle-Île à l’embouchure de la Loire, cette pêche bénéficie d’importants débouchés grâce à l’ouverture de criées reliées au réseau ferré, et au développement du tourisme autour de La Baule.

Les chantiers locaux, Le Blévec au Bono et Kergosien à Auray, ne pouvant plus faire face au développement de la flottille à la fin des années 1870, c’est désormais à Concarneau que les marins du Bono font construire leurs chaloupes, qui ne se distinguent des sardiniers que par leur gréement. En 1906, le port du Bono, avec quatre-vingt-dix bateaux, atteint son apogée. Après 1910, la construction des forbans sera à nouveau assurée sur place par le chantier Querrien, qui, à partir de 1920, passera progressivement au sloup ponté. Ce sont les chaloupes creuses, construites de 1880 à 1918, et gréées d’un taillevent, d’une misaine et d’un foc, qui font l’objet de ces deux articles.

La navigation et la vie en mer à bord d’un dragueur creux

Au demeurant fort simple à l’époque où la voile constitue encore le moteur principal de la majorité des bateaux de travail, la manœuvre d’un forban présente tout de même quelques spécificités dues à un gréement moins mobile qui le distinguent au sein de la grande famille des chaloupes gréées au tiers de Bretagne atlantique.

Réduit à trois hommes et au mousse, l’équipage se partage les tâches sans qu’il soit vraiment question de hiérarchie. Maître à bord, le patron officie dans le senteuin, entre chambre et banc de pompe. Chacun connaissant son travail, c’est surtout dans les situations délicates et les manœuvres de port qu’il tient la barre. Une barre qu’en d’autres temps il confie volontiers à un matelot ou même au mousse. Ce dernier a souvent son poste entre chambre et banc de pompe, de même que l’homme de quart : en drague, ce dernier guette la moindre vibration du train de pêche en gardant la main sur l’attrape — un bout qui fait dormant dans le bateau, passe autour de la fune et revient à bord, permettant de régler l’angle de dérive.

Marin confirmé jouissant de la confiance du patron avec lequel il navigue parfois depuis plusieurs années, le « matelot adran » (de l’arrière), posté près du grand bau, s’occupe de la drisse et de l’amure de taillevent, et donne parfois la main pour border la misaine. Il est généralement plus âgé que son collègue « de l’avant », le « brigadier » comme on dit dans la Marine, responsable du foc et de la drisse de misaine, de l’accostage, de l’amarrage et du mouillage du bateau. « Chacun son poste, rapporte Mathurin Lainé, nous, le treust bien, on ne devait pas le dépasser, c’était le poste réservé du brigadier. » Sans rôle précis dans le domaine de la navigation – si ce n’est l’usage de la sonde qui lui est parfois confiée des heures entières -, le mousse participe tout de même à la manœuvre, apprend à régler les voiles, à amarrer ou à mouiller le bateau.

On appareille généralement à l’aide des avirons de 18 pieds (er ruatidir), qui permettent aussi, dans le golfe, de bien se positionner dans les veines de courant; en mer, ils sont rangés à bâbord. Au Bono, le coffre de la Marine nationale mouillé au milieu de la rivière est mis à profit pour attendre l’heure du départ ou de l’entrée au port sans se soucier de la marée. Au Pouliguen et au Croisic, on utilise le chemin de halage et l’estacade pour refouler le courant dans le chenal.

Contrairement aux chaloupes sardinières, les forbans ne gambeyent que rarement. Grâce à la barre d’écoute (er varein chkou), il n’est pas nécessaire de lever la barre au-dessus de l’écoute de taillevent au virement de bord. Compte tenu du poids des vergues et des voiles, l’opération serait trop longue pour un équipage aussi réduit, notamment par temps frais. Tant pis si la grande voile porte sur le mât et si l’extrémité de la vergue de misaine se coince parfois dans l’étai. Dans ce cas, on l’aide à passer en tirant sur la chute, ou au contraire en l’apiquant si elle s’accroche à la passeresse du taillevent. Pour éviter ces inconvénients, on bride fortement l’étai pour cintrer le grand mât, laissant ainsi le passage à la vergue entre le haut du mât et l’étai. « En rivière, quand on avait besoin de virer souvent, les vergues restaient en place. Mais quand on avait une longue route à faire, on changeait la misaine ; le taillevent, c’était très rare ! »

L’une des rares photos de forban sous voiles. Le Saint-Pierre et Saint-Paul à Pierre Le Corvec, qui louvoie dans le chenal du Pouliguen, termine son virement de bord. L’homme d’avant aide la misaine à se déployer sur le nouveau bord, tandis que le matelot d’arrière et le patron se préparent à embraquer l’écoute. C’est le mousse qui a crânement conduit ce virement de bord au ras de la côte; l’écoute de taillevent, bordée pas trop plat, est restée tournée. Remarquer le hauban bâbord et l’étai fixes, et surtout la position du bout de la vergue de misaine, qui peut passer dans le triangle étai-tête de mât, une caractéristique propre au forban, rendue possible par un bridage énergique du grand mât sur l’avant, qui cintre l’espar et évite ainsi de gambeyer. © coll Ar Vag

Les rares photos de forbans sous voiles montrent que l’on hissait la misaine sur bâbord de son mât, et le taillevent sur tribord, afin que sur chaque bord l’une des deux voiles au moins porte parfaitement. Voile de beau temps, le foc n’est pas utilisé pour louvoyer en rivière, où le bout-dehors peut se révéler gênant. En drague, en revanche, il permet de régler au mieux la position du centre de tire de la voilure. Ainsi gréé, le forban est un bon marcheur. Ses entrées d’eau fines, ses lignes tendues, son plan de dérive efficace et le fort allongement de ses voiles lui permettent de remonter très correctement au vent, sans avoir recours à la perche de misaine utilisée sur les chaloupes sardinières. Au portant — l’allure de chalutage —, il « a du coup » et déploie toute sa puissance. Vent arrière, par petit temps, un aviron ou une perche de châtaignier sert parfois à maintenir la misaine adrez (en ciseaux). Lors d’un virement lof pour lof, on ramasse sur elle-même la toile du taillevent pour l’étouffer. Ce n’est que par forte brise qu’on peut filer un peu de drisse pour faciliter la manœuvre.

Dès que la brise fraîchit, le « brigadier » rentre le foc, puis le bout-dehors — « On ne le laissait pas piquer dedans ! » — avec l’aide du matelot du milieu, avant de réduire les voiles majeures. « Si le vent forçait encore, on pouvait prendre jusqu’à deux ou trois ris dans la misaine et trois ou quatre ris derrière. Dès que c’était pris devant et derrière, raconte Mathurin Lainé, le patron remettait du vent dedans, et on se retrouvait le ventre sur la fargue au ras de l’eau pour finir de nouer les garcettes. C’étaient des durs, ces vieux-là! Avec des ris, le bateau, bien lesté, était équilibré, ça marchait bien. Mais dans les fortes brises, on veillait à l’écoute, prêts à la filer en cas de grosse risée. »

Si le temps reste maniable, le forban, qui tient bien la toile, poursuit sa pêche. S’il se fait surprendre par un coup de vent, chose assez rare, due parfois à l’imprudence puisque les sorties sont toujours de courte durée, il ne prend jamais la cape, mais tâche de rallier au plus vite le port le plus proche, voiles au bas ris, ou en fuite sous misaine seule. « On risquait plus d’attraper un paquet alors, le bateau n’était pas si bien défendu de l’arrière, remarque Mathurin Lainé. Par grosse mer de l’arrière, on essayait de présenter l’arrière bien carré à la lame. »

Les rares naufrages surviennent sur les barres, dans la brume ou par abordage

Bien que la pêche ait toujours été une profession à risques, il faut relativiser l’importance des naufrages au temps de la voile pour ce qui concerne le port du Bono. En effet, de 1867 à 1919, les registres de l’Inscription maritime font état de trente-deux fortunes mer ayant entraîné une trentaine de décès. Si l’on y ajoute les marins perdus en mer dont le décès est mentionné dans les registres de l’état civil de Plougoumelen, une quarantaine de pêcheurs du port auraient été victimes de leur métier en cinquante-deux ans. Ces pertes, certes trop lourdes dans l’absolu, restent cependant modestes comparées à celles que subissent à la même époque les pêcheurs bigoudens, audiernais ou douarnenistes (cf. Ar Vagi), sans parler des caboteurs et des long-courriers.

Les forbans, qui désarment au cœur de l’hiver pendant les deux « mois noirs », ne font que des marées de vingt-quatre heures et fréquentent des zones de pêche relativement abritées, proches d’un littoral accueillant. Par ailleurs, les gars du Bono, dont les bateaux sont pourtant comparables aux chaloupes sardinières de Cornouaille, ne s’aventurent pas ou peu en mer par gros temps. Manque de goût pour le risque, ou relative aisance ne nécessitant pas de jouer inutilement les trompe-la-mort? « Quand on mettait à bas ris, se souvient Paul Le Govic, c’est qu’il fallait rentrer. Par mauvais temps, on restait au port, on mangeait des berniques en ragoût, et on jouait à l’aluette dans les bistrots. »

On peut, à la lueur des documents officiels et de quelques témoignages, tenter d’évoquer ces drames de la mer. Les échouages sont les plus fréquents; plusieurs chaloupes talonnent à l’entrée du port, viennent en travers à la lame, embarquent et finissent par chavirer. « Le 12 février 1914, le Saint-Mathurin (A1918) qui draguait des huîtres sur le banc de Saint-Pierre, fuyant devant la tempête pour se mettre à l’abri à La Trinité, chavire devant la pointe de Kerbihan. Le patron Mathurin Mahéo et le matelot Joseph Sélo disparaissent. Moïse Le Lan, matelot (qui s’était amarré au grand mât) et Jean-Mathurin Henrio, mousse, sont recueillis par des chaloupes du Bono, qui viennent également se mettre à l’abri. » Comme d’autres marins du Bono, Mathurin Lainé, alors mousse à bord du Reine et Albert (A 764), assiste impuissant au naufrage. « On était à cinquante mètres, sous misaine. On ne pouvait pas virer de bord, il y avait trop de vent. Ils ont chaviré en empannant. »

La brume est également responsable de plusieurs fortunes de mer. Ainsi en est-il du Saint-Mathurin (A 1916). « C’était le 12 décembre 1919, sur les Buissons de Méaban. Il y avait deux oncles avec moi, raconte Paul Le Govic, Mathurin Le Govic — le patron — et Bastien Jégo. Oh ! tiens ! qu’il dit, on va tuer le cochon et on va désarmer pour passer l’hiver. On avait plein de poisson. En cherchant Port-Navalo, on va sur les Buissons. Une brume, malheureux ! Le bateau n’a pas fait un pli. Je les ai vus tous se noyer. Moi, j’étais monté au mât, mais je ne pouvais pas tenir. A la fin, je lâche, mais la plate flottait, à moitié pleine d’eau. Comme j’étais léger, j’ai réussi à embarquer par l’arrière et mon cou est resté en dehors de l’eau. C’est un autre forban qui m’a sauvé au lever du jour, le Fleur d’été (A 2002). Mon oncle et mon parrain étaient à bord. Oh, j’ai été au moins huit jours sans connaissance avant qu’on ait pu faire le rapport. »

Foc, misaine recouvrante, taillevent: le forban, ici Reine et Albert, est un bateau rapide et puissant, bien adapté au métier de la drague. Les positions respectives des voiles par rapport aux mâts et à l’étai sont ici bien en évidence. Le palan du mât de taillevent, servant à hisser le cul du chalut à bord, apparaît vers 1907. © coll Ar Vag

Pour les forbans pêchant à l’entrée de la Loire ou dans les coureaux de Belle-Île, l’abordage de nuit constitue un risque majeur, du fait des nombreux vapeurs naviguant à l’ouvert de l’estuaire. Les rapports se succèdent: « Abordé et coulé dans les coureaux de Belle-Île. Equipage sauvé. » « Abordé et coulé par le chalutier à vapeur Naalso dans la nuit du 18 juin 1903 à mi-distance entre Hoêdic et Le Palais, un survivant. » « Coulé par un vapeur à deux milles du clocher du Croisic. » Il faut bien admettre que personne n’utilise son fanal avant d’avoir aperçu un navire, et qu’il n’est pas toujours facile de repérer une chaloupe de la passerelle d’un cargo. « Pour seul éclairage, on avait un fanal à bougie qu’on ne pouvait pas allumer les trois quarts du temps. Quand un forban voyait venir un cargo, il essayait de montrer sa lanterne », se souvient Joseph Le Douaran. « Personne n’utilisait son fanal, raconte encore Pierre Evo. Avec Jean-Marie Le Mouroux, il n’y avait même pas de corne ! »

© coll Ar Vag

Fort heureusement, les pertes totales sont rares. Il s’agit le plus souvent de bateaux capelés de l’arrière par une lame sourde, aussi dangereuse qu’imprévisible, surtout lorsque le voilier est retenu de trois quarts arrière par sa drague. N’oublions pas que les forbans restent des chaloupes creuses, dont les fargues rehaussant le franc-bord protègent de la plupart des déferlantes, mais ne remplacent pas un pontage. Même si les chutes à la mer sont beau- coup plus rares à bord d’un bateau creux que sur un bateau ponté, il peut arriver que, par imprudence, un mousse monte sur la chambre pour sonder plus facilement, et perde l’équilibre. Fabien Le Mouroux, quatorze ans, mousse sur la chaloupe Louis Pasteur (A 2004), est ainsi « englouti » le 15 juillet 1913 vers l’île d’Yeu. Cette pratique a laissé de mauvais souvenirs à plusieurs anciens mousses, dont certains ont eu, à leurs débuts, les mains blessées au terme d’heures de sondage répété.

Le forban France et Russie, à Mathurin Le Pointer, construit en 1907 à Concarneau, vient de rentrer de mer par mauvais temps. Le taillevent est au bas ris et on a tout juste arrêté de pomper. © coll Ar Vag

Lorsque, par chance, seul le bateau est perdu, il ne reste plus au patron que ses yeux pour pleurer, à une époque où l’assurance n’existe pas. C’est ce qui incite Henry Le Blévec — ex-constructeur du Bono —, sur les conseils de son gendre Louis Guyot, à fonder en 1912 une caisse mutuelle d’assurance couvrant les avaries et les pertes de bateaux. La majorité des patrons y adhère. Malheureusement, suite à plusieurs naufrages consécutifs, celle-ci fait faillite en 1925.

Pour résister au froid les marins doivent enfiler plusieurs épaisseurs de vêtements

Ce n’est malheureusement qu’à l’occasion de tels naufrages et des rapports consécutifs à la disparition des équipages, ici celui du forban Les Sept Frères — perdu le 24 avril 1908 en tentant de rentrer au Croisic —, que l’on peut découvrir avec précision la manière dont les marins s’habillent à bord. Après le naufrage, le corps de Philibert Le Corvec, le patron, est retrouvé à la côte.

Il porte « une vareuse en toile grise, un gilet bleu marine avec manches en coton noir, une vareuse [chandail] de laine tricotée, une chemise de couleur à carreaux, une ceinture en coton bleu, un pantalon de toile grise, un pantalon ciré jaune, un pantalon de coton bleu, des chaussons en drap, des bas de laine à grosses côtes. Dans la poche du gilet, il a été trouvé un couteau à manche noir et une montre en argent portant la marque Yver-Auray et le numéro 52981. A l’intérieur du boîtier, le nom de Le Corvec est gravé. » Le corps de Joseph Le Thiec, novice, est, quant à lui, revêtu « d’une vareuse en toile grise, d’une vareuse [chandail] en laine tricotée, d’une flanelle grise, d’une chemise de couleur à carreaux, d’un pantalon en toile grise, d’un pantalon en toile bleue à l’état de neuf, d’un pantalon ciré jaune, de sabots-bottes en bois blanc également à l’état de neuf. »

Les matelots du Bono portent des sabots-bottes, dont la toile, traitée à l’huile de lin, monte jusqu’à mi-mollet. On y enfile des chaussons en feutre ou des chaussettes en tricot dont le dessous peut être renforcé par une pièce de toile. Les cirés — vareuse et pantalon — sont en forte toile passée trois fois à l’huile de lin. En toute circonstance, les pêcheurs portent le grand béret, du modèle habituel en Bretagne atlantique. Pour dormir, ils se drapent dans un grand kapo vraz en forte toile à voile doublée d’une ou deux couvertures. Mathurin Lainé se souvient d’ailleurs qu’en drague, somnolant à son poste, le kapo vraz se coinçait parfois entre le grand bau et la serre, la construction des bateaux creux leur laissant une certaine souplesse à la mer dans les grands coups de roulis.

© coll Ar Vag

Les chandails tricotés noirs ou bleu marine sont une spécialité des femmes de pêcheurs du Bono. Le bas du tricot est souvent festonné, et un motif — ancre de marine stylisée ou même bateau — orne parfois la poitrine. Les ceintures de flanelle sont enroulées près de quinze fois autour de la taille. Les jours de fête, la tenue préférée des jeunes matelots est le pull noir avec un pantalon blanc, un foulard en soie rouge à carreaux blancs noué autour du cou — une très ancienne coquetterie matelote -et une cocarde en soie sur l’épaule, fort appréciée des jeunes filles qui essaient de la dérober au passage !

Les saisons et les zones de pêche

La pêche reprend chaque année au lendemain des grandes marées de mars, après que l’on a sacrifié à un rituel suivi par tous : la drague aux huîtres. Le lundi de Pâques, jour de fête profane au Bono, où l’on dispute des courses de plates, donne le signal des premiers départs. Jusqu’au mois de mai, les forbans travaillent essentiellement en baie de Quiberon et dans les coureaux de Belle-Île où abondent soles, tarches (plies) et raies qui sont le plus souvent débarquées à La Trinité. Par vents d’Est ou de Nordet, les plus audacieux se risquent en baie d’Etel. Cette zone est peu fréquentée par les marins du Bono qui, outre la barre de sinistre réputation, redoutent de ne pouvoir se relever de la côte si les vents tournent. Ils chalutent sur des fonds sableux, entre l’île Téviec et la pointe de Gâvres, le long de la « grande côte » et, poussés par le vent, vont parfois vendre leur poisson à Lorient, directement aux détaillants.

En début de saison, les sorties sont courtes: une journée, une nuit. Mais, temps permettant, et si le poisson est au rendez-vous, ces premières « tournées » peuvent durer une semaine. Profitant de la fermeture dominicale de la criée, les pêcheurs rentrent alors au Bono le samedi après la vente. Certains préfèrent revenir à pied par Kérentrech et laissent leurs bateaux à La Trinité.

© coll Ar Vag

Mais la saison commence véritablement fin mai, début juin, avec l’arrivée des beaux jours et des touristes, chaque année plus nombreux dans les stations en vogue de la presqu’île guérandaise. Les Forbans prennent alors leurs quartiers d’été, chacun ayant ses habitudes et son port d’élection — « Il y avait quatre-vingt-dix bateaux au Bono, rappelle Paul Le Govic, alors forcément, on n’était pas tous dans le même port I » C’est parfois le vent qui a le dernier mot quant au choix du lieu de vente. « Quand on travaillait du côté d’Hoëdic, raconte Jean Morio, s’il y avait trop de vent pour rentrer, on filait vent arrière sur Le Croisic. » Certains patrons, enfin, tel Mathurin Lainé, sont limités dans leur choix: « Il a passé toute sa vie au Croisic, raconte sa femme, parce que le bateau était trop calant d’eau! » (il s’agit en l’occurrence d’un sloup).

Le chalut n’étant pas sélectif, le poisson plat, tout particulièrement la sole, pêchée sur des fonds sableux, reste tout l’été le plus convoité. Outre quelques merlans, rougets ou grondins, raies diverses et crustacés méritent d’être mentionnés. Présente toute l’année, la raie bouclée est particulièrement abondante à la fin du printemps. « On pêchait de jour comme de nuit à la Chimère (entre le Grandmont, Houat et Hoëdic) et aux Grands-Sables à Belle-Île (entre Le Palais et la pointe de Kerdonis). Il y en avait en quantité, mais elle n’était pas grasse. » « Belle-Île, souvent c’était bon pour la sole, souligne Mathurin Lainé. On était tout de suite sur les lieux de pêche, et il n’y avait pas de courant à remonter; à Saint-Nazaire par contre, il y avait un courant fou, mais les prix étaient meilleurs sur le marché. »

Certains pêcheurs, comme Armand Le Douaran, Jean-Marie et Joseph Guingo (l’Amiral et le Grand Guingo), et d’autres… partent pour l’île d’Yeu, où les marins bretons sont très bien accueillis. Compte tenu de la distance — six heures de route au portant —, il n’est alors pas question, sauf le 15 août pour le pardon de Notre-Dame de Béquerel, de rentrer régulièrement au Bono.

Certains problèmes matériels peuvent être résolus sur place, mais on évite de faire des achats sur l’île, et la solidarité entre gars du pays joue pour assurer le ravitaillement. « Quand un bateau venait à la maison, on lui demandait de nous envoyer des pommes de terre, du cidre ou du bronneg. On pêchait entre l’île et la terre, au large de la pointe des Corbeaux, ou au Sud de l’île. On allait parfois vendre à Saint-Gilles ou aux Sables-d’Olonne quand on était rendu au loin, vers les Barges, » se souvient Pierre Evo.

Avec son père, Michel Le Clanche (Menguen) pense être allé le plus loin. « Il y avait Boulon (François Pipette) et nous. On travaillait aux Baleines, à la bouée de Rocha, sous le château des forçats à l’île de Ré et à l’emplacement de la jetée de La Pallice. Avec des vents de Nord, Noroît, c’est là qu’il y avait le plus de soles. On traînait jusqu’au feu du chenal de La Rochelle, jusqu’à la bouée de Chauveau. Au Grouin-du-Cou, l’eau était sale, et alors, le jour, qu’est-ce qu’on pêchait comme soles, nom de Dieu! »

Mais la majorité des patrons préfère Le Croisic ou Le Pouliguen, qui deviennent pendant l’été de véritables colonies bonovistes, et où quelques-uns feront souche. Abritée par la côte des vents solaires, passant au Nord-Est dominant le soir, la Banche — entre les Charpentiers et la pointe du Croisic -semble un vrai pays de cocagne. « Il y avait des repères (limitant la zone des trois milles interdite au chalutage), mais parfois on était juste à toucher la côte. » Les voiliers restent tout de même tributaires des éléments. « Par vent de Nord-Ouest, quand tu tombais avec le flot sur la Banche, tu attrapais Le Pouliguen. » En revanche, quand il y avait trop de vent, on rentrait au Croisic. On mouillait sous Saint-Jean-de-Dieu (l’hospice), et on pêchait alors entre l’île Dumet et le plateau de la Recherche. C’était large; on ne risquait pas d’aller dans la caillasse. » En fin de saison, les forbans travaillent fréquemment entre l’île Dumet et le plateau du Four. « Quand l’eau était sale, après un coup de mauvais temps, on pouvait même pêcher de jour en baie de La Baule. J’ai vu jusqu’à trente bateaux à pêcher du rouget. On nous disait rien ! »

Saint-Nazaire a aussi ses adeptes : le Grand Michel (Michel Le Rohellec), par exemple, travaille dans le chenal de la Loire, sous la Lambarde, entre les phares des Charpentiers, de la Banche et du Pilier. Conséquence de la proximité du port de commerce et des chantiers navals, « on pêchait parfois du charbon qu’on envoyait à la maison, et du suif provenant des couettes des chantiers, qu’on récupérait après le lancement d’un navire, et dont on se servait pour graisser la sonde. »

La proximité de ces ports de l’estuaire de la Loire, situés à quelques heures de route seulement du Bono, permet par ailleurs — outre celui du 15 août — deux ou trois retours dans l’été, et facilitent les problèmes d’intendance. « On va bientôt aller à la maison; il n’y a plus de beurre dans le pot de Mathurin », disait Nono (François Morio). Après la guerre, quelques femmes viendront même rendre visite à leur mari. Coïncidant avec le départ des estivants, la « saison » s’achève vers la Saint-Sauveur (fin septembre).

Pour la Toussaint, tous les forbans ont regagné la baie de Quiberon où les soles cèdent la place aux merlans, source de pêches parfois miraculeuses. « Avec le Cœur Vaillant (A 983) de François Jégo, on avait fait dix mille merlans près d’Hoedic, se souvient Joseph Le Moisan. On faisait route sur Lorient, et il a changé d’idée; j’ai gouverné de la Teignouse au Croisic pour aller les vendre. » A proximité de la Teignouse, près de l’épave du cuirassé France (CM 3), le « Trou du merlan » doit son nom à de telles prises. Vers l’île Dumet, plus blancs et plus petits, les merlans pêchés sur la vase sont moins appréciés.

Le forban Note-Dame de la Paix à Louis Robigo, rentre à Pornic — un port pourtant guère fréquenté par les gars du Bono. On amène tranquillement le taillevent au portant. A noter deux détails singuliers: la longueur de la barre, et la position reculée de l’étai, pour faciliter le virement de bord.

Cette photographie montre bien l’importance d’une organisation bien réglée des espaces à bord du forban. A bâbord, la plate est glissée « comme une écuelle dans son armoire » selon l’expression de Joseph Tanguy, son mouj plad (avant carré) s’encastrant à la perfection sous le grand bau. Remarquer aussi le ridage fruste du hauban bâbord, la perche de chalut à tribord, les fargues,
le tonnelet dans la plate, les fargues, etc. © coll Ar Vag

Donnant lieu à de courtes sorties, cette pêche hivernale, pas toujours facile à commercialiser, n’est pas pratiquée par tous. Pendant la période de désarmement à la mauvaise saison, qui dure environ deux mois, les rôles sont déposés chez le garde-pêche, représentant local des Affaires maritimes d’Auray, afin de ne pas payer d’Invalides.

Une nuit de pêche en drague sur un forban devant Le Croisic

A bord des forbans, l’après-midi s’achève par un casse-croûte et éventuellement un dernier verre. Les conditions météorologiques : direction et force du vent, nébulosité, marée… font l’objet de la plus grande attention. Le ciel ne laissant rien augurer de mauvais, le bateau prend la mer vers 19 heures, afin de se trouver sur les lieux de pêche au coucher du soleil.

La sortie du Croisic est rapide. Si la marée l’exige, on a pris soin de quitter le port après la vente pour mouiller devant le sanatorium de Pen-Bron. Ayant choisi le lieu de pêche, le patron prend la barre et met le cap sur le plateau du Four, la Banche ou l’île Dumet. Pour le reste de l’équipage, cette heure de route est généralement un moment de quiétude où l’on goûte les derniers rayons du soleil, à moins que le chalut, victime d’une croche, ne nécessite encore quelques travaux. Poussé par une petite brise solaire, le bateau gagne le large, perdant de vue quelques forbans qui n’hésitent pas, en dépit de la législation cent fois répétée, à travailler près de la côte comme le font les Turballais : « On allait là où était le poisson ! En sortant du Croisic, on pouvait jeter le chalut devant la plage de La Turballe et aller jusqu’à l’île Dumet. C’était une vasière. »

© coll Ar Vag

Le patron se repère maintenant aux phares et aux alignements qui détermineront bientôt le lieu de mise en drague, qu’il supervise sans précipitation ni commandements inutiles. La manœuvre se déroule toujours tribord amures, compte tenu de la position du chalut à bord. Dérivant ainsi moins vite que le bateau, au vent duquel il se trouve, l’engin ne risque pas de s’engager sous la coque ou dans le gouvernail. Taol er-mez ! littéralement: « Jetez dehors! » Les matelots mettent le chalut à l’eau puis larguent la perche et l’amènent perpendiculairement au bateau en filant d’abord la patte-d’oie tribord, puis les deux en même temps. Elles portent à leurs extrémités des repères — simples surliures — permettant de s’assurer que le train de pêche n’a pas fait un demi-tour sur lui-même. Suit la touline, dont le patron, placé à l’arrière dans le senteuin, règle la longueur — quatre à cinq fois la profondeur —, et commande: « File du touée ! », avant que le brigadier ne la tourne sur le bittard de jambette. Le patron règle alors l’attrape, qui donne désormais son cap sur le fond au bateau; la barre, devenue inopérante, est laissée libre.

Les voiles sont réglées pour l’allure du grand largue, éventuellement du vent de travers (vent et courant « traversiers »), mais jamais vent arrière. Marchant en crabe, toujours dans le sens du courant, et à la vitesse d’un homme au pas — environ 2 nœuds —, le forban commence son premier trait, qui va durer environ deux heures. La main sur le bout de l’attrape, dont les vibrations le renseignent sur le comportement du chalut et lui signalent les changements de fond ou une éventuelle croche, le patron surveille la route du bateau. Filée périodiquement par le mousse, la sonde lui indique la nature du fond, la hauteur d’eau et la vitesse, l’aidant à rester si possible à l’accore des roches, zone plus poissonneuse. Pour la sole, on recherche plutôt un fond « poivré », qui indique que l’on suit bien la limite entre fonds sableux et vasard, idéale pour ce poisson. Le reste de l’équipage profite de cette première partie de la nuit, la moins froide et la moins humide, pour prendre un peu de repos.

Minuit. Dam’a-barh ! (A virer!). Ce rappel au travail, ponctué de quelques coups de sabot sur le plancher, réveille tout le monde. Chacun s’ébroue et reprend son poste. Si la mer est calme, la fargue centrale tribord est ôtée afin de réduire le franc-bord, ce qui facilite l’embarquement du chalut. Aussitôt l’attrape larguée, le bateau lofe de lui-même et vient près du vent. Quand les conditions le permettent, on borde alors les voiles pour « courir sur la touline », de façon à lui donner du mou. « Quand le patron la voyait venir sur l’arrière, il laissait le bateau se mettre bout au vent et, par bonne brise, on amenait la misaine. On paumoyait alors en vitesse; il n’y avait que le filin à déhaler. » La touline rapidement embraquée et soigneusement lovée par le mousse au pied du grand mât, les matelots voient bientôt apparaître les pattes-d’oie. Pour poursuivre le halage du train de pêche, ils passent celle de l’avant sur le rouleau, puis la garnissent sur la poupée du treuil et prennent place pour virer aux manivelles, le mousse au retour; le patron saisit la patte-d’oie arrière qu’il embraque à la main. Dans le clapot, on profite de la descente de l’étrave pour reprendre du mou. Mais quand le nez lève à nouveau, le mousse doit tenir bon sur ce filin goudronné qui lui arrache la peau des mains.

Quand la perche est arrivée « en bandoulière », elle est halée à bord, et passée derrière les jambettes qui l’immobilisent. Le bourrelet est embarqué, puis chacun croche dans le chalut, éclairé plus souvent par la lune que par la lumière blafarde d’un fanal à bougie dont on use avec la plus grande parcimonie, en veillant à ne pas en casser le verre. S’il n’est pas trop lourd, et ne contient pas trop de saletés, le chalut est hissé à bord entièrement à la main et vidé par la gueule, après que l’on a pris soin de dégager les soles coincées dans les bourses. Si ce n’est pas possible — bonne pêche ou beaucoup de saleté —, le cul est élingué à l’aide d’une erse crochée au palan qui facilite bien l’opération. Le transfilage du cul est alors coupé pour libérer le poisson. Sitôt le chalut à bord, la misaine est rehissée et le cap mis sur le point de départ, où l’on retourne « chercher le coup ».

La perche du chalut étant saisie aux bittes devant et derrière, on passe une erse autour du cul plein de poisson et on le vire à bord à l’aide du palan tribord. Remarquer l’absence de la fargue centrale. © coll Ar Vag

Si, par nuit claire, le mousse n’est pas requis pour tenir le fanal, c’est souvent lui qui prend la barre pendant que patron et matelots trient le poisson : une balle en châtaignier fendu pour les soles, un manneuchen muni d’un couvercle pour les crustacés, quelques paniers d’osier (sklissieun) pour les autres espèces. A noter qu’aucun poisson n’est vidé. Le tri terminé et le plancher sommairement nettoyé, on procède si besoin est à d’éventuelles réparations du chalut et on reprend le transfilage du cul.

Les alignements des feux annonçant le retour au point de départ, le chalut peut être remis en pêche. Si le vent et le courant le permettent, le deuxième trait est identique au premier. Un troisième est parfois possible, qui ne dure jamais au-delà du lever du soleil. En effet, « la sole chassant la nuit s’ensable ou s’envase la journée, ne laissant dépasser que ses yeux et le sommet de son dos »; sa capture devient donc impossible. Mieux vaut alors rentrer au port pour l’heure de la vente.

La drague, un engin rustique mais efficace

Les pêcheurs du Bono utilisent un chalut à perche dont les dimensions, exprimées en mailles, sont proportionnelles à la taille du bateau. Constitué de trois pièces — le ventre, le dos et le cul (reor er ru)—, le filet (er ru) forme une poche trapézoïdale d’une douzaine de mètres de profondeur, maintenue ouverte en largeur par la perche, en hauteur par les guindineaux (spart) et la corde de dos (er linienn chkorz) munie de petits flotteurs de liège. Lesté par une chaîne « qui doit briller » lorsque le chalut est bien monté, le bourrelet (er gordenn gal) racle le fond afin de « décoller » le poisson, les soles notamment que deux paires de bourses empêchent de ressortir. Protégé de l’usure par un tablier — morceau de filet usagé frottant sur le fond —, le cul est obturé par un simple transfilage. Deux aillerez, filins ralingués à intervalles réguliers sur la couture reliant le ventre au dos, évitent la déformation du chalut et facilitent son embarquement.

Saisie contre les jambettes tribord lorsque le bateau fait route, la perche, dont la longueur détermine l’ouverture du chalut (7 à 8 m pour un bateau de 11 m) est toujours constituée de deux troncs de jeune châtaignier, parfois trois, choisis en accord avec le garde dans les bois de Mériadec ou de Kerentrech pour leur courbure naturelle, leur diamètre pouvant atteindre 15 cm au plus fort. Sa confection, qui est gage de bonne pêche, est une affaire sérieuse. Soigneusement entées à l’herminette, les deux pièces de bois sont clouées et rousturées avec du fil de fer, puis la perche est bridée le long de la coque dont elle épouse progressivement la forme. Son degré de souplesse est des plus importants. Confiée aux spécialistes locaux — Vincent Marc ou Henri et Auguste Le Blévec, œuvrant, l’un sur le port, les autres sur le jeu de boules contigu à leur commerce —, la fabrication des perches deviendra progressivement, avec l’avènement des sloups, l’affaire des patrons, qui, en aucun cas, ne confieraient cette responsabilité à leurs matelots.

En châtaignier également, les guindineaux, de 50 à 60 cm de long pour 6 à 8 cm de diamètre, sont terminés par des frettes métalliques munies de deux yeux recevant la corde de dos, le bourrelet et la patte-d’oie en chaîne les reliant aux extrémités de la perche. Pour maintenir le filet au fond, deux gros galets ronds percés (galieunn) sont fixés sur une troisième ferrure placée au quart inférieur des guindineaux, perpendiculairement à l’axe du chalut. Comme la fabrication des pièces métalliques, le perçage de ces pierres incombe au forgeron local. Le galieunn arrière (sur bâbord) doit être nettement plus lourd que l’autre, pour éviter que le chalut ne bascule. Ces galets sont remplacés après 1910 par des bouquets de chaînes, plus lourds, plus denses et donc plus stables.

L’ensemble du train de pêche, appelé er straill, est beaucoup plus lourd que celui des sinagos, qui utilisent des pierres plates et ne gréent pas de patte-d’oie. Tournée sur la jambette tribord avant ou soigneusement lovée entre le grand mât et le treuil, selon que le bateau est en pêche ou non, la touline (en doulein), dont la longueur totale atteint 100 m (60 brasses), se prolonge par deux pattes-d’oie de 50 m frappées aux extrémités de la perche. Outre leur fonction principale de traction du chalut, ces pattes-d’oie contribuent à canaliser le poisson vers l’ouverture du filet. Utilisée pour virer le chalut dont elle supporte alors tout le poids, la patte-d’oie « avant » subit une tension plus importante que son homologue « arrière ». L’allongement en résultant doit être repris deux ou trois fois au cours de la saison, afin de maintenir la perche perpendiculaire à la touline et à la route du bateau.

Perche, guindineaux, sac, etc: ce chalut dont les caractéristiques demeureront inchangées lorsque les sloups motorisés remplaceront les chaloupes, est entièrement réalisé et assemblé au Bono. A Kernours, une dizaine de « laceuses » confectionnent le filet. Payées à la brasse, elles travaillent pour un patron — leur mari le cas échéant -ou pour les Le Blévec qui leur fournissent le fil de chanvre provenant de la maison Bessoneau d’Angers ou Chausseprat de Vannes (rue Saint-Vincent). « Quand un gars était pressé, le père Blévec mettait toutes les femmes dessus. Chacune faisait son morceau et on les assemblait », se souvient Michel Le Clanche. Pour tout outillage, elles disposent de navettes en sureau — patiemment taillées par les retraités, et dont le remplissage incombe souvent aux enfants —, d’un couteau et d’une série de moules correspondant aux différents maillages. Les mailles du ventre et du dos sont en effet plus grandes que celles du cul. Frottant sur le fond, le ventre est réalisé en fil plus fort que le dos.

Si ces femmes sont particulièrement habiles pour confectionner le filet, elles n’en assurent ni le montage, ni les réparations, dont se chargent le patron et ses matelots. En conséquence, outre le fil à chalut et les aiguilles, un certain nombre de bateaux embarquent des pièces de rechange, voire un chalut complet et une perche de secours amarrée à bâbord. Une pratique qui se généralisera à bord des sloups sans pour autant faire l’unanimité.

© coll Ar Vag

La rémunération des marins à trois francs l’écu

L’armement capitaliste étant inconnu au Bono où, sauf exception, les patrons sont propriétaires de leur bateau et de son chalut, le produit de la pêche donne lieu à un mode de répartition particulier. Décrite par des marins embarqués dès 1905, la méthode, dite du skouet (écu, en breton), restera en vigueur jusqu’aux dernières heures de la pêche traditionnelle sur les sloups motorisés .

Assis sur un des appontements du port du Pouliguen vers 1910, une petite bande de mousses pose pour le photographe. On reconnaît, de gauche à droite, Joseph Célino, Joseph Le Clanche (dit Job Peyar), Mathurin Jégo (Ruppig), Joseph Le Mentec (Bitak) et Joseph Le Douaran (Job Bachton). © coll Ar Vag

Le montant de la vente, dont le patron déduit les frais communs — bronneg, sel, poivre, oignons… et les Invalides, car il paye le rôle —, est divisé en skouet, valant 3 francs (ou 60 sous). Chaque matelot reçoit 11 ou 12 sous par écu, le mousse 4 ou 5. Le reste représente la part du patron et du bateau, qui doit être amorti en cinq ans environ. Un arrangement préalable est prévu quand le patron n’est pas propriétaire du bateau et lorsqu’il n’embarque pas de mousse. Un mousse devenu novice, à seize ans, touche 5 à 6 sous par écu. Pour tenir les comptes, on utilise si nécessaire une baguette de coudrier sur laquelle on taille des coches, comme chez le boulanger.

Au début du siècle, les marins sont payés au Bono, en fin de « tournée ». Le partage a bien évidemment lieu au café, notamment chez Henry Le Blévec qui se charge des comptes, pourtant forts simples, de certains patrons. « Ils ne comptaient pas au crayon! Le patron faisait quatre tas de pièces; quand il n’y en avait plus, le compte était fait! » En cas de besoin, un matelot peut néanmoins demander un acompte en cours de campagne.

Vers 1910, la situation financière d’un patron pêcheur est comparable à celle d’un instituteur, gagnant alors entre 1 000 et 1 500 francs par an. En 1912, Joseph Le Douaran, embarqué comme mousse sur le Doux Souvenirs (A 2224), touche 100 francs, cinq pièces de 20 francs en or, qu’il s’empresse d’aller remettre à sa mère, suite à une « tournée » de deux mois au Pouliguen et à l’île d’Yeu. L’année suivante, ses parents passent commande, pour son frère Jean-Marie, de La Berceuse aux Etoiles (A 2362), chaloupe de 19,38 tonneaux, pour la somme de 2 000 francs. Mousse lui aussi, Paul Le Govic gagne 225 francs, en 1919, pour une saison de deux mois et demi. A cette époque, une vente quotidienne de 100 francs est considérée comme bonne; la moyenne se situant entre 50 et 70 francs.

Mais il convient de ne pas considérer ces sommes comme des salaires mensuels fixes. Compte tenu du beau temps, de l’abondance du poisson et des prix de vente pratiqués durant l’été, la saison représente une part importante du revenu annuel des pêcheurs; peut-être la moitié aux dires de nos informateurs.

Belle scène de cotriade cuite sur la grève par deux équipages du Bono à l’île d’Yeu. A droite, on remarque les fonds évidés et le bouchain dur d’un forban à l’échouage. © coll Ar Vag

Le poisson se vend en criée, en travers ou en brouette !

Bel ensemble de balles en châtaignier fendu, contenant probablement la pêche de plusieurs forbans. Au premier plan, à même le sol, une raie de près de 10 kilos; à gauche, des ratillons ; à droite, des merlans, bien rangés tête en haut dans leurs paniers. © coll Ar Vag

Produit périssable destiné à une consommation immédiate, le « poisson frais » de drague doit être commercialisé dès son débarquement. Comme tous les pêcheurs côtiers non tributaires des conserveries, les Bonovistes sont confrontés, selon les ports et les saisons, à différents lieux et méthodes de vente, criées, marchés, vendeuses ambulantes ou vente directe, qui restent inchangés jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Dès la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée du chemin de fer, tous les ports de quelque importance se dotent d’une criée. Celle du Croisic est la plus prisée des pêcheurs du Bono, compte tenu des tarifs pratiqués; l’été, elle travaille d’ailleurs essentiellement grâce à eux, car les autres dragueurs arment à la sardine ou au thon. Les Forbans, qui virent leur chalut une dernière fois aux premières lueurs de l’aube, disposent normalement d’un laps de temps suffisant pour rentrer, la vente ne commençant que vers 8 heures. « Mais on devait aller mettre un marron à la criée du Croisic pour retenir son tour, et parfois il fallait même envoyer un homme à terre au milieu de la nuit pour aller mettre le marron en avance. Celui qui passait le dernier risquait de ne pas vendre quand il y avait trop de poisson, » raconte Mathurin Lainé. Encore faut-il acheminer la pêche jusqu’à la criée, distante d’un bon kilomètre, quand on est mouillé sous Saint-Jean-de-Dieu ou à Port-Lin. Le trajet se fait bien entendu à pied, en poussant une brouette prêtée par un débitant de boissons ou empruntée contre un crabe ou deux. Parfois, c’est une corbeille en osier posée sur la tête ou un panier, porté à deux, à la main. Vendu aux enchères montantes suivant l’ordre d’arrivée, le poisson est soigneusement présenté par lots sur des tables. Les soles — dix-huit par table — sont toujours déposées par paires, ventre contre ventre. « On écartait les nageoires pour qu’elles paraissent plus grosses. »

Aussitôt son lot vendu, le patron passe se faire payer à la caisse puis, en compagnie de ses matelots, commence la tournée quotidienne des bistrots du port. Si, victime d’une avarie ou tout simplement du calme plat, un bateau arrive en retard, il lui est néanmoins possible de participer à la vente de l’après-midi, mais à des prix beaucoup moins intéressants. Il n’a de toute façon pas le choix.

Au Pouliguen, il n’y a pas de criée. La vente s’effectue « à travers » sur le quai, « sitôt le jour ». Avec pour seul matériel une brouette, des marchandes ambulantes se chargent de commercialiser, en fonction de commandes préalables, le poisson destiné essentiellement aux hôtels-restaurants de La Baule. La demande et le prix liés à la fréquentation touristique amènent certains patrons à conclure, en début de saison, un accord tacite avec l’une de ces femmes, à laquelle il s’engage à livrer toutes ses soles à un prix moyen. En contrepartie, dès l’arrivée à quai au lever du jour, la marchande lui achète la totalité de sa pêche, qui, avant 1914, n’est même pas pesée mais estimée au volume. A la somme totale, elle ajoute quelques francs « pour le pot ». « S’il y avait 150 francs, tu avais 155 francs pour boire un coup, mais parfois cet argent était partagé entre les membres de l’équipage. »

Certains pêcheurs, qui ne fréquentent qu’épisodiquement le port ou qui n’ont pas souscrit à ce contrat moral préalable, sont parfois contraints d’assurer eux-mêmes une partie de la vente — celle des crustacés notamment — au marché du Pouliguen, ou à la criée du Croisic distante de 7 à 8 km. « Ceux du Pouliguen prenaient parfois le train pour venir à la vente au Croisic, raconte Mathurin Lainé. Ils empruntaient le chariot du marchand de vin ou une brouette. Au retour, il n’y avait pas de train; ils allaient à pied! »

Quant aux merlans pêchés en fin de saison, qui n’ont pas la faveur des touristes, c’est également à pied, souvent jusqu’à Guérande, qu’il faut aller les vendre en faisant du porte-à-porte. Si quelques rivalités existent entre pêcheurs et vendeuses accusées de casser les prix, Le Pouliguen reste cependant l’un des meilleurs lieux de vente. Vers 1930, le kilo de sole s’y vend 30 francs, contre 18 seulement à l’île d’Yeu. « Quand on était à Saint-Nazaire à la fin de l’année, on pêchait de beaux merlans à l’entrée de la Loire, en dehors de la Lambarde, raconte Auguste Le Moisan. Cette pêche particulière donnait lieu à de véritables régates, pour ramener le poisson le plus tôt possible, et mettre le marron dans la boîte à Saint-Nazaire. Lorsque le courant, très fort dans ces parages, se trouvait être de bout, on débarquait en vitesse à Port-Charlotte et on courait à pied jusqu’à Saint-Nazaire pour placer le marron. Le lendemain matin, le personnel de la criée les relevait, et les premiers disposaient des premières places et des meilleurs prix. »

Pêchés, certains hivers, en larges quantités, les merlans ne sont achetés qu’à vil prix par les mareyeurs de La Trinité. Les pêcheurs préfèrent donc en assurer eux-mêmes la vente. C’est essentiellement le travail des femmes, qui vont de maison en maison jusqu’à Mériadec, Sainte-Anne, Grandchamp ou, au-delà d’Auray, sur la route de Quiberon ou d’Etel, en poussant leur brouette chargée de deux ou trois caisses de poissons rangés verticalement la tête en haut.

Afin de s’assurer les services des meilleures vendeuses — qui travaillent toujours par deux —, en passant au Be, chaque forban débarque un matelot chargé d’aller les réveiller afin qu’elles arrivent au port en même temps que le bateau. Il n’est alors souvent que 4 ou 5 heures du matin. Dans les années trente, Marie-Joseph Lainé vend ainsi la pêche de son mari: « Nous autres, on allait souvent à Saint-Goustan. On était connues, on vendait très bien la première brouettée. On revenait au Bono prendre une autre et on partait par Pluneret, Sainte-Anne, Plumergat… » Chaque groupe de vendeuses a son itinéraire et sa clientèle attitrée. « Elles partaient avant le jour. Le midi, certaines trouvaient une ferme acceptant de leur faire frire deux ou trois merlans. » Jouissant de la confiance du patron qui les rémunère à la journée (20 francs vers 1930), elles fixent elles-mêmes les prix en fonction de la demande. Les merlans sont vendus à la douzaine ou au kilo, par celles qui disposent d’une balance. Le merlan a beau être un poisson bon marché, en fin de journée, faute d’acquéreurs, elles doivent parfois se résigner à en jeter au fossé avant de rentrer au Bono remettre le produit de leur vente au patron. Il faut cependant noter que cette vente ne se pratique que deux mois par an, et encore, pas tous les jours.

En haut: une quinzaine de forbans a mouillé en dehors de Port-Lin, une petite anse proche du Croisic. Les équipages ont rallié la terre avec leur pêche à bord des petites plates, dont la responsabilité est confiée aux mousses. Ci-dessus: la criée du Croisic, ouverte en 1818, est un précieux débouché pour les pêcheurs du Bono et ceux des autres ports dragueurs bretons, de Riantec à La Turballe. © coll Ar Vag

Cuite à bord par le mousse, la cotriade quotidienne est appréciée de tous

Soupe de poisson au déjeuner, poisson froid au dîner et au petit déjeuner. La nourriture du bord, à base de poisson et de pommes de terre, n’est guère variée, mais a l’avantage d’être abondante et saine. Sur des bateaux rentrant quotidiennement au port, la conservation des aliments ne pose pas de problème; le pain n’a pas le temps de moisir, ni l’eau de croupir au fond d’une barrique.

A bord des forbans, la préparation de la soupe de poisson, ou kaoteriad, mets apprécié de tous, incombe au mousse. A 9 heures, le patron et ses matelots partent vendre la pêche à la criée. Resté seul à bord, le jeune garçon commence à vider le poisson destiné à la cotriade, des espèces non vendables en général : ratillons, grondins, petites maraches, tacauds, merlans, margates… « Etriper les ratillons, c’est pas évident pour un gamin comme ça! Enfin on s’habitue. »

Placé près du mât, un chaudron percé d’une ouverture latérale sert de foyer. Une marmite d’une dizaine de litres, elle aussi en fonte, y repose sur ses anses. Entreposé à l’avant du bateau, le bois vient du Bono, de chez le boulanger. Pour l’allumer, le mousse a recours au chila — des baguettes de sapin entaillées au canif et dont on écarte les barbes. Il peut aussi utiliser une poignée de del (aiguilles de pin), ou des copeaux achetés chez le menuisier, « un grand sac pour 20 sous ». Lorsque la réserve est épuisée, un calfat établi près du port fournit le précieux combustible. Le feu crépite sous la marmite. A l’aide d’une louche, le mousse écrase les gros morceaux de loin (graisse salée) ou de bronneg (poitrine de cochon salée et poivrée, roulée et mise à sécher dans les maisons). Il y ajoute un ou deux oignons pour faire le « roussi », et parfois le jaune de quelques araignées, avant de verser l’eau, et de mettre les pommes de terre coupées en morceaux, le sel et beaucoup de poivre. Le poisson est placé en dernier, bien disposé, pour éviter qu’il ne se défasse trop à la cuisson.

Comme le poisson, tous les ingrédients composant la soupe sont fournis par le patron, « sur le total ». Le jour de la paye, leur prix sera déduit du montant des ventes. En revanche, le pain, le beurre (conservé dans une écuelle ou un pot en terre, recouvert de feuilles de chou) et, parfois, le cidre sont à la charge de chaque membre de l’équipage. Mis à part le pain, il n’est pas question d’acheter quoi que ce soit sur place. Quant à l’eau, elle est conservée, additionnée de quelques gouttes de vinaigre, dans un petit barricot sans robinet, ou dans une touque en verre que le mousse est chargé d’aller remplir à la fontaine du port, à moins que le patron veuille bien faire appel au marchand d’eau du quai (au Croisic). Lorsque le bateau reste mouillé à l’entrée d’un port, il est fréquent de mettre un tiers d’eau de mer dans la soupe.

Après la traditionnelle tournée des bistrots qui suit la vente, l’équipage se retrouve à bord en fin de matinée pour le seul repas chaud de la journée. Après avoir trempé le pain, le mousse sert le bouillon dans l’écuelle en terre cuite de chaque marin. Comme dans beaucoup d’autres ports, les cuillers (lué) et la louche ont été fabriquées par le jeune garçon à l’aide de coquilles Saint-Jacques emmanchées. A cette vaisselle rustique s’ajoute le couteau, dont un marin ne se sépare jamais. Avant de découper de larges tranches de pain, le patron s’en sert pour tracer une croix sur la croûte; c’est la seule manifestation religieuse régulièrement observée à bord des forbans au début du XXe siècle.

Ci-contre: Le port du Bono plein de forbans vers 1903. Le petit havre ne peut suffire à abriter la flottille, qui frise la centaine d’unités, et plusieurs chaloupes sont contraintes d’échouer en face sous Kerentrech. Ces forbans ont tous la « coupe » concarnoise des années 1890: chambre réduite, quête d’étambot modérée, arrière assez plein.© coll Ar Vag

Le repas terminé, le mousse lave la vaisselle et nettoie le plancher à l’aide d’un balai en petit houx (freujkon); quand celui-ci est usé, le « trognon » sert à laver les caisses à poisson. L’après-midi est consacré à la sieste et au ramendage du chalut; le mousse, pour sa part, refait les chnop (génopes, petits amarrages). A bord, ou dans un bistrot permettant de se retrouver entre gars du Bono, le dîner est pris en début de soirée, avant le départ en mer. Au menu: poisson froid-vinaigrette et pain-beurre. Certains bistrots offrent l’huile et le vinaigre aux équipages qui les fréquentent régulièrement: chez Rose à La Trinité*, chez Tante Armande au Pouliguen, au café de la Poissonnerie, chez Abel Le Berre ou à celui du Port, chez Marinette au Croisic…

La marmite n’est pas encore vide. Si dans la nuit ou le lendemain matin, un membre de l’équipage a faim, il peut consommer du poisson froid avec une beurrée en guise de petit déjeuner, à moins qu’il n’ait prévu un morceau de lard. Mathurin Lainé se souvient d’un régal: les margates fraîches grillées sur la braise 1 Seul le mauvais temps oblige à varier l’ordinaire lorsqu’il immobilise les bateaux au port. On achète une tête de veau si l’on a quelques sous, sinon, des moules ou même un ragoût de berniques peuvent remplacer la soupe de poisson. Parfois, comme le raconte Paul Le Govic, lors de ses tout premiers embarquements, il fallait même se contenter de pain sec et d’un coup de tafia, versé dans une « mesure » en fer!

Les relations avec les autres pêcheurs

Dans tous les ports « d’estive », les gars du Bono côtoient, outre les locaux, d’autres pêcheurs venus comme eux faire la saison. Ils sont parfois surnommés les bêêês suite, dit-on, à une histoire de moutons volés sur l’île Dumet. Ce n’est pas, selon Mathurin Lainé, la seule explication : « On nous appelait les bêêês parce qu’on était nombreux, toujours ensemble, et qu’on se suivait tous comme des moutons. » L’examen des collections de cartes postales du début du siècle, qui montrent fréquemment les forbans du Bono regroupés au mouillage à l’écart, semble conforter cette opinion! Les équipages des forbans entretiennent dans l’ensemble de bons rapports avec les marins du « Sud ». « On s’arrangeait bien avec les Croisicais et les gars de l’île d’Yeu. On parlait en français avec eux. Plusieurs d’entre nous sont même restés là-bas. » De même avec les Chtou (Cornouaillais) venus faire la sardine : « Ils pêchaient le jour, nous la nuit… Mais, on ne comprenait pas très bien leur breton. » Seuls les marins des Sables-d’Olonne, « qui ne veulent voir personne d’autre chez eux », témoignent d’une réelle animosité à l’égard des Bonovistes, qui pratiquent le même métier qu’eux et leur font donc concurrence.

*La fille de Bose, la Grande Danic, est un personnage pittoresque, qui a bien connu les gars du Bono, les Sinagos, les pêcheurs de mulet gâvrais et les senneurs de Saint-Cado, mais aussi plusieurs capitaines au cabotage, dont le fameux Meudal. Les Sinagos faisaient cuire leurs crevettes dans sa cheminée; elle les revoit encore avec leurs sklissieun pleins de crevettes. Par les grands froids d’hiver, les marins pouvaient passer la nuit dans une remise derrière le café. Il y avait toujours un peu de paille à leur disposition.

 

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