Le Rêve de la baleine est paru en 2017 en Australie, mais l’action principale de ce roman de Ben Hobson se déroule en 1961, et il nous parle d’un temps manifestement révolu. Sam, « Le Petit » – 12 ans –, vient de perdre sa mère ; il suit son père pour une saison de dépeçage à la station baleinière de Moreton Island. Du sang, de la graisse, des tripes… cinq, six mois de puanteur bestiale et de boulot acharné, douze heures de rang, sept jours par semaine… Le papa a été élevé à la dure, et c’est comme ça qu’il entend faire de son fils un homme, comme il dit. Sauf que Sam, c’est un petit gars sensible. Les carcasses de baleine dézinguées en série, au canon, il n’y voit pas, lui, le même tas de viande et de fric que les autres.

Sensibilité ou sensiblerie ? Sam a-t-il été trop couvé par sa mère, comme le pense son paternel ? On ne va pas raconter toute l’histoire de ce beau roman ; reste que le dégoût du « petit » annonce, en un sens, d’autres temps et d’autres moeurs, qu’illustre un autre livre, recueil d’entretiens de l’océanographe et plongeur Fançois Sarano avec Coralie Schaub, sous le titre Réconcilier les hommes avec la vie sauvage. Il ne s’agit pas, ici, d’apprendre à chasser. D’ailleurs, apprend-on, la viande de baleine, ce n’est plus ce que c’était. Témoin, ce lot de rorqual contaminé aux pesticides, qu’il a fallu balancer à la poubelle en 2015.

François Sarano oeuvre pour la protection de la faune sauvage, et la multiplication de réserves où nous pourrions nous civiliser au contact des géants des mers, mieux qu’avec les autres bipèdes de nos mégalopoles ou leurs avatars sur écran plat. Cet ancien de la bande à Cousteau croit à « la belle école de la vie sauvage ». Il se rappelle Romain Gary : « Dans un monde entièrement fait pour l’homme, il se pourrait qu’il n’y eût pas non plus place pour l’homme. »

Le récit de François Sarano, celui de son « approvisionnement » par un cachalot qu’il a baptisé Eliot, nous renvoie aux baleines de Sam… mais aussi, il nous invite à lire l’histoire de Yukio, l’enfant des vagues racontée par Jean-Baptiste Del Amo et illustré par Karine Daisay. Un très joli petit album qui nous est arrivé le même jour ou presque. Le conte d’un enfant-poisson, trop mal à terre, si bien dans la mer, et qui finit par prendre le large…

Dans la magie de cette histoire inspirée par une vieille légende japonaise, l’air du temps n’est pas pour grand-chose. Comme les récits immémoriaux du Grand Nord ou d’autres mythes de Grèce, d’Océanie ou d’Irlande, l’enfant-poisson renvoie, en miroir, au Rêve de la baleine et à son titre original : To become a Whale, « Devenir baleine ». Elle rappelle le pêcheur à cette part de nous-mêmes qu’il y a, peut-être, au fond de son filet. J.v.G.

> Le Rêve de la baleine, Ben Hobson, Rivages, 380 p., 23 euros
> Réconcilier les Hommes avec la nature sauvage, Coralie Schaub, François Sarano, Actes Sud, 224 p., 20 euros
> Yukio, l’enfant des vagues, Jean-Baptiste Del Amo, Karine Daisay, Gallimard Jeunesse, 48 p., 12,50 euros