Ce texte anonyme, dont une copie contemporaine avait été retrouvée dans une bibliothèque au XIXe siècle, fut publié pour la première fois au Portugal en 1938. Depuis lors, un historien l’a attribué à un certain Álvaro Velho, témoin dont on ne sait rien, sinon qu’il participa bien à l’expédition. Ajoutons qu’il n’était sans doute pas marin, car s’il s’étend sur les péripéties survenues aux escales, il reste peu disert sur les traversées. Ainsi, la grande boucle de trois mois de mer entre le Cap-Vert et Bonne-Espérance via les côtes du Brésil se résume-t-elle à une trentaine de lignes. Et la traversée de l’océan Indien, au retour, tout aussi longue, sera pareillement expédiée. Ce récit n’en demeure pas moins captivant tant il révèle l’état du monde à la fin du XVe siècle. Un monde « à cran », où chacun semble convoiter les richesses de l’autre.

En l’occurrence, Manuel Ier envoie Vasco de Gama aux Indes pour ouvrir une route maritime des épices et, ce faisant, détourner ces denrées de la Méditerranée où les acheminent navires et caravanes ottomans au profit des Vénitiens. Si l’on en croit Álvaro Velho, cette mission échoue lamentablement, la monnaie d’échange proposée au Samudri de Calicut étant jugée dérisoire. Les trois navires portugais repartiront les cales vides et leurs équipages seront tant décimés par le scorbut qu’il faudra en abandonner un faute de bras pour le manœuvrer. Ce qui frappe surtout, dans ce récit, c’est l’arrogance des explorateurs à l’égard des « Nègres », comme des « Maures » ou des « Hindous » qu’ils confondent d’ailleurs avec des Chrétiens au point de célébrer la messe dans un temple hindou de Calicut. L’autre constante est la violence entre les protagonistes. Tel pilote est fouetté pour avoir confondu une île avec le continent, tel autre, soupçonné de trahison, est « mis à la question au moyen de l’huile bouillante », sans parler des fréquentes escarmouches avec les autochtones. Le métier d’explorateur est si dangereux que l’on avait coutume d’embarquer des détenus de droit commun destinés à servir de « fusibles » pour les missions les plus risquées. 

Vasco de Gama – le premier voyage (1497-1499),
relation attribuée à Álvaro Velho, éd. Chandeigne, 192 p., 12,50 €.