Construit par le chantier W.H. Wattey sur un plan Sopper, ce yacht gréé en sloup à corne, long de 24 m hors tout, est actuellement en restauration. Il a été lancé en 1903 à Fowey, pour le compte de Robert F. Yeo qui le conservera durant huit années au cours desquelles le voilier régate et navigue en Manche. Désarmé à la veille de la Grande Guerre, puis vendu en 1919 au Danois Aage Wüngaard, le yacht reste quatre années à Copenhague avant de passer entre les mains de plusieurs propriétaires.

En 1925, Colleen est à Colchester, désormais propriété du britannique D. L. Daly qui le conservera jusqu’en 1947. Durant cette période, la bôme est raccourcie afin de gréer un artimon et le sloup est ainsi transformé en yawl. Racheté par D. C. Gall, puis à nouveau vendu en 1952, le yacht va connaître une originale destinée.

Cette année-là, un jeune couple d’Américains en voyage de noces décide d’acquérir Colleen pour traverser l’Atlantique. Malheureusement, la croisière romantique tourne vite au cauchemar quand, pris dans une tempête au large de l’Irlande, l’équipage décide d’abandonner le voilier. Ce dernier sera découvert peu de temps après par un chalutier de Port-Louis, qui le remorque jusque dans la rade de Lorient. Le yacht est ensuite vendu aux enchères par les douanes à un officier de marine français. Cédé en 1954 à un jeune enseigne de vaisseau amoureux de jolis bateaux, Colleen va connaître alors de belles années avant qu’un drame ne vienne brutalement interrompre l’aventure. En 1977, le propriétaire est retrouvé mort sur l’annexe qui lui servait à rejoindre son mouillage. Désarmé, Colleen est alors échoué sur une grève, en Petite mer de Gâvres, où quelques passionnés se chargent de lui construire un ber en bois pour lui éviter de se déformer.

Vingt ans plus tard, François Polart — qui vient tout juste de finir la restauration du 8 m JI Silk (CM 141) — tombe à son tour sous le charme, et décide de sauver le vieux yacht. « Il était temps, raconte François, les services de l’Équipement étaient sur le point d’y mettre le feu! Ils avaient très peur de voir les 24 tonnes de la coque s’effondrer sur les promeneurs. Ils m’ont donné trois semaines pour l’évacuer, ce qui n’était pas une mince affaire car aucune grue ne pouvait accéder à la grève. Après quelques travaux de préparation, et la mise à bord d’une motopompe, nous avons profité d’une forte marée pour soulager la coque et la remorquer sur quelques milles jusqu’à un quai permettant le grutage. »

Depuis décembre dernier, Colleen a trouvé refuge dans un chantier près de Pont-Croix, dans le Cap Sizun. Là, Jacques Ribel et Gilles Thiery, deux charpentiers de marine, ont été spécialement embauchés pour la restauration. « Notre premier souci a été de remettre la coque dans ses formes, ajoute François Polart, ce qui nous a permis, grâce à la collaboration des Ateliers de l’Enfer à Douarnenez, d’effectuer un relevé complet pour tracer les plans du bateau.

« Il nous faut refaire une grande partie de la structure axiale et remplacer toutes les membrures, en chêne ou en acacia ployé, ainsi que les varangues métalliques. J’espère qu’on pourra conserver environ la moitié des bordages qui sont en teck riveté cuivre. Nous avons la chance d’avoir la plus grande partie des emménagements et des claires-voies. Ces dernières avaient été démontées en 1977 pour être préservées du pillage. Enfin le pont devra être entièrement refait. » La fin des travaux est prévue en 2004. Colleen fera des croisières familiales, et pourra être loué par l’intermédiaire de la société morbihannaise Belle Plaisance, spécialisée dans l’affrètement de bateaux de caractère.